Diversité : «ce que je soumettrai au Président de la République le 7 mai»

En exclusivité pour La Tribune, Yazid Sabeg lève le voile sur ses 90 recommandations.

La Tribune - En ces temps de crise économique, la lutte pour la diversité et l'égalité des chances est-elle vraiment une priorité ?

Yazid Sabeg - Bien sûr que oui. La crise économique aura de lourdes conséquences sociales. Tous les Français en ressentiront ses effets, mais ceux pour lesquels ils seront les plus graves ce sont les plus fragiles, qui font justement l'objet de discriminations. Il ne faut jamais relâcher nos efforts contre les discriminations, surtout en temps de crise, le risque est grand que ressurgissent de vieux démons. N'oublions pas les enseignements de l'histoire. De plus, je suis de ceux qui considèrent que le progrès social est essentiel pour nourrir la reprise économique et l'amplifier.

 - On observe des phénomènes de rejets des immigrés ailleurs en Europe. Aux Pays-Bas, le parti du populiste Geert Wilders est en tête dans les sondages. Pas en France...

 - D'abord, cessons de toujours réintroduire la gestion des flux migratoires au centre des questions de diversité. Les sujets sont liés, mais il y a en France des français qui sont renvoyés à des origines supposées, à raison par exemple de leur couleur de peau, alors qu'ils n'ont migré de nulle part. Il est temps de les traiter comme des français à part entière et cesser de les confondre avec les migrants. Pour ce qui est de l'insertion des migrants et de leurs enfants, l'Europe compte une grande variété de situations historiques, culturelles et sociales. Tout le monde n'apporte pas les mêmes réponses. Ce qui est sûr, c'est qu'en idéologisant ces questions, on crée des tensions de toutes natures. C'est le cas aux Pays Bas. En France, il y a un consensus sur l'exigence de justice et d'égalité, même si beaucoup reste à faire.

 - Regrettez-vous l'absence de traitement au niveau européen des problèmes de discrimination ?

 - Non. Des principes s'imposent qui découlent de la convention européenne des droits de l'homme. Notre législation anti-discriminatoire, très complète, doit beaucoup à l'impulsion des directives communautaires. L'insertion des migrants et la diversité s'imposent également comme des sujets essentiels à Bruxelles. Les pays qui me semblent sur la bonne voie sont le Royaume-Uni et le Portugal par exemple. Les deux pays ont connu tout comme la France une modification de leur peuplement au cours des dernières années. Il y a dans ces pays de vrais débats sur ces questions et les anglais veulent mettre un terme à la simple juxtaposition des communautés. Les minorités y revendiquent l'égalité de traitement. En France nous avançons, mais à un rythme qui n'est à la hauteur ni des enjeux, ni des principes que l'on affiche sans toujours vérifier s'ils sont effectivement appliqués. Notre République proclame plus qu'elle ne fait. C'est tout le sens du changement proposé par le Président dans son discours du 17 décembre 2008.

 - Faut-il pour mesurer la diversité et établir ce que certains appellent des « statistiques ethniques » ? N'est ce pas un coup de canif dans notre modèle républicain qui affirme que tous les Français sont égaux ?

- Le coup de canif à notre modèle, ce sont les discriminations, et non la perspective de meilleurs outils de connaissance. Je récuse la formule de « statistiques ethniques » que je n'ai jamais employée et qui ne correspond pas à ce dont nous avons besoin. Ceux qui l'utilisent font une fixation maladive sur l'ethnicité, alors qu'il y a d'autres dimensions de la diversité, sociale, homme/femme... Parmi toutes ces dimensions la question ethnique est sensible, et je recommande effectivement qu'on puisse mieux l'observer, en garantissant la liberté et la protection de chacun, grâce à l'anonymat et au volontariat, sans recensement et sans « fichiers » bien sûr. C'est une des recommandations - une parmi 90 - que je soumettrai au Président de la République le 7 mai. Il n'y a rien là qui remette en cause le modèle républicain, au contraire. Tous les français sont égaux et il faut s'assurer qu'ils soient effectivement traités également. Je suis convaincu que la diversité est un indicateur utile - ce n'est pas le seul - pour le vérifier. Ces enquêtes seront un instrument de preuve des discriminations indirectes pour les plaignants, qui sont aujourd'hui démunis. Elles permettront de constater nos avancées et nos échecs, de faire porter nos efforts là où sont les besoins. Nous ne pouvons plus nous priver d'un outil de mesure mieux adapté à la réalité du corps social, et j'ai demandé à des personnalités qualifiées de nous dire comment procéder.

 - La Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) vient de demander la levée de toutes les conditions de nationalité pour les emplois réservés des trois fonctions publiques et de certains secteurs de la défense. Au total 7 millions d'emplois sont concernés. La soutenez-vous ?

