Vent de fronde à Sciences po

Richard Descoings, le médiatique directeur de l'école de la rue Saint Guillaume à Paris, fait face au mécontentement d'enseignants qui redoutent une privatisation. Les finances de l'institution sont sous tension.

La fronde sourd à Sciences Po, l'Institut d'études politiques de Paris.. Depuis janvier, des "contributions" d'enseignants-chercheurs permanents, conduits par l'historienne Claire Andrieu et le sociologue politique Philippe Braud, circulent en interne pour dénoncer la "réforme permanente des filières" depuis dix ans, "la complexité et l'instabilité des procédures de consultation et de décision" jugées "opaques ou autoritaires" ou encore leur "mise sous tutelle".

Une révolution ? Non une révolte. De velours. Car dans la vénérable institution de la rue Saint-Guillaume, hausser le ton n'est pas de mise. Il y a ceux qui roulent pour son médiatique directeur, Richard Descoings. Et ceux qui n'adhèrent pas à son système de gouvernance. Ceux là se taisent... ou partent. On ne critique pas cet Etat dans l'Etat : les anciens sont si nombreux à essaimer les couloirs de la haute fonction publique, de la finance, des media... D'autant que, depuis son arrivée en 1996, Richard Descoings a eu le mérite de dépoussiérer la "belle endormie". Tous sont unanimes pour qualifier de "formidable" son action.

"Je me suis vite rendu compte que c'était le meilleur", se rappelle Alain Lancelot, directeur de Sciences Po de 1986 à 1996, qui l'a désigné comme son successeur (avant nomination par le président de la république). Dès lors, le jeune et fringant conseiller d'Etat, énarque, enchaîne les réformes. Il ouvre Sciences Po à la diversité, rénove les filières, multiplie les masters professionnels (journalismes, carrières judiciaires... 14 aujourd'hui), premier pas vers de futurs "collèges" à l'anglo-saxonne.

"Ce schéma est compréhensible dans le monde, estime Richard Descoings. D'ici à 2013, nous aurons six à sept écoles." Et dans le cadre du projet de campus parisien "Paris Cité", il réfléchit à des doubles cursus (notamment un médecine-sciences politiques avec Paris V). Il ouvre cinq premiers cycles délocalisés thématiques (deux autres vont ouvrir à Reims et Angers). Il réfléchit à la suppression du concours d'entrée et révise la grille des droits de scolarité pour favoriser "la redistribution interne". Mais aussi et surtout pour augmenter ses ressources propres, alors que le nombre de ses étudiants explose : 8.600 aujourd'hui contre 5.600 en 2006...

Une obsession : grimper dans les classements mondiaux

Ce point est l'objectif numéro un de la direction. Sciences Po a besoin d'argent frais pour financer sa croissance, rivaliser à l'international, recruter les meilleurs enseignants-chercheurs, explique Jean-Emmanuel Combes, président de l'Association des anciens élèves. Car l'obsession de Richard Descoings est de grimper dans les classements mondiaux, notamment le Times Higher Education Supplement) qui relègue Sciences Po au 105ème rang quand la London School of Economic (LSE) caracole à la 4ème place. Or, dans sa note de juillet 2008, l'agence Fitch Ratings pointe le peu de flexibilité budgétaire et la fragilité financière de Sciences Po qui a puisé en moyenne 5,4 millions d'euros dans ses réserves entre 1999 et 2004 pour financer ses investissements.

Par ailleurs le prêt à trente ans de 45 millions d'euros contracté auprès de Dexia pour l'achat en 2005 du siège de l'ENA "ne permet pas de reconstituer une marge de manoeuvre suffisante pour assurer le développement futur, qui dépendra de l'autofinancement ou de l'accroissement des dotations publiques", note l'agence de notation. En l'occurrence, Richard Descoings a choisi : ce sera l'autofinancement.

Le statut particulier de Sciences Po acquis en 1945 lui donne une précieuse marge de man?uvre : c'est la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), de droit privé, qui assure la gestion administrative et financière de l'établissement public qu'est l'Institut d'études politiques de Paris. Plus de place sera donc accordé au privé. La dotation de l'Etat doit ainsi descendre à 49% cette année (contre 80% il y a vingt ans). "Je ne veux pas que l'Etat reste majoritaire", insiste Richard Descoings.

D'où la rationalisation des locaux, qui doit permettre à l'école à la fois d'absorber les nombreux élèves et de devenir moins dépendant de l'Etat. L'IEP loue aujourd'hui 38 sites sur 44. Dix-sept ont été abandonnés grâce au rachat du siège de l'ENA. Cinq à dix autres, soit 1,5 à 2 millions d'euros de loyer annuel (sur un total de 5,9 millions d'euros par an), vont l'être avec la location de l'ancien siège des Ponts et Chaussées. Sciences Po bénéficie pour ce vieil hôtel particulier de 10.200 m2 d'un bail emphytéotique de vingt ans à prix très préférentiel (353 euros TTC le m2 par an) assorti d'une option d'achat (La Tribune du 1er avril). Objectif : réduire d'ici à 2012 à 0 la contribution de l'Etat aux loyers (3,3 millions d'euros en 2008).

