Droit d'auteur : pourquoi la directive européenne divise

Le Parlement européen a rejeté ce jeudi matin la "directive copyright", censée moderniser le droit d'auteur à l'ère numérique. L'objectif : permettre une meilleure rémunération des créateurs de contenus, tels les artistes et les éditeurs de presse, pour l'utilisation de leurs productions sur Internet. Retour sur les principaux points de crispations.
Anaïs Cherif
La dernière législation européenne concernant le droit d'auteur remonte à 2001.
La dernière législation européenne concernant le droit d'auteur remonte à 2001. (Crédits : Rémi Benoit)

[Publié le 04/07/18, mis à jour le 05/07/18 à 12h57]

Le vote s'annonçait serré. Après des négociations difficiles de près de deux ans, la "directive copyright" était soumise au vote du Parlement européen ce jeudi matin. L'hémicycle l'a rejetée, avec 318 votes contre, 278 pour et 31 abstentions. Le Parlement ne peut donc pas encore entamer des négociations sur cette réforme avec les Etats membres et la Commission. Le texte devra à nouveau être discuté par les parlementaires, avant d'être soumis à un autre vote lors de la session plénière de septembre.

Censée moderniser le droit d'auteur - la dernière législation date de 2001 -, cette réforme a soulevé un large débat : comment concilier respect du droit d'auteur et liberté d'expression sur Internet ? La philosophie de la réforme est d'améliorer les rémunérations des créateurs de contenus, comme les artistes et les éditeurs de presse, pour leurs productions accessibles en ligne. Si la révolution numérique leur a permis de toucher un plus large public, elle a aussi mis à mal leurs modèles économiques. La presse a vu ses ventes papier diminuer, tout comme ses recettes publicitaires. Quant aux artistes, ils dénoncent régulièrement l'utilisation de leurs œuvres par des plateformes de streaming (YouTube, Dailymotion...), sans obtenir une rémunération jugée suffisante. Retour sur les deux principaux points de débat.

■ Création d'un "droit voisin" pour la presse

L'article 11 de la directive instaure un "droit voisin" pour les éditeurs de presse, une nouvelle sorte de déclinaison du droit d'auteur. Il doit permettre aux journaux, magazines, mais aussi aux agences de presse comme l'AFP - qui s'estiment pillés de leurs contenus par des fils d'actualités, comme Google News - de se faire rémunérer pour une réutilisation en ligne, même partielle, de leur production.

"Ce nouveau droit reconnaît le rôle important que jouent les éditeurs de presse en termes d'investissements et de contribution à la création de contenus journalistiques de qualité, ce qui est essentiel pour l'accès des citoyens à la connaissance dans nos sociétés démocratiques", défendait la Commission européenne lors de la présentation de la directive en septembre 2016.

Et de poursuivre : "Ils seront ainsi, pour la toute première fois, juridiquement reconnus comme des titulaires de droits, ce qui les placera dans une meilleure position (...) pour négocier l'utilisation de leurs contenus avec les services en ligne qui les utilisent." Cette proposition a été soutenue par les organisations d'éditeurs de presse de l'Union Européenne, soulignant que sans juste rémunération, les médias qui jouent un rôle essentiel dans le pluralisme de l'information et la démocratie, ne peuvent survivre.

Pour autant, l'article 11 est loin de faire l'unanimité. L'encyclopédie Wikipédia a été l'un des fervents opposants à la réforme. Elle est même allée jusqu'à fermer temporairement son site en Italie, le mardi 3 juillet, pour inciter ses lecteurs à protester auprès de leurs eurodéputés. Sur son site Internet, l'association Wikimédia France justifie :

"Si une personne cite un article de presse sur Wikipédia pour indiquer l'origine d'une information, l'hébergeur de l'encyclopédie devra demander la permission aux éditeurs de presse pour citer cet article de presse. Avec près d'un million de pages modifiées par mois, obtenir ces autorisations pour les centaines de sources ajoutées est du domaine de l'impossible."

En mai, 169 universitaires et juristes ont signé un texte s'opposant à cette réforme, mis en ligne par l'Institut du droit de l'information, un organisme de recherche rattaché à l'université d'Amsterdam. Dans cette tribune, ils estiment que cette réforme en l'état actuel "entraverait la libre circulation de l'information, d'importance capitale pour la démocratie". Elle pourrait même favoriser la propagation des fausses nouvelles (fake news) en rendant plus contraignante et plus chère la diffusion des informations fiables.

■ Filtrage automatique des œuvres

Autre point chaud : l'article 13, qui veut contraindre les plateformes à passer des accords de licence avec les ayants droits pour une meilleure rémunération. Le cas échéant, les hébergeurs devront déployer des technologies permettant de détecter automatiquement des chansons ou des œuvres audiovisuelles identifiées par les titulaires de droits permettant d'autoriser leurs publications sur leur plateforme.

Cet article instaure donc un filtrage automatique des œuvres, avant même leurs publications. Il inverse donc la logique actuelle, qui permet aux plateformes type YouTube de supprimer une vidéo après sa publication si elle est contraire au droit d'auteur. Cette disposition conférait aux plateformes "un rôle de censeur plutôt que de modérateur", selon Create Refresh, un mouvement rassemblant une centaines d'artistes et créateurs européens, mais aussi des associations comme Wikimedia, La Quadrature du Net, France Digitale...

Avec cet article, "tout emprunt à une œuvre, même justifié, peut être considéré comme potentiellement illicite. Ainsi, le droit de citation, le commentaire, le pastiche, la parodie, le remix - la liste est longue - sont dans la ligne de mire des outils de reconnaissance automatique", regrette Create Refresh, s'inquiétant de la disparition de la création indépendante.

Pour les opposants, cette disposition irait à l'encontre des principes fondateurs d'Internet, qui repose sur une diffusion et un partage ouvert des connaissances. La réforme a été accusée de "transformer Internet en un outil de surveillance automatisée et de contrôle de ses utilisateurs" dans un courrier adressé le 12 juin à Antonio Tajani, président du Parlement européen, et rédigé par 70 acteurs du secteur, comme le pionnier Tim Berners-Lee, fondateur d'Internet, ou Jimmy Wales, co-fondateur de Wikipédia.

Anaïs Cherif

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 26/03/2019 à 18:13
Signaler
Que dire d'autre de ce qui se passe sur l'Internet que c'est un immense "merdier"? Ou, comment transformer une idée géniale en un foutoir indescriptible, pire, dangereux pour les libertés individuelles et la démocratie. Et bientôt dans ce 'bazar," l...

à écrit le 05/07/2018 à 14:01
Signaler
Le problème, c'est que les œuvres diffusés par internet ont plutôt tendance a être imposé a la vue et non désiré!

à écrit le 05/07/2018 à 13:16
Signaler
"Si une personne cite un article de presse sur Wikipédia pour indiquer l'origine d'une information, l'hébergeur de l'encyclopédie devra demander la permission aux éditeurs de presse pour citer cet article de presse." LÀ faut m'expliquer pourquoi ...

à écrit le 05/07/2018 à 11:53
Signaler
Mais pour nos zayant droits, il faut proteger la rente et maintenir en vie des modeles economiques qu internet a rendu caduc. d ou la pression sur les legislateurs. Cerise sur le gateau, ca va faciliter la censure car il suffira de menacer d un proce...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.