"Pendant que vous lisez ceci, le gouvernement en prend note" (Edward Snowden)

Par Sylvain Rolland  |   |  894  mots
"En privé, il y a eu des moments où j'ai craint que nous n'ayons mis nos confortables existences en danger pour rien", confie Edward Snowden
Deux ans jour pour jour après ses révélations sur la surveillance de masse orchestrée par la NSA, le "lanceur d’alertes" américain Edward Snowden, réfugié en Russie, a confié une tribune à Amnesty International, reprise en intégralité par Libération, le New York Times , El Païs et Der Spiegel. Extraits choisis.

Il y a pile deux ans, le nom d'Edward Snowden est devenu le cauchemar des services secrets américains. Les révélations de cet ancien employé de la National Security Agency (NSA) ont mis le feu aux poudres et braqué les regards de l'opinion publique mondiale sur les instruments de surveillance de masse dont disposent les Etats et, par ricochet, les grandes entreprises qui dominent Internet comme Google, Apple, Facebook et Amazon.

Deux ans plus tard, ces sujets sont toujours au cœur de l'actualité. Cette semaine, les Etats-Unis ont voté le Freedom Act, une réforme du Patriot Act qui marque la fin des collectes massives de métadonnées, tout en laissant de larges prérogatives aux services de renseignement.

Pratiques extrêmement intrusives

En France, les sénateurs ont continué leur travail d'amendement du projet de loi sur le renseignement, qui légalisera, dans un curieux effet de miroir, ces pratiques extrêmement intrusives que les Etats-Unis viennent d'abandonner. Le vote est attendu mardi prochain, le 9 juin.

Alors que la société accélère sa transformation numérique, la question de l'utilisation que font les gouvernements et les entreprises des données personnelles des citoyens devient cruciale. Aux premières loges, Edward Snowden revient dans une tribune publiée par Amnesty International et reprise en intégralité par quatre médias internationaux (Libération, le New York Times, El Païs et Der Spiegel) sur la déflagration provoquée par ses révélations.

Si les diverses initiatives, à travers le monde, pour encadrer l'exploitation des données personnelles, lui font penser que "les rapports de force commencent à changer", le lanceur d'alerte n'oublie pas d'avertir sur les dangers qui menacent toujours le droit à la vie privée. Extraits choisis.

Sur l'impact de ses révélations aux Etats-Unis...

"En privé, il y a eu des moments où j'ai craint que nous n'ayons mis nos confortables existences en danger pour rien - et que le public réagirait avec indifférence ou ferait preuve de cynisme face aux révélations. Je n'ai jamais été aussi heureux d'avoir eu tort.

Depuis deux ans, la différence est profonde. En l'espace d'un mois, le programme intrusif de suivi des appels de la NSA a été déclaré illégal par les tribunaux et désavoué par le Congrès. Après qu'une enquête de la Maison Blanche a déterminé que ce programme n'avait pas permis d'empêcher une seule attaque terroriste, même le Président, qui avait plus tôt défendu son bien-fondé et critiqué la révélation de son existence, a fini par ordonner qu'on y mette un terme.

Voilà le pouvoir d'un public informé. La fin de la surveillance de masse des appels téléphoniques privés en vertu de l'US Patriot Act, une victoire historique pour les droits de chaque citoyen, n'est que la dernière conséquence en date d'une prise de conscience mondiale."

... et dans le monde

"Depuis 2013, des institutions à travers l'Europe ont déclaré des lois et des opérations similaires illégales et imposé de nouvelles restrictions à ce type d'activités à l'avenir. Les Nations unies ont déclaré que la surveillance de masse constituait sans ambiguïté une violation des droits humains. En Amérique latine, les efforts de citoyens brésiliens ont mené à l'adoption du Marco Civil, la première Déclaration des droits de l'Internet au monde. Reconnaissant le rôle essentiel que joue un public informé dans la correction des dérives gouvernementales, le Conseil de l'Europe a préconisé l'adoption de nouvelles lois empêchant la persécution des lanceurs d'alerte."

Sur les nouvelles atteintes des Etats contre la vie privée

"Les chefs des services secrets en Australie, au Canada et en France ont exploité des tragédies récentes afin d'essayer d'obtenir de nouveaux pouvoirs intrusifs, malgré des preuves éclatantes que ceux-ci n'auraient pas permis d'empêcher ces attaques. Le Premier ministre britannique, David Cameron, a récemment posé la question rhétorique suivante : "Voulons-nous autoriser un moyen de communication entre les gens que nous [l'Etat, ndlr] ne pouvons pas lire ?" Il a vite trouvé sa réponse, proclamant que, "depuis trop longtemps, notre société se montre tolérante et passive, disant aux citoyens : tant que vous respecterez la loi, nous vous laisserons tranquilles". Lors du passage à l'an 2000, rares sont ceux qui auraient imaginé que les citoyens de pays démocratiques et développés seraient bientôt obligés de défendre la notion de société ouverte contre leurs propres dirigeants"

[...] Pendant que vous lisez ceci, le gouvernement en prend note.

Sur les entreprises qui menacent toujours le respect de la vie privée

Certains des services en ligne les plus populaires au monde sont devenus les partenaires des programmes de surveillance de masse de la NSA, et des gouvernements du monde entier font pression sur des entreprises technologiques afin qu'elles travaillent contre leurs clients plutôt que pour eux. Des milliards de données de géolocalisation et de communications continuent à être interceptées en vertu d'autres pouvoirs, sans considération pour la culpabilité ou l'innocence des personnes concernées.

L'interception et la surveillance des métadonnées révélant les liens personnels et centres d'intérêt d'internautes ordinaires restent d'une ampleur sans précédent.