
La préparation de la France à l'arrivée de la 5G n'est pas un long fleuve tranquille. Cette nouvelle technologie de communication mobile, qui fera son apparition dans l'Hexagone à compter de l'année prochaine, suscite des débats électriques et des bras de fer, mêlant des intérêts économiques, politiques et sécuritaires. Des opérateurs (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free) au régulateur des télécoms (l'Arcep), en passant par le gouvernement, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), tous les acteurs sont sur le pied de guerre. Les priorités des uns n'étant pas celles des autres.
L'un des dossiers les plus explosifs concerne la place de Huawei. Leader dans la 5G, l'équipementier chinois suscite une grande méfiance des services de renseignement, qui redoutent que ses infrastructures soient utilisées à des fins d'espionnage pour le compte de Pékin. Officiellement, l'exécutif affirme que le géant chinois des télécoms a toute sa place en France. Pas question de l'interdire. Et donc de s'aligner sur Washington, qui a banni Huawei de ses réseaux mobiles et mène une croisade pour déstabiliser le groupe chinois. Mais en réalité, la position française n'est pas claire. À travers une proposition de loi sur la sécurisation des réseaux, aussi appelée « loi Huawei » même si le gouvernement réfute cette étiquette, l'exécutif cherche à limiter l'influence du groupe chinois dans les infrastructures 5G.
Ce texte, voté mi-avril à l'Assemblée nationale en attendant le Sénat début juillet, vise à donner de nouveaux pouvoirs à l'Anssi - qui dépend du SGDSN, lui-même sous la houlette de Matignon. Concrètement, un grand nombre d'équipements et de logiciels utilisés dans les réseaux mobiles seront soumis à autorisation préalable de l'agence. Les opérateurs craignent de se retrouver dos au mur si leurs équipements étaient retoqués, ce qui pourrait leur faire prendre du retard dans la 5G, mais aussi dans la 4G, dont le déploiement se poursuit dans les zones rurales.
Entre non-dits et dispositions opaques
Surtout, les opérateurs télécoms redoutent que l'État, sous couvert de vouloir protéger les réseaux 5G en arguant qu'ils reposent sur une technologie nouvelle, cherche en fait à interdire ou à limiter très fortement Huawei sans le dire. Si le groupe chinois se retrouvait sur la touche, ils craignent d'en payer la note dans leurs appels d'offres pour les infrastructures 5G, du fait d'une moindre concurrence entre les équipementiers. En outre, SFR et Bouygues Telecom, qui utilisent en partie des matériels Huawei dans leurs réseaux mobiles actuels, pourraient être contraints de les démonter pour passer leurs antennes en 5G. Ce qui leur coûterait du temps et de l'argent. Selon une note interne publiée par le GSMA, le lobby des opérateurs télécoms, une interdiction d'utiliser des équipements chinois comme ceux de Huawei pourrait coûter très cher au secteur européen, jusqu'à 55 milliards d'euros.
Une autre disposition de la loi Huawei fait jaser certains opérateurs. À travers ce texte, l'exécutif veut veiller à ce que ces derniers ne recourent pas aux mêmes équipementiers dans les mêmes territoires. Car si Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free utilisaient le même fournisseur sur une même plaque géographique, le risque d'un blackout serait grand en cas de cyberattaque. En avril dernier, Orange et SFR se sont insurgés, dans nos colonnes, contre cette disposition jugée « anti-concurrentielle ». Selon eux, elle pourrait les obliger à travailler, dans une zone donnée, avec un équipementier dont ils ne veulent pas, simplement parce qu'il est différent de ceux de leurs rivaux.
Bref, face à certains non-dits et à des dispositions opaques, les opérateurs veulent connaître les règles du jeu.
