Malgré un lobbying intense, la réforme très contestée du droit d'auteur adoptée par l'UE

Par Anaïs Cherif  |   |  1062  mots
La réforme vise à permettre aux éditeurs, aux médias et aux artistes d'obtenir une meilleure rémunération de la part des plateformes comme Google, Facebook ou YouTube pour la mise en ligne de leurs productions. (Crédits : Reuters)
La directive "copyright" a été adoptée ce mardi 26 mars au Parlement européen avec 348 votes pour, 274 contre et 36 abstentions. L'article 15, qui ouvre un "droit voisin" pour les éditeurs de presse, et l'article 17, qui instaure le filtrage automatique des œuvres, ont concentré les débats. La directive ne sera pas en vigueur avant 2020.

Après plus de deux ans de débats et d'intenses lobbying, la réforme du droit d'auteur a été définitivement approuvée ce mardi 26 mars par le Parlement européen. Cette directive « copyright » vise à moderniser le droit d'auteur à l'ère numérique - la dernière législation datant de 2001... Une époque où la plateforme vidéo YouTube, propriété de Google, n'existait pas encore.

Cette réforme vise à permettre aux éditeurs, aux médias et aux artistes d'obtenir une meilleure rémunération de la part des plateformes comme Google, Facebook ou YouTube pour la mise en ligne de leurs productions. Cette directive a soulevé un large débat entre les industries culturelles et les entreprises de presse d'une part, et les géants du net, d'autre part : comment concilier respect du droit d'auteur et liberté d'expression sur Internet, tout en assurant une répartition juste des revenus ?

Les Gafa sont devenus des intermédiaires incontournables

Les géants du Net ont réussi en quelques années à se placer comme des intermédiaires incontournables entre le public et les médias, au détriment de ces derniers. En 2016, année où le projet de directive est arrivé sur le bureau de la Commission européenne, 57% des internautes en Europe accédait à un article de presse via un réseau social, un moteur de recherche ou un agrégateur d'informations, selon un sondage de l'exécutif européen. 47% de ces lecteurs consultent des extraits sur ces plateformes - comme par exemple, un sujet vidéo sur Twitter -, sans cliquer sur le site des médias d'origine. Conséquence : les revenus publicitaires sont captés par les géants du net. Google et Facebook s'accaparent ainsi à eux deux plus de 90% des recettes publicitaires numériques en France.

Le texte a été approuvé à 348 votes pour, 274 contre et 36 abstentions.

« Les nouvelles règles renforceront nos industries créatives, qui représentent 11,65 millions d'emplois, soit 6,8% du PIB, pour un montant de 915 milliards d'euros par an », se sont réjoui dans un communiqué conjoint Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne, et Mariya Gabriel, commissaire européenne à l'économie et à la société numériques. Ce texte « assure le juste équilibre entre les intérêts de tous les acteurs - utilisateurs, créateurs, auteurs, presse - tout en mettant en place des obligations proportionnées sur les plateformes en ligne. »

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Droit voisin de la presse : un effet pervers favorable aux Gafa ?

Deux articles étaient particulièrement discutés. L'article 11 - devenu l'article 15 dans cette mouture - ouvre la notion de "droit voisin" pour les éditeurs de presse, une sorte de déclinaison du droit d'auteur. Il doit permettre aux journaux, magazines, mais aussi aux agences de presse comme l'AFP - qui s'estiment pillés de leurs contenus par des fils d'actualités, comme Google News -, de se faire rémunérer pour une réutilisation en ligne, même partielle, de leur production.

Mais cette mesure fait craindre un effet pervers permettant de renforcer la plateformisation... autour des Gafa. Si l'UE leur impose de payer une redevance pour pouvoir utiliser des liens qui renvoient vers les sites des médias, pourquoi ne tenteraient-ils pas d'héberger eux-mêmes les contenus ? C'est déjà la démarche de Facebook avec sa fonction Instant Articles, par exemple.

"La négociation sur la valeur du droit se fera État par État. Le rapport de force sera clairement en faveur des Gafa (ndlr : Google, Apple, Facebook, Amazon) et c'était précisément pour échapper à cette négociation que les éditeurs de presse avaient porté le sujet jusqu'à Bruxelles", déplore dans un communique de presse Jean-Frédéric Lambert, Président du kiosque numérique ePresse.

Et de poursuivre : « La taille des snippets (extraits pouvant être utilisés, ndlr) n'est pas définie et les Gafa pourraient se contenter du titre, et de trois ou quatre lignes d'article pour échapper à tout paiement, tout en s'appropriant la partie du contenu qui les intéresse », souligne Jean-Frédéric Lambert. Dernière faiblesse : « Les règles de diffusion des agrégateurs restent complètement à la main des Gafa, qui pourront faire la pluie et le beau temps des éditeurs. »

Mise en place d'un filtrage automatique des œuvres

Autre point d'achoppement : l'article 13, devenu l'article 17. Cette disposition veut contraindre les plateformes - au-delà de trois ans d'existence et de 10 millions d'euros de chiffre d'affaires ou dans certains cas, de 5 millions d'utilisateurs -, à passer des accords de licence avec les ayants droit pour une meilleure rémunération. Le cas échéant, les hébergeurs devront déployer des technologies permettant de détecter automatiquement des chansons ou des œuvres audiovisuelles identifiées par les titulaires de droits permettant d'autoriser leurs publications sur leur plateforme. Cet article instaure donc un filtrage automatique des œuvres, avant même leurs publications. Il inverse donc la logique actuelle, qui permet aux plateformes type YouTube de supprimer une vidéo après sa publication si elle est contraire au droit d'auteur.

Quelques exceptions sont prévues : les hyperliens renvoyant vers un autre site ; les "très courts" extraits apparaissant, par exemple, sur un fil d'actualité ; ou encore les citations dans le cadre des critiques, d'avis ou de caricatures.

« Le texte crée une exception générale pour les startups dont l'essor va être favorisé en clarifiant leur situation pour l'utilisation de contenus protégés par le droit d'auteur. Il renforce la protection des internautes en interdisant explicitement toute surveillance générale. Le texte protège les "mèmes" et les "gifs", en garantissant les exceptions au droit d'auteur telles que les citations, les critiques, les caricatures, les parodies, etc. » s'est félicité dans un communiqué de presse la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique).

Bémol : les exigences technologiques pour instaurer ce filtrage automatique pourraient constituer un frein à l'entrée, et donc, renforcer la position dominante des Gafa qui n'auront aucun problème à s'adapter à cette nouvelle législation. Ce nouveau texte doit désormais être approuvé par le conseil de l'Union européenne dans les prochaines semaines. Les États membres disposeront ensuite de 24 mois pour transposer les nouvelles règles dans leur législation nationale.