5G : les attentes des industriels se heurtent à la réalité des déploiements

Par Pierre Manière  |   |  887  mots
En France, la 5G doit voir le jour dans le courant de l'année prochaine. (Crédits : Yves Herman)
D’après une enquête du Capgemini Research Institute, la plupart des cadors de l’aérien, de l’énergie ou encore des transports souhaitent adopter la 5G sans traîner. A leurs yeux, cette technologie sera stratégique pour innover, commercialiser de nouveaux services, et améliorer leurs processus de production. Pour ne pas prendre de retard, et ne pas dépendre des longs déploiements des opérateurs télécoms, certains militent pour avoir leurs propres licences 5G.

Les industriels en sont visiblement convaincus : la 5G sera un levier clé, ces prochaines années, pour préserver et doper leur compétitivité. C'est du moins ce qu'il ressort d'une étude de Capgemini Research Institute. Dans cette enquête publiée la semaine dernière, les services du cabinet de conseil et spécialiste des services informatiques ont interrogé 800 dirigeants d'entreprises industrielles dans douze pays (dont les Etats-Unis, l'Allemagne, la France, la Corée, l'Espagne ou l'Italie), issus de différents domaines d'activités (l'aéronautique, l'automobile, l'énergie, la logistique, les hautes technologies, ou l'industrie pharmaceutique). Pour la plupart d'entre eux, la 5G constitue un virage à ne surtout pas manquer. Ainsi, « deux tiers des industriels (65%) envisagent de mettre en œuvre la 5G dans les deux ans suivant son déploiement », souligne Capgemini Research Institute. Mieux, « ils sont plus d'un quart en Italie (35%), en France (30%) et au Canada (27%) à avoir l'intention d'utiliser la 5G dès la première année ».

Pourquoi? Parce que pour plus de la moitié des dirigeants, la 5G est synonyme d'« une sécurité des opérations renforcée », ainsi que d'une « efficacité opérationnelle accrue » ouvrant la voie à « une réduction des coûts ». « Grâce à la 5G, ils espèrent rendre possibles ou optimiser des cas d'usage tels que l'analytique en temps réel, la vidéosurveillance, le contrôle à distance de production décentralisée, la commande de mouvements à distance ou par intelligence artificielle, les opérations à distance via la réalité virtuelle ou augmentée », détaille Capgemini Research Institute. Signe de l'appétence des industriels pour la 5G, près de trois dirigeants sur quatre se disent même déjà prêts à payer plus cher pour disposer d'un service premium.

Pas de « vraie » 5G avant plusieurs années

Mais si leurs attentes sont fortes, ils redoutent que l'offre ne soit pas au rendez-vous. Pour beaucoup d'industriels, les plans de déploiement de la 5G des opérateurs télécoms ne leur permettront pas d'en profiter suffisamment tôt. En France par exemple, la 5G, qui doit arriver dans le courant de l'année prochaine, ne sera pas disponible tout de suite sur tout le territoire. Les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free vont d'abord se concentrer sur la couverture des grandes villes, avant, dans un second temps, de s'attaquer à celle des territoires moins denses et ruraux. Cela chagrine certains industriels dont les complexes sont très éloignés des grands centres urbains.

D'autre part, la 5G sera d'abord disponible dans une version dite « non standalone ». Celle-ci, qui s'appuiera sur le réseau 4G existant, permettra surtout des débits beaucoup plus élevés. Mais il faudra encore attendre plusieurs années pour voir émerger la « vraie » 5G, estampillée « standalone », dont les caractéristiques sont très attendues par les industriels. Parmi elles, il y a notamment le « network slicing », qui permet d'adapter au mieux les ressources du réseau à différentes applications avec une grande qualité de service. Une innovation très attendue pour développer des usages sensibles (la médecine à distance, la robotique industrielle ou la voiture autonome), qui nécessitent des temps de réponse ultra-courts et une fiabilité à toute épreuve.

(Crédits: Capgemini Research Institute)

« Alors que de nombreux industriels souhaitent adopter la 5G dans les deux ans qui suivront l'apparition de cette technologie, les opérateurs télécoms affirment qu'il faudra attendre au moins cinq ans pour voir des fonctionnalités comme le 'network slicing' ou la 'qualité de service garantie' adoptées à grande échelle », insistent les auteurs de l'étude de Capgemini Research Institute. Selon eux, c'est la raison pour laquelle certains groupes militent pour disposer de leurs propres licences et fréquences 5G pour s'offrir, là où ils en ont besoin, de réseaux privés d'emblée à la hauteur de leurs exigences. Selon Capgemini Research Institute, un tiers des industriels sondés sont dans ce cas.

Mais tous ne pourront pas disposer d'une licence. En France, en raison notamment d'une quantité de fréquences 5G disponibles moindre que dans d'autres pays, l'Etat a choisi de réserver cette technologie aux Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. « Pour la 5G, le gouvernement a fait le choix de donner la main aux opérateurs, a rappelé le mois dernier Sébastien Soriano, le président de l'Arcep, le régulateur des télécoms. Ceux-ci vont avoir l'opportunité de valoriser des services aux entreprises. » Pour justifier ce choix, Sébastien Soriano a aussi déploré que les entreprises françaises n'aient pas saisi l'opportunité offerte par son institution de tester de nouveaux services et usages liés à la 5G.

Aux Etats-Unis ou en Allemagne, une stratégie différente a été adoptée. Outre-Rhin, l'Etat a fait le choix - au grand dam des opérateurs télécoms ! - de réserver une partie des fréquences 5G aux industriels. Une initiative saluée par de nombreux grands groupes. « Nous sommes en plein développement de l'industrie 4.0, nous ne pouvons pas attendre que les opérateurs télécoms soient prêts », a affirmé un porte-parole du géant Siemens à Capgemini Research Institute.