Assurer la souveraineté du cloud en France en recourant sous licence aux technologies américaines... C'est le paradoxe au cœur de la "stratégie nationale pour un cloud souverain", présenté ce lundi par Bruno Le Maire, ministre de l'économie, aux côtés de Cédric O, secrétaire d'Etat au numérique, et Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publique.
"La France doit se doter d'un cloud de confiance car les données sont stratégiques. Une grande partie de la valeur économique au 21ème siècle passera par les données, c'est pourquoi il est essentiel de les protéger", a déclaré en guise de préambule Bruno Le Maire.
Car l'enjeu est de taille. Rien qu'en Europe, le marché du cloud computing -informatique en nuage- a enregistré une croissance de 27% par an entre 2017 et 2019, selon un livre blanc publié en avril par le cabinet KPMG et cofinancé par des acteurs français comme OVH et Talan. Le marché, qui est estimé à 53 milliards d'euros pour 2020, devrait atteindre 300 à 500 milliards d'euros d'ici 2027-2030 et générer plus de 500.000 emplois directs.
Rattraper le retard de la France
"Le cloud est désormais un élément de compétitivité pour les entreprises", affirme Cédric O. "Pourtant, les européens sont en retard en matière d'adoption du cloud par rapport aux concurrents américains et asiatiques. La stratégie doit permettre de lever des freins légitimes, qui empêchent les entreprises de migrer vers le cloud", a souligné le secrétaire d'Etat.
Parmi les freins identifiés, la crainte de voir de précieuses données transférées hors du territoire - alors que les Etats-Unis ont adopté en mars 2018 le Cloud Act (pour « Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act »). Cette loi extra-territoriale peut permettre à la justice ou aux services américains de renseignement d'accéder dans certains cas aux données hébergées hors des Etats-Unis.
Etant donné qu'Amazon, Microsoft et Google s'accaparent 70% du marché européen, la France jugeait primordial de se protéger de cette législation. Pour tenter de mieux protéger les données hébergées en France dans le cloud, le gouvernement souhaite recourir sous licence aux technologies des acteurs de Microsoft, Google et d'autres acteurs américains. L'idée : permettre aux entreprises françaises de recourir aux services dominants actuels, tout en fournissant de nouvelles garanties.
"La donnée est une information sensible, mais aussi un moyen de valoriser son entreprise. Nous devons donc garantir l'accès aux meilleurs services mondiaux", justifie Bruno Le Maire. Or, "les meilleures entreprises sont américaines aujourd'hui", a poursuivi le ministre.
Création d'un label "cloud de confiance"
C'est pourquoi les entreprises américaines pourront licencier "toute ou partie" de leurs technologies à des entreprises françaises. "L'objectif est de conjuguer protection et valorisation maximale des données", précise Bruno Le Maire.
"J'entends déjà les cris d'orfraie, affirmant que la souveraineté française ne sera pas respectée", a anticipé le ministre, avant de faire un parallèle avec le développement de l'industrie nucléaire française dans les années 60, sur la base de technologies sous licence américaine. "Cela n'a pas empêché l'indépendance totale du système nucléaire français. Ce que nous avons fait avec le nucléaire dans les année 60 (...) nous le faisons en 2021 sur les données."
En parallèle, le gouvernement a annoncé la création d'un nouveau label "cloud de confiance". Celui-ci sera uniquement accordé aux entreprises "européennes et possédées par des Européens" et disposant "de serveurs opérés en France", a indiqué Bruno Le Maire. C'est notamment le cas du champion français OVH, qui a signé une alliance inédite en novembre avec Google.
Sujets les + commentés