Orange en Israël : les dessous d’un tollé économico-diplomatique

Par Pierre Manière  |   |  800  mots
Pour Stéphane Richard, sa volonté d’enterrer le contrat avec Partner ne relève que de considérations commerciales.
En déclarant qu’il était prêt à "se retirer" d'Israël, Stéphane Richard, le patron de l’opérateur historique, a provoqué une tempête diplomatique entre la France et l’Etat hébreu. Explications.

Mercredi, Stéphane Richard est en visite en Egypte. Pour le patron de l'opérateur historique, le pays des pharaons est stratégique. Son groupe, qui a réalisé un chiffre d'affaires de près de 40 milliards d'euros l'an passé, a de grandes ambitions sur ce marché. Celui-ci pèse tout de même 2,9% de ses ventes globales. Mais, surtout, il affiche depuis plusieurs années des niveaux de croissance flirtant avec les 5%. En outre, l'Egypte - où les cartes prépayées règnent pour l'heure en maître - est le pays où Orange dispose le plus clients dans le monde, avec 35 millions de fidèles.

Au Caire ce mercredi soir, Stéphane Richard est interrogé sur les liens entre Orange et l'opérateur israélien Partner Communications en conférence de presse. En Israël, l'opérateur historique n'a pas d'activités de télécommunications. Toutefois, le groupe dispose d'un contrat avec Partner : ce dernier a le droit d'utiliser le logo et l'image d'Orange, moyennant une redevance annuelle d'environ 15 millions de shekels (un peu plus de 3,4 millions d'euros). Manquant manifestement de prudence, Stéphane Richard affirme alors, selon l'AFP, vouloir à terme « se retirer d'Israël ». Et embraye : « Je suis prêt à abandonner demain matin » les liens avec Partner, mais « sans exposer Orange à des risques énormes » sur le plan légal ou financier. Des mots qui ont provoqué une véritable levée de boucliers en Israël.

« Les liaisons dangereuses d'Orange »

De fait, le dossier Partner est particulièrement sensible. Le contrat avec Orange date de 1998, soit deux ans avant le rachat par France Télécom. Il s'agissait d'un contrat « illimité » dans le temps, auquel Orange affirme vouloir mettre fin depuis plusieurs années. L'opérateur argue qu'il n'a pas de raison d'être, puisque le groupe n'est pas opérateur télécoms en Israël. En y accolant une date de péremption, il souhaiterait récupérer le contrôle total de sa marque. Au mois d'avril, Orange a ainsi renégocié les termes du contrat, qui s'achèvera en 2025.

Toutefois, le 6 mai, dans la foulée de cette renégociation, plusieurs organisations de lutte contre la faim, la pauvreté et en faveur des droits de l'homme ont dégainé un rapport très critique envers les relations Orange-Partner. Son intitulé : « Les liaisons dangereuses d'Orange dans le territoire palestinien occupé. » Dans ce dossier, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) et le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire) fustigent le fait qu'Orange « maintient une relation d'affaires avec [...] Partner et prend le risque d'entacher son image en l'associant à une entreprise qui pourrait se rendre coupable de violations des droits humains ». Pourquoi ? Parce que Partner fournit notamment ses services dans les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupées. Lesquelles sont jugées illégales par la Communauté internationale.

« Franchement, je crois que j'ai été mal compris »

Dans ce contexte, les propos de Stéphane Richard ont fait l'effet d'une bombe. Le lendemain, le quotidien populaire israélien Yedioth Ahronoth titre un ravageur « La face noire d'Orange ». Tenues en Egypte, qui nourrit des relations tumultueuses avec Israël, les déclarations de Stéphane Richard soulèvent un véritable tollé diplomatique. Pour une large frange de l'opinion de l'Etat hébreu, ses mots sonnent comme un appel au boycott pour son occupation des territoires palestiniens. Dans un communiqué lapidaire publié jeudi, Benjamin Netanyahu ne mâche pas ses mots. Le Premier ministre israélien « appelle le gouvernement français à rejeter publiquement les déclarations et les agissements malheureux d'une compagnie dont il est en partie propriétaire ».

Vendredi matin, Stéphane Richard tente d'éteindre l'incendie. « Franchement, je crois que j'ai été mal compris », affirme-t-il au journal Yediot Ahronoth. D'après lui, sa volonté d'enterrer le contrat avec Partner ne relève que de considérations commerciales. En outre, il assure son opposition à toute forme de boycott envers Israël, où le sujet demeure ultra-sensible. Même son de cloche du côté du gouvernement français, actionnaire à 25% d'Orange. Vendredi matin, Laurent Fabius a tenté de calmer le jeu. Le ministre des Affaires étrangères a souligné que « s'il appartient au président du groupe Orange de définir la stratégie commerciale de son entreprise, la France est fermement opposée au boycott d'Israël ».

Orange veut rester en Israël

Chez Orange, ce vendredi, on se défend aussi de tout appel au boycott. A La Tribune, le groupe affirme sa volonté de maintenir ses activités sur place. Sachant que l'opérateur y dispose d'une centaine de personnes, notamment à travers Viaccess-Orca, une filiale de services pour médias en ligne, et son accélérateur de startups Orange Fab.