Startup : « mieux vaut vivre aux Etats-Unis que mourir en France » ?

Par Delphine Cuny  |   |  1256  mots
« La vallée de la mort est en train de rapetisser. La situation est totalement différente aujourd'hui par rapport à il y a dix ou même cinq ans » fait valoir un porte-parole de Bpifrance.
Marc Simoncini, le fondateur de Meetic et du fonds d’investissement Jaïna Capital, conseille à de jeunes startuppers qui peinent à lever 3 millions d’euros en France à signer avec des Américains et s’installer sur place. La fameuse « vallée de la mort » pour les jeunes pousses voulant lever plusieurs millions reste une réalité, même si la situation a tendance à s’arranger.

La scène est édifiante. Une équipe de jeunes startuppers français, à la recherche de 1,5 million d'euros, explique à un de ses investisseurs, Marc Simoncini, le célèbre fondateur de Meetic devenu business angel, qu'elle peine à lever l'argent et que les fonds américains réclament qu'ils déménagent là-bas. L'entrepreneur connu pour son franc parler leur conseille « Partez ! Il vaut mieux vivre aux Etats-Unis que mourir en France. » Et le reportage de l'émission Capital, diffusé sur M6 dimanche soir, de conclure à « l'immense gâchis du système français qui pousse les startups les plus prometteuses à quitter l'Hexagone », avant d'embrayer sur une jeune pousse partie s'épanouir en Californie. De quoi décourager les dirigeants de Bpifrance qui martèlent qu'il n'y a (presque) plus de problème de financement pour les startups en France.

Il est vrai que ces derniers temps, chaque mois, voire chaque semaine, de jeunes entreprises de la French Tech annoncent des levées de 1 à 2 millions d'euros ou plus, souvent avec la BPI, par exemple Eaysrecrue (2,5 millions), Fabshop (1,2 million), Famicity (2 millions), ou sans la banque publique, auprès de fonds de capital-risque ou de business angels, à l'image de Dayuse (1 million), Amplement (1 million), Chauffeur-privé (5 millions), Lydia Solutions (3,6 millions).

Pitch à Matignon et Xavier Niel au capital

La startup en question dans le reportage s'appelle Wandercraft. Fondée en 2012 par de jeunes diplômés de Polytechnique, elle a conçu un prototype d'exosquelette motorisé permettant à des paraplégiques ou myopathes de remarcher de manière naturelle et sans béquilles. Wandercraft a eu le privilège de « pitcher » à Matignon, devant le Premier ministre et la crème des investisseurs français, en novembre dernier, avec une poignée d'autres startups, où elle avait confié négocier un tour de table de 3 millions d'euros. La jeune pousse de robotique dynamique a déjà levé près d'un million d'euros auprès de business angels, notamment Xavier Niel, le fondateur de Free, via son fonds Kima Ventures, et Jean-Louis Constanza (fondateur de Tele2, ex-Orange Vallée). De bonnes fées sur son berceau qui ne garantissent pas de passer sans encombre à l'étape d'après.

« L'équipe n'a pas envie de s'exiler mais de rester en France ! Le niveau des jeunes ingénieurs et scientifiques, en maths et en robotique, est excellent chez nous. Wandercraft a décidé de tester le financement participatif sur la plateforme Anaxago, pour lever 1,5 million d'euros, en complément d'un tour de table. Cela reste bien sûr plus long et plus compliqué de convaincre des fonds français quand il s'agit d'un produit qui n'existe pas encore » explique à La Tribune Jean-Louis Constanza, qui siège au conseil d'administration.


Pourtant, l'entreprise est « à l'heure sur sa roadmap », son plan de marche, et « montre des prototypes » souligne-t-il, ajoutant que le financement est « en bonne voie.» Les cofondateurs avaient expliqué qu'il leur faudrait encore «un an d'implémentation et un an de certification », espérant une mise sur le marché de leur produit grand public en 2016.

La « vallée de la mort » plus si fatale ?

Comme l'observe Marc Simoncini dans le reportage, Wandercraft se trouve dans la «vallée de la mort », cette phase délicate d'une startup qui a déjà levé un peu d'argent mais a besoin « de trouver les 2 ou 3 millions d'euros pour grossir. » C'est le fameux « equity gap», le manque de financement en fonds propres de 1 à 5 millions d'euros : un ticket trop gros pour les business angels ou les fonds d'amorçage, trop petit pour des fonds de capital-risque.