Lors d'une audition au Sénat la semaine dernière, Sébastien Soriano, le président de l'Arcep, a convenu qu'aujourd'hui « l'Arcep, et le secteur des télécoms de manière générale, est encore en attente d'éléments de clarification... Nous appelons à ce qu'il soit dit le plus vite possible aux opérateurs quelle est la règle du jeu en matière d'implantation d'équipements, et d'identité des équipementiers - et là je ne vais pas prononcer le mot Huawei... - en fonction des différents territoires », a-t-il poursuivi.
Inquiétude sur les enchères 5G
Un autre dossier, brûlant lui aussi, préoccupe le monde des télécoms. Il s'agit du montant que les opérateurs devront débourser pour acquérir leurs fréquences 5G via des enchères prévues à l'automne. Le gouvernement a deux possibilités. Il peut suivre une logique financière, et saisir cette opportunité pour encaisser un gros chèque bienvenu en ces temps de disette budgétaire.
Pour ce faire, l'exécutif peut forcer les opérateurs à payer très cher les fréquences, en fixant, lors des enchères, un prix de réserve très élevé. Mais dans cette hypothèse, la couverture du pays en 5G en pâtira. Comme les opérateurs le répètent en chœur : un euro dépensé en fréquences, c'est un euro de moins pour les infrastructures mobiles. A contrario, l'exécutif peut privilégier une logique d'aménagement du territoire. Dans ce cas, il peut se montrer moins gourmand, prendre moins d'argent aux opérateurs. En contrepartie, le gouvernement pourra leur demander, via des obligations inscrites dans leurs licences, d'investir plus vite et plus fort dans le pays. Y compris dans les zones moins denses, où les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont peu, voire pas, d'intérêt économique à aller.
Vendredi dernier, au forum Telco & Digital du quotidien Les Échos, Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances, a affirmé que l'État se montrerait raisonnable.
« On ne fera pas le choix de maximiser le profit immédiat » car « cela retarderait la capacité des opérateurs à déployer », a-t-elle indiqué.
Mais du côté des opérateurs, la méfiance est de mise. D'autant qu'en Allemagne les enchères 5G, même si elles portent sur davantage de fréquences qu'en France, s'éternisent et ont passé la barre des 6,4 milliards d'euros ! « Mon intuition, c'est que, dans le contexte actuel des finances publiques, l'objectif de maximisation des ressources budgétaires doit être important », a déclaré Stéphane Richard, le PDG d'Orange, en marge de l'inauguration d'un data center en Normandie le mois dernier. Alors que les analystes financiers sondés par La Tribune estiment que les enchères 5G pourraient atteindre entre 2,5 et 3 milliards d'euros, il a jugé cette fourchette « plausible ».
Un risque de faibles obligations de couverture du territoire
De son côté, l'Arcep estime que ce montant est trop élevé. Selon nos informations, le régulateur se préparerait même à monter au créneau si le gouvernement devait se montrer trop gourmand. L'institution redoute qu'en échange d'autant d'argent l'exécutif fixe de faibles obligations de couverture du territoire aux opérateurs. Dans ce cas, les campagnes et zones les moins peuplées du pays pourraient de pas avoir de 5G avant de longues années.
Dans le cadre du déploiement de cette technologie, l'Arcep souligne que les fréquences mises en vente sont « hautes », avec une moindre portée que les fréquences basses. « Elles ne sont structurellement pas adaptées à faire beaucoup de couverture du territoire », a rappelé Sébastien Soriano lors de son audition au Sénat. En conséquence, pour que les zones rurales bénéficient au plus vite de la 5G, il y a « un défi politique, qui est de savoir quelles sont les fréquences que les autorités souhaitent attribuer au secteur des télécoms », a-t-il lancé, en pointant du doigt que des fréquences basses sont aujourd'hui utilisées pour la télévision numérique terrestre (TNT). « À un horizon pas tout proche, est-ce que ces fréquences ne seraient pas plus utiles à faire de la 5G ? », s'est-il interrogé, dans un contexte où les Français utilisent de moins en moins la TNT, au profit des box Internet, pour regarder la télévision.
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