Il va donc lui falloir diversifier ses sources de revenus, l'apport des entreprises (mécénat, contrats de recherche, taxe professionnelle, formation continue, ...) ne pesant que 10% des ressources propres et les droits de scolarité que 22%. Pour cela, une vaste campagne de levée de fonds a été lancée fin 2007 qui devrait rapporter 1,5 million d'euros cette année contre 1 million en 2008 (dont un don de particulier de 440.583 euros) et 400.000 en 2007. Il est même allé chasser récemment en terres britanniques et américaines. "Nous avons eu un don de 200.000 dollars et une promesse de 100.000 dollars qui pourrait être prorogées."

Mais voilà, cette croissance tous azimuts n'est pas du goût de tout le monde. Nombreux sont ceux qui pointent le mélange des genres entre public et privé, de plus en plus mis à contribution (par exemple, les entreprises qui parrainent les conventions ZEP versent plusieurs milliers d'euros à Sciences Po par élève). "Sciences Po est devenu une usine à gaz", juge un professeur, craignant à terme une "privatisation de fait".

Autre revers, relevé lors de son évaluation de juillet 2008, un corps enseignant permanent trop faible. De fait, les 230 enseignants et chercheurs permanents pèsent peu face aux 2.700 intervenants extérieurs. Et le recrutement prévu de trente enseignants-chercheurs supplémentaires d'ici à 2013 ne suffira pas à rétablir l'équilibre.

Système "autocrate"

Pour les universitaires, croissance et réformisme à tous crins favorisent "l'opacité, l'anonymat, donc la hiérarchie". En privé, les langues se délient et évoquent un système autocrate où la concertation n'a pas sa place. "L'administration a le monopole de la définition et de la construction des programmes", déplore un professeur. Il y a aussi le décalage entre les vacataires et les 700 salariés de la fondation aux contrats de droit privé et les enseignants-chercheurs rémunérés - faiblement - par l'Etat.

Selon un document de 2005 que La Tribune s'est procuré, Richard Descoings, haut fonctionnaire détaché, pointe par exemple à 17.500 euros brut mensuels, son épouse, directrice adjointe, à plus de 7.000 euros, d'autres à 5.000 euros. Des salaires jugés exorbitants comparé à ceux qui prévalent dans les universités où les présidents culminent péniblement à 4.000 euros bruts. A cela s'ajoute des modulations de services et des primes discrétionnaires entretenant le silence.

"Certains universitaires permanents ne font que 20 heures de cours au lieu des 192 dues par an, d'autres ont une prime, d'autres non, on ne sait pas pourquoi", note ce professeur. Richard Descoings se défend : "Quand je suis arrivé, Sciences Po a repris mon traitement de 11.000 euros de conseiller d'Etat plus 15% et j'ai été augmenté depuis à l'aune de mon travail. Mon salaire est fixé par le comité des rémunérations que j'ai mis en place. Quant aux chercheurs de Sciences Po, ils sont certes mieux rémunérés que ceux du CNRS. En contrepartie, ils s'investissent beaucoup dans l'institution. J'ai traité cette question en conseil scientifique, réagit Richard Descoings. Que veut-on, un système non égalitaire et caché ? Des rémunérations en fonction du travail ou l'Omerta ?"

Justement, ce système favorise la loi du silence, jugent certains professeurs. "Descoing est un véritable chef d'entreprise, c'est pour cela qu'il bouscule, réagit Jean-Emmanuel Combes. Mais c'est indispensable." Les conseil d'administration, de direction et scientifique sont vus comme de simples chambres d'enregistrement et la nomination de fidèles ou de personnalités permettant de cultiver un large réseau médiatique et politique entretient le système.

Richard Descoings, ancien collaborateur de Michel Charasse et de Jack Lang, plutôt réputé de gauche, a épousé en 2004 Nadia Marik, responsable à l'UMP, qu'il a nommée directrice adjointe. Le fils de François Goulard, ex-ministre de l'enseignement supérieur qu'il a réussi à convaincre du bien fondé des expérimentations dans les lycées, s'occupe des relations presse de l'école...

Ceux qui s'émeuvent en privé se gardent pourtant de toute critique publique, craignant de perdre un poste qui, s'il rapporte peu d'argent, contribue au prestige de celui qui l'occupe. Dans ce contexte, Richard Descoings briguera-t-il en 2011 un quinquennat ou cèdera-t-il aux sirènes d'un maroquin ministériel ? Même son mentor Alain Lancelot, qui s'est limité à deux mandats, juge qu'il a fait son temps. Le nom de Laurent Bigorne comme éventuel successeur circule. Nommé par Richard Descoings directeur des études à 28 ans, directeur adjoint à 32, il est parti en 2008, à 33 ans, seconder le directeur de la LSE, Howard Davies. "He will be back", avait alors commenté Richard Descoings sur son blog...

Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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FERMEZ SCIENCE PO et l'ENA QUI ONT PRODUITS CES VRAI FAUSSES élites QUI n'ONT RIEN VU VENIR et se sont FAITES AVOIR COMME DES PETITS ENFANTS GATéS - cES ECOLES ONT FABRIQUé des "ERREURS" !!! c'est comme un cnnard boiteux de l'industrie, il vaut mieux...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Excellent article !!!

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