Un terrain sur lequel Bpifrance, la banque publique d'investissement, intervient de façon ciblée, alors qu'elle a plutôt mis l'accent sur les gros tickets et le changement d'échelle de l'écosystème français. Interrogée, la BPI ne partage pas du tout les conclusions du reportage sur l'avenir plus radieux outre-Atlantique pour les startups françaises.

« La vallée de la mort est en train de rapetisser. La situation est totalement différente aujourd'hui par rapport à il y a dix ou même cinq ans » fait valoir un porte-parole de Bpifrance.

La banque publique d'investissement accorde des prêts-innovation sans contre-partie (entre 500.000 et 3 millions d'euros) et participe à des tours de table mais veut éviter le saupoudrage, préférant miser sur les futurs champions, à l'image de BlaBlaCar, Withings, Sigfox, etc. BPI soutient financièrement un autre projet de R&D d'exosquelette, à usage militaire et industriel, RB3D, dans le cadre du programme d'investissement d'avenir, à hauteur de 3,4 millions d'euros.

« La vallée de la mort existe moins qu'avant, parce qu'il y a plus d'acteurs du financement auxquels s'adresser » considère également Jean-David Chamboredon, le président exécutif d'Isai, le fonds créé par des entrepreneurs de l'Internet, dont Pierre Kosciusko-Morizet (Priceminister) et Geoffroy Roux de Bézieux (Virgin Mobile).

« Le paysage s'est amélioré pour une startup Internet qui aura des besoins de financement modestes et progressifs. En revanche, elle demeure pour des projets ambitieux à forte intensité capitalistique, par exemple dans le secteur des « med tech » (technologies médicales). Pour passer d'une très bonne idée à quelque chose de concret, il faut plusieurs millions d'euros et c'est très difficile à trouver » relève-t-il.

Moins de prise de risque ?

Dans les secteurs plus pointus, les startups ont en effet peu de fonds vers lesquels se tourner en France, les sociétés d'investissement généralistes ne voulant pas prendre de risque dans des domaines qu'elles ne maîtrisent ou ne comprennent pas.

« Les fonds de capital-risque français ont tendance à investir vite et bien dans des domaines connus. Ils demandent à voir du chiffre d'affaires et si possible des bénéfices ! C'est vrai aussi aux Etats-Unis, mais là-bas le volume d'investissement disponible est beaucoup plus élevée, ce qui facilité les levées de fonds sur des produits vraiment nouveaux » analyse Jean-Louis Constanza.


Les Américains investissent 50 fois plus par habitant, les Israéliens 20 fois plus. La concurrence entre startups y est aussi beaucoup plus rude et la SIlicon Valley n'est pas forcément l'eldorado pour une jeune pousse française qui devra parvenir à se faire connaître dans un milieu dont elle ne maîtrise pas les codes. Les VC (venture-capitalists) y sont plus aventureux, mais pas moins exigeants.

Chez Bpifrance, on se montre philosophe : « le système devient encore plus sélectif. Il y aura donc toujours, de plus en plus, de startups qui auront du mal à se financer : c'est normal. » L'objectif n'est « pas uniquement d'arroser les bonsaïs. Il faut aider des champions français à émerger. »

Muscler le capital-risque français

L'équipe de la mission French Tech rattachée à Bercy et le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, Emmanuel Macron, ont bien compris l'enjeu et la nécessité de faire venir des investisseurs américains en France pour combler ce manque de financement. Un fonds de co-investissement avec de grands business angels français, opéré par la BPI, dans le cadre du programme d'investissements d'avenir, d'un montant de quelques dizaines de millions d'euros, sera prochainement lancé, afin de doubler la capacité d'investissement de ces "anges" investisseurs.

Enfin, un concours des meilleures startups de la French Tech doit être organisé à Bercy après l'été avec "les plus grands VC de la planète" a promis Emmanuel Macron, qui espère aussi qu'une partie du fonds Juncker sera orienté vers le soutien au capital-risque européen, afin de faire émerger des fonds de grande taille (plus de 300 millions d'euros), capables de prendre plus de risque.