Haine en ligne : pourquoi les parlementaires se déchirent autour de la loi Avia

Par Anaïs Cherif  |   |  749  mots
(Crédits : Dado Ruvic)
La proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet, dite "loi Avia", repasse devant l'Assemblée nationale en seconde lecture ce mardi. La principale pierre d'achoppement : l’obligation pour les plateformes en ligne, comme Facebook et Twitter, de retirer en 24 heures les contenus "manifestement illicites" qui leur ont été notifiés.

Nouvelle étape pour la loi Avia. La proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet passe, ce mardi, en seconde lecture à l'Assemblée nationale. Annoncé dès février 2019 par Emmanuel Macron, le texte de la députée de Paris, Laetitia Avia, a essuyé des salves de critiques de la part du Sénat et de la Commission européenne, sans oublier des acteurs de la société civile.

En cause : l'article 1er crée un délit de "non retrait". Il impose aux plateformes en ligne, comme Facebook et Twitter, de retirer en 24 heures les contenus jugés "manifestement illicites" et qui leur ont été notifiés. Parmi les contenus litigieux, figurent les incitations à la haine et à la violence, les injures à caractère raciste ou encore les discriminations religieuses. Cette disposition, qui est au cœur de la loi Avia, est directement inspirée d'une loi allemande similaire entrée en vigueur en janvier 2018. En cas de manquement, les plateformes peuvent encourir des amendes pouvant grimper jusqu'à 1,25 million d'euros. L'idée est donc de "responsabiliser les plateformes en ligne" concernant les contenus dont elles permettent la publication.

Craintes de censure de la part des réseaux sociaux

Le texte a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale en juillet dernier, à 434 voix pour sur 467 exprimées. Mais le Sénat a supprimé cette disposition phare, et détricoté le texte en formulant pas moins de 45 amendements courant décembre. Les opposants à cet article craignent notamment des atteintes à la liberté d'expression. Sans compter qu'il confère à des entreprises privées le pouvoir de déterminer ce qui relève de contenus haineux ou non.

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"Déséquilibré aux dépens de la liberté d'expression, [le délit de non retrait] encouragera mécaniquement les plateformes à retirer - par excès de prudence - des contenus pourtant licites", déplorait le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, Christophe-André Frassa.

Suite à l'échec de la Commission mixte paritaire, réunie le 8 janvier, une douzaine d'organismes ont signé une lettre commune contre la proposition de loi. Parmi les signataires : la Quadrature du Net (association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet), Change.org, le Conseil National des Barreaux, le Conseil National du Numérique ou encore la Ligue des droits de l'Homme. "Les opérateurs de plateformes participent désormais grandement à la structuration de l'espace public en ligne [...] Nous partageons la nécessité de questionner le rôle des grandes plateformes dans la lutte contre les contenus haineux sur Internet", peut-on lire dans la lettre ouverte.

"Paradoxalement, cette exigence se traduit, dans le texte discuté, par le renforcement du rôle de ces mêmes acteurs dans le contrôle de notre espace public au détriment du premier garant de nos libertés individuelles qu'est le juge", déplore le collectif d'organismes.

Un rôle prépondérant accordé aux algorithmes ?

Le texte impose de recourir à des "moyens humains et, le cas échéant, technologiques" pour passer en revue les contenus litigieux. Dans les faits, supprimer des publications illicites dans un délai aussi court que 24 heures accorde nécessairement un rôle prépondérant à la modération par algorithmes. "Nous nous inquiétons du rôle confié à des dispositifs technologiques de filtrage automatisés, qui font encore preuve de limites techniques profondes dans leur capacité à modérer, y compris parmi ceux les plus avancés. Ces limites sont d'autant plus prégnantes en ce qui concerne les contenus haineux dont la caractérisation juridique est souvent complexe", s'inquiète la Quadrature du Net.

"On ne peut pas se contenter d'une modération 100% technologique, il faut un regard humain. Le CSA pourra sanctionner les plateformes si les moyens humains ne sont pas bien en œuvre dans la modération", a réagi lundi Laetitia Avia sur Twitter.

Le texte est transmis pour une ultime navette entre l'Assemblée nationale, puis le Sénat. En cas de nouveau désaccord, l'Assemblée nationale aura le dernier mot.