 - La condition de nationalité a été établie pour des raisons précises. Elle ne peut être réduite à une simple discrimination. Elle ne peut être balayée d'un revers de la main. Je ne trouve rien de choquant aux conditions de nationalité pour ce qui relève directement ou indirectement de prérogatives de puissance publique, de souveraineté, de sécurité. Il faut sûrement en toiletter la liste, lorsque le critère de nationalité est manifestement injustifié ou abusif, mais on ne peut pas démanteler tout le dispositif. Enfin et surtout, cette question récurrente ne doit pas servir de rideau de fumée pour occulter nos retards sur les vrais sujets. Je ne voudrais pas qu'au moment où au sommet de l'Etat on se saisit enfin de la difficile question des discriminations, notamment celles qui résultent de la diversité du peuple français, on restreigne le sujet à l'éternelle figure de l'étranger, ce serait trop commode.

 - Cette position est-elle un exemple des divergences entre vous et Louis Schweitzer, le président de la HALDE ?

- Il n'y a aucune divergence. Sur de nombreux points, j'observe que Louis Schweitzer s'est plutôt rapproché de mes positions. Nous sommes tous deux du même côté de la ligne du combat de la lutte contre les discriminations.

 - Le successeur de Louis Schweitzer devrait-il être issu d'une minorité ?

 - Ce n'est pas une obligation. Toutefois je pense qu'on comprend mieux les discriminations lorsqu'on les a soi-même subies.

 - Est-ce que cette promotion de la diversité passe par une réforme de notre système éducatif ?

 - C'est la priorité. Il faut rendre notre école plus qualifiante pour favoriser l'accès des jeunes au premier emploi. Aujourd'hui, 700.000 jeunes quittent tous les ans l'école, plus de 100.000 d'entre eux sont sans qualification. Plus de 17% de la jeunesse française quittent le système éducatif sans diplôme. Quel gâchis ! Après trente ans de plans divers et variés, nous savons que les réponses ponctuelles ne marchent pas. Nous devons opter pour des mesures globales et structurelles : porter la durée de la scolarité ou de la formation de 16 à 18 ans, diversifier les voies d'accès aux formations d'élite, en revalorisant par exemple les filières technologiques, valoriser l'excellence au-delà des seuls critères académiques en étant multi-sélectif, compléter le système éducatif par un vaste programme en faveur des alternants..

 - Mais les ZEP (NDR : Zone d'éducation prioritaire, qui donne plus de moyens aux écoles participantes et où les enseignants sont volontaires), ça marche... Au moins pour maintenir le niveau alors que le chômage augmente ...

- Vous l'avez dit : les ZEP maintiennent le niveau. Mais il ne s'agit pas seulement de le maintenir, if faut donner un avenir aux jeunes, à tous les jeunes des « quartiers », pas seulement les enfants de migrants. Les ZEP, c'est bien, mais elles manquent de moyens d'exception pour corriger les inégalités. Il faut donner plus, notamment à travers la réaffectation et le redéploiement des budgets et des liens entre les établissements prioritaires et ceux des centres villes.

 - Concrètement que proposez-vous ?

- Dans mes recommandations au Président de la République, je propose de restructurer l'offre scolaire, notamment en revalorisant des lycées techniques nombreux dans les quartiers pour qu'ils aient le même statut que les lycées d'enseignement général pour l'accès à l'enseignement supérieur, afin de proposer des filières de la réussite à tous les jeunes. Dans la même idée, il est souhaitable que les bacheliers STI (sciences et techniques industrielles, un bac technologique) ou STT (sciences et techniques tertiaires, autre bac technologique) puissent enfin vraiment accéder aux IUT, où les places sont occupées en quasi totalité par les bacheliers S. La dyslexie, qui fait des ravages dans les quartiers prioritaires, doit être repérée très tôt, dès le primaire, et je propose de créer des postes d'orthophonistes en nombre pour corriger les troubles du langage et accompagner les élèves de 6e et 5è. Enfin, il faudrait organiser la mobilité des jeunes au collège pour brasser les populations.

 - C'est le fameux « busing » à l'américaine ...

 - Effectivement. Emmener chaque jour des élèves des « quartiers » étudier dans des établissements scolaires de centre ville a donné des résultats encourageants. Dans ce cadre, je propose de spécialiser les collèges. Certains auraient des classes de 6e et de 5e, d'autres de 4e et de 3e. La plupart des recteurs sont prêts à tenter l'expérience. Par ailleurs, chaque établissement scolaire devrait pouvoir créer une association soutenue financièrement par l'état, les collectivités territoriales, par une ou plusieurs entreprises et les habitants d'un quartier afin de proposer des voyages, des stages... Les grandes écoles et universités doivent s'associer à des établissements de banlieue qui peuvent ainsi devenir des lieux d'instruction de haut niveau. Nous pouvons tout changer avec de telles initiatives.

 - Et pour l'accès à l'emploi, que proposez-vous ?

 - Je n'ai qu'un mot en tête : l'alternance. C'est par un enseignement comportant des séquences équilibrées à l'école et en entreprise que les jeunes pourront s'insérer correctement et durablement dans la vie professionnelle. Ma proposition est que les entreprises soient tenues d'employer en alternance un nombre d'étudiants correspondant à 5% de leur effectif social.

