« Dans la 5G, le retard que prend l’Europe est grave »

Par Pierre Manière  |   |  699  mots
Aujourd'hui, la 5G est perçue comme la technologie qui permettra de donner un grand coup d'accélérateur à l'Internet des objets. (Crédits : Reuters)
Selon le think tank Idate, les investissements européens dans les télécoms et la prochaine génération de communication mobile sont insuffisants au regard de ceux consentis, notamment, par les États-Unis.

Si beaucoup d'opérateurs européens se montrent officiellement sereins concernant l'arrivée de la 5G, les observateurs sont de plus en plus nombreux à tirer la sonnette d'alarme. Lors d'une conférence de presse, ce jeudi 8 novembre, le think tank Idate s'est montré très inquiet. Pour Jean-Luc Lemmens, son directeur du pôle médias et télécoms, « le retard que prend l'Europe dans la 5G est grave ». À ses yeux, le problème est que le Vieux Continent n'investit pas assez.

Graphe à l'appui, il affirme que l'investissement par habitant dans les télécoms s'élève à 194 euros aux États-Unis, contre 92 euros en Europe. Résultat, selon lui, « il manque 50 milliards d'euros d'investissement par an dans l'Union européenne » pour que le Vieux Continent fasse jeu égal avec le pays de l'Oncle Sam.

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(Crédits: Idate)

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Un rattrapage est-il néanmoins possible ? À ce sujet, Jean-Luc Lemmens se montre pessimiste. « On ne voit pas le levier de court terme qui permette de compenser ce retard », dit-il. Si la situation restait comme elle est, le retour de bâton pourrait être violent pour l'économie européenne. Jacques Moulin, le directeur général de l'Idate, rappelle que la 5G ne concernera pas qu'un grand public accro aux smartphones, aux vidéos en ligne et autres applis toujours plus gourmandes en bande passante. Cette technologie a aussi vocation à servir les industriels de tous les secteurs d'activités désireux, par exemple, de saisir les opportunités de l'Internet des objets.

Sous ce prisme, c'est tout le tissu économique européen qui pourrait pâtir d'un retard dans la 5G.

« Si demain l'Internet des objets, via la 5G, devient un 'must have', les grands groupes industriels iront s'installer là où les infrastructures se trouvent », insiste Jean-Luc Lemmens. Lequel en remet une couche : « Est-ce-que, aujourd'hui, vous iriez vous installer dans une ville où il n'y a pas d'électricité ? Bien sûr que non. »

« Un risque évident de déclassement »

Avec cette sortie, l'Idate vient allonger la liste des observateurs et spécialistes inquiets que l'Europe, qui a raté le coche de la 4G, manque celui de la 5G. Au mois de septembre, Sébastien Soriano, le président de l'Arcep, le régulateur des télécoms, s'est montré très préoccupé.

« La 5G sera un saut technologique, a-t-il affirmé dans nos colonnes. Il est certain que ce sera un facteur de compétitivité essentiel pour l'attractivité des capitaux, des talents... Pour l'Europe, il y a donc, à mes yeux, un risque évident de déclassement. »

En parallèle, Sébastien Soriano a jugé que les grands opérateurs français (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free) n'en faisaient pas assez :

« Peut-être que certains d'entre eux ne sont pas très pressés de lancer la 5G... Mais ça, c'est leur problème, c'est leur stratégie. Le pays, lui, doit se doter d'infrastructures car il y a des enjeux de compétitivité majeurs. J'invite donc les opérateurs à se mobiliser pour être au rendez-vous de la 5G. »

Les moyens limités des opérateurs européens

Quoi qu'il en soit, le différentiel d'investissements dans les télécoms entre les États-Unis et l'Europe pose une question : celle des moyens financiers des opérateurs européens. Ou, autrement dit, des bénéfices qu'ils tirent de leurs abonnements et de leurs services. De manière générale et contrairement à leurs homologues américains, les opérateurs européens ont vu leurs revenus diminuer fortement après des années de guerres des prix.

En France, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Iliad sont, aujourd'hui encore, à couteaux tirés. Six ans après l'arrivée de Free Mobile et de ses offres à prix cassés, les quatre cadors du secteur continuent de se rendre coup pour coup, à grand renfort de promos, pour conserver leurs parts de marché. Un contexte qui les empêche, mécaniquement, de dépenser davantage d'argent dans les réseaux de demain. D'autant qu'ils sont déjà confrontés à un mur d'investissements dans la fibre et la 4G.

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