Pourquoi Patrick Drahi continue de flamber aux Etats-Unis

Par Pierre Manière  |   |  901  mots
Patrick Drahi, le patron d'Altice, maison-mère de Numericable-SFR.
Après avoir avalé Suddenlink en mai dernier, le magnat des télécoms s’est offert un autre câblo-opérateur, Cablevision, pour 17,7 milliards d’euros. Alors que la consolidation va bon train au pays de l’Oncle Sam, Patrick Drahi confirme qu’il faudra bien compter sur lui.

« Pour moi les télécoms, c'est comme un flipper : tant qu'il y a des boules, je joue encore. » Dans le petit monde des télécoms, cette phrase lâchée par Patrick Drahi au printemps dernier, lors d'un dîner organisée par l'Ecole Polytechnique (dont il est diplômé), et rapportée par Les Echos, est presque devenue culte. Il faut dire qu'elle illustre à merveille le tempérament du patron d'Altice (maison-mère de Numericable-SFR en France), qui a fait de la consolidation sa marque de fabrique. En réalité, le magnat des télécoms joue sur plusieurs flippers à la fois. En France, il semble, du moins pour l'instant, ne plus avoir de boules pour engranger les points : à trop secouer la machine, celle-ci a fait « tilt » lors de son échec au rachat Bouygues Telecom au mois de juin. Mais sur son flipper américain, Patrick Drahi a activé le « multiball » (multi-billes)...

Après avoir mis la main sur Suddenlink, le septième câblo-opérateur du pays de l'Oncle Sam, pour plus de 9 milliards de dollars en mai dernier, Altice a de nouveau sorti le chéquier. Jeudi matin, le groupe a annoncé le rachat de Cablevision, le cinquième « cablo » outre-Atlantique, pour 17,7 milliards de dollars. Une fois n'est pas coutume, Patrick Drahi a financé le gros de l'opération par la dette, sachant que celle d'Altice était déjà supérieure à 30 milliards d'euros. Toutefois, l'actuel roi du LBO (Leverage Buy Out pour achat avec effet de levier) continue de profiter de la confiance des investisseurs et des banquiers. En début de matinée, le titre Altice a gagné plus de 11%, à 27,14 euros, avant de se stabiliser autour de son cours de la veille au soir, à 24,5 euros.

La consolidation en ligne de mire

Cette nouvelle emplette ne constitue guère une surprise. Lorsqu'il a racheté Suddenlink, Patrick Drahi n'a jamais caché qu'il souhaitait participer à la consolidation du marché américain. Sur ce front, les mouvements vont bon train. Ces derniers mois, Charter, le numéro trois du secteur, est passé à l'offensive, raflant les numéros deux et six du secteur, Time Warner Cable (TWC) et Bright House, pour respectivement 56 et 10,4 milliards de dollars.

Lorsque toutes ces opérations seront finalisées, Patrick Drahi disposera in fine d'une part de marché de 7,5% aux Etats-Unis, selon une note d'Oddo Securities. Altice sera alors le quatrième cablo-opérateur du pays, derrière le géant Comcast (44,2% de part de marché), l'ensemble Charter-TWC-Bright House (34,2%) et Cox (8%).

Se diversifier

Sur le fond, l'opération de Patrick Drahi aux Etats-Unis répond à plusieurs objectifs. Primo, l'homme d'affaires de 52 ans l'a toujours dit : il veut se diversifier sur plusieurs marchés. Pour lui, pas question de mettre ses œufs dans le même panier. Ainsi, il espère, à terme, réaliser la moitié de ses revenus au pays de l'Oncle Sam, contre 15% actuellement.

Secundo, le marché du câble américain compte beaucoup de petits et moyens acteurs régionaux. Et ce, pour des raisons historiques, comme nous le rappelle Yves Gassot, le patron du think tank Idate. Mais aujourd'hui, c'est bel et bien la taille qui compte. En pesant plus lourd, les « cablos » se retrouvent ainsi en position de force pour négocier les droits pour diffuser des films, des séries et autres événements sportifs. Or ces dernières années, les prix ont flambés. D'après Vincent Maulay, analyste spécialiste des télécoms chez Oddo Securities, « ces contenus sont très coûteux, de l'ordre de 35 à 40 dollars par mois par abonné, en moyenne ».

Les limites de la « structure managériale »

Reste à savoir quel sera le prochain coup de Patrick Drahi. Va-t-il continuer sur sa lancée, et tenter de ferrer une nouvelle proie aux Etats-Unis ? Vincent Maulay se montre prudent : « Avec Cablevision, il vient de faire un grand bond en avant... Je ne pense pas qu'il fera d'emblée d'autres grosses acquisitions sur ce marché. Toutefois, il pourrait être intéressé par des cibles plus modestes. » Parmi elles, on peut penser à Cox (8% de part de marché), Mediacom (1,8%), WideOpenWest (1,2%) ou encore Cable One (0,8%)...

L'hypothèse est d'autant plus vraisemblable que Patrick Drahi donne l'impression de ne pas vouloir se précipiter d'emblée sur un trop gros poisson. Au mois de mai, il a ainsi estimé que son groupe n'était pas prêt pour avaler TWC - désormais sous la coupe de Charter. « Le financement je l'avais », a-t-il révélé lors d'une audition devant la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale. Mais, d'après lui, Altice n'avait pas, à ce moment-là, « la structure managériale » pour gérer un passage « de 35.000 à 120.000 collaborateurs ». Reste que Patrick Drahi semble dans son bain dans l'actuelle recomposition américaine. Lui qui a consolidé un marché du câble moribond en France, au début des années 2000.

Et maintenant, Bouygues Telecom ou KPN ?

En parallèle, le magnat des télécoms n'a probablement pas dit son dernier mot sur le Vieux Continent. Aux yeux de beaucoup d'observateurs, Bouygues Telecom demeure une cible de choix. Mais il y a aussi KPN, l'opérateur néerlandais. « Pour l'économie et les infrastructures néerlandaises, ce serait une bonne chose si KPN nous appartenait », avait glissé Dexter Goei, le DG d'Altice, au quotidien De Telegraaf, au début de l'été. Après tout, l'appétit vient en mangeant...