- Mais comment motiver les jeunes quand le modèle du dealer dans les banlieues avec sa voiture de luxe peut sembler plus séduisant qu'un poste de salarié mal payé et précaire ?

 - Il faut arrêter les poncifs. Ce « modèle » ne fait pas rêver les jeunes. Les jeunes veulent un statut qui les insère dans la société avec un salaire et une formation. Ils sont prêts à s'engager si on leur donne autre chose que des jobs au rabais, et sont fatigués des mesures palliatives. Il faut tordre le coup aux idées reçues et aux préjugés véhiculés notamment par les médias, comme le communautarisme...

 - Vous ne craignez pas les dérives communautaristes ?

 - Arrêtons avec les formules toutes faites ! Qu'est-ce que le communautarisme ? C'est la revendication de droits spécifiques par des communautés organisées. Vous l'observez en France ? Moi pas. Il n'y a pas de demandes de ce type. Le vrai risque c'est celui de l' « ethnicisation » des rapports sociaux, lorsque le regard des autres dit : celui là est différent, quand le « noir », « l'arabe » ou le « jaune » sont catalogués, rattachés à certains lieux, comportements ou fonctions... et présentés comme fauteurs de troubles.

 - Comment y remédier ?

 - Il faut amplifier la lutte anti-ghetto. La France a laissé s'ériger des frontières intérieures, sociales, territoriales et bientôt ethniques. Si on n'y prend pas garde, cela aboutira à une forme de guerre civile, comme l'on connue les Etats-Unis, dans les années 60. On ne mesure pas assez ce risque. Rappelez-vous comment les Etats-Unis s'en sont sortis : entre le moment où les athlètes noirs américains ont brandi le poing ganté de noir sur le podium des Jeux Olympiques de 1968 à Mexico, ce qui avait fait scandale, et le moment où les sprinteuses noires des Etats-Unis se sont drapées dans la bannière étoilée aux JO de Séoul en 1988, entre ces deux images, il y a eu l' « affirmative action », une action politique volontariste de plus de vingt ans en faveur de l'équité. Nous devons faire de même en France, mener une vraie politique d'égalité réelle pour tous, pas seulement pour les banlieues, pour tous les jeunes.

 - Une telle politique nécessité de gros moyens alors que la France entre en récession...

 - J'ai déjà évoqué la nécessité d'un redéploiement. Prenez l'éducation nationale. C'est un très gros budget avec de nombreux fonctionnaires. Or, je constate qu'à l'école primaire et dans le secondaire, où se joue une partie essentielle de l'avenir des enfants, nous dépensons des milliards d'euros, bien plus que dans d'autres pays, tout en affichant des taux élevés d'échec scolaire voire d'analphabétisme. On peut certainement s'y prendre plus efficacement.

 - Allez-vous en convaincre Nicolas Sarkozy ?

 - Il sait bien que les Français sont attentifs sur ces questions. Comme ministre, il a connu les crises de 1986-87, de 1993-94, de 2005-2006. Le Président de la République mesure parfaitement ce qui est en train de se passer dans notre pays, il est même selon moi le premier Président à avoir pris réellement conscience de cette situation et a avoir décidé de ne plus l'éluder. Moi, je ne suis qu'un micro rayon du système.

 - Vous parlez de mesures à prendre par la puissance publique mais qu'attendez-vous des entreprises dans ce paysage ?

 - Il faut qu'elles relayent les initiatives décidées par le Président de la République et le gouvernement. Nous allons connaître une opportunité historique. A partir de 2010, ce sera le papy krach avec des départs massifs à la retraite, à condition de ne pas retarder ce processus. Les jeunes qui arrivent sur le marché du travail devront être suffisamment formés. Les besoins sont immenses et très variés, de l'ingénieur à la fonction hospitalière. C'est un vrai défi pour notre système de formation, tout le monde, Etat, entreprises, collectivités territoriales, vont devoir agir de concert et rapidement. Il va falloir relever le niveau de qualification de nos élèves car nous sommes encore loin de l'objectif européen de 50% d'une génération diplômée du supérieur. Parallèlement, les entreprises vont devoir redoubler d'efforts en termes de formation. Elles se développent surtout à l'étranger - ce qui pose d'ailleurs la question de l'attractivité et de la compétitivité de notre pays - mais elles ont aussi des besoins en France, en milliers de postes, auxquels il faudra répondre. La solution ne pourra être le recours illusoire à l'immigration. Il faudra identifier et promouvoir les talents où qu'ils soient, hors des schémas classiques de recrutement et de cooptation.

 - Les entreprises vont-elles jouer le jeu ?

 - On est en droit de s'attendre à ce que l'égalité de traitement y soit exemplaire. Si ce n'est pas le cas, il existe des dispositifs légaux et des tribunaux pour réprimer les discriminations. Plutôt au civil qu'au pénal d'ailleurs selon moi, pour des raisons d'