Télécoms : en marche vers le grand marchandage

Par Pierre Manière  |   |  963  mots
Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free espère notamment bénéficier d’allègements fiscaux en échange d'une accélération des déploiements dans l'Internet fixe ou dans la téléphonie mobile.
Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont pris bonne note de la volonté d’Emmanuel Macron d’offrir un Internet fixe à « très bon débit » à tous les Français à horizon 2020. Mais pour y parvenir et accélérer leurs investissements, ils demandent des contreparties.

Cette semaine, Emmanuel Macron a affirmé qu'il conservait le calendrier du Plan France Très haut débit, qui vise à apporter un Internet fixe ultra-rapide à tous les Français d'ici à la fin 2022. Mais face à la grogne de nombreux Français, qui doivent aujourd'hui se débrouiller dans les campagnes avec un ADSL de mauvaise qualité, le président de la République a fixé un objectif intermédiaire en 2020. Concrètement, à cette date, tous les foyers devront, a minima, disposer d'un « très bon débit ». C'est-à-dire d'une connexion dont le débit est compris entre 3 et 8 mégabits par seconde. D'après Antoine Darodes, le patron de l'Agence du numérique, « près de 5 millions de foyers » sont concernés par cet objectif intermédiaire. Pour y arriver, le gouvernement souhaite, en plus du déploiement de la fibre optique sur tout le territoire, mobiliser d'autres technologies. Parmi elles, il y a notamment la 4G : dans certains cas, celle-ci permet en effet d'offrir une connexion Internet fixe bien supérieure à l'ADSL.

Quoi qu'il en soit, l'objectif d'un « très bon débit » pour tous en 2020 signifie que les opérateurs devront investir davantage dans leurs infrastructures. Mais pour ces acteurs, pas question de dépenser plus d'argent sans contrepartie. Mercredi, lors d'une audition devant la commission d'aménagement du territoire du Sénat, Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free ont clairement indiqué qu'un « nouveau contrat » devait voir le jour avec l'Etat. Du prolongement de la durée des licences d'utilisation des fréquences mobiles à la perspective d'un allègement de la fiscalité, les opérateurs ont détaillé les « carottes » - dixit Antoine Darodes - qui pourraient les décider à en faire plus.

La taxe sur les antennes, « une fiscalité idiote » !

Fraîchement revenu chez Bouygues Telecom après avoir participé à la campagne d'Emmanuel Macron, Didier Casas, le secrétaire général de l'opérateur, n'a pas tourné autour du pot. A ses yeux, l'Etat dispose de « trois leviers » pour que les opérateurs donnent un coup de fouet à leurs déploiements. Premièrement, « nous souhaitons engager avec le gouvernement une discussion sur la possibilité de repousser dans le temps la date de renouvellement des licences d'utilisation des fréquences », a-t-il précisé. D'après lui, cela permettrait au secteur d'investir plus. Indispensables pour les communications mobiles, les fréquences appartiennent à l'Etat, lequel les louent aux opérateurs contre de très gros chèques.

Le second levier, enchaîne Didier Casas, concerne ainsi « le montant des redevances pour ces fréquences ». Régulièrement, les opérateurs se plaignent d'être pris pour des vaches à lait par l'Etat, trop soucieux, d'après eux, de les faire payer le prix fort à chaque vente aux enchères. Ainsi, fin 2015, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont déboursé pas moins de 2,8 milliards d'euros pour de nouvelles fréquences 4G. Le troisième levier, lui, concerne la fiscalité. Ici, les opérateurs télécoms appellent depuis longtemps à un plafonnement d'un impôt spécifique sur les antennes mobiles. « C'est la plus idiote des fiscalités, s'emporte Didier Casas. [Avec elle], plus nous déployons, plus nous payons ! »

Des investissements colossaux

Raccord avec Bouygues Telecom, Pierre Louette, le directeur général délégué d'Orange, estime ces « incitations » nécessaires pour que les opérateurs soutiennent l'objectif du gouvernement. D'après lui, il serait aussi bon que les élus, les collectivités et les administrations leur facilitent la vie. « En France, il faut deux ans en moyenne pour obtenir une autorisation pour installer un pylône [de téléphonie mobile], affirme-t-il. En Allemagne, on n'a besoin que de quatre mois... »

Pour justifier ces contreparties à une accélération des investissements, Régis Turrini, le secrétaire général de SFR, juge que l'industrie des télécoms en fait déjà beaucoup. « Ce qu'il faut comprendre, a-t-il déclaré, c'est que les opérateurs font aujourd'hui un considérable effort d'investissement. En 2016, ils ont investi 9 milliards d'euros, soit 22% de leur chiffre d'affaires. C'est énorme ! Surtout que ces 9 milliards ont été investis dans un contexte hyper-concurrentiel de revenus décroissants... »

« L'Etat doit être raisonnable »

Malgré ces arguments, les sénateurs de la commission d'aménagement du territoire se sont montrés très critiques. Relayant « la colère » de nombreux Français insatisfaits de leur accès Internet fixe ou de leur réseau mobile, beaucoup ont jugé que les opérateurs n'étaient pas dignes de confiance. « Vous ne pensez qu'à faire de l'argent ! », a même canardé une sénatrice communiste, nostalgique du temps où France Télécom était un monopole d'Etat. Ce qui a fait, d'emblée, sortir Didier Casas de ses gonds : « Certains nous disent que nous ne nous intéressons qu'à l'argent. Eh bien désolé, mais nous sommes des entreprises ! Ça peut arriver !  Et les entreprises payent des impôts, c'est utile aussi... »

Très remonté, le secrétaire général de Bouygues Telecom a ensuite pesté contre les « objectifs de politiques publiques contradictoires » qui empoisonnent, d'après lui, le secteur. A ses yeux, l'Etat ne peut pas à la fois demander plus d'investissements pour « aménager le territoire », tout en poussant les prix des abonnements à la baisse, et en considérant, de surcroît, les opérateurs « comme des bases taxables, comme des gens avec des poches profondes ». A ce sujet, Didier Casas en veut toujours au précédent gouvernement d'avoir mis les opérateurs à contribution pour financer FranceInfo, la nouvelle chaîne d'info publique. Avant de conclure : « Nous voulons bien avoir les épaules larges, [...] mais très honnêtement, il faut [que l'Etat soit] raisonnable. » Reste que dans ce contexte, les négociations avec le nouveau gouvernement s'annoncent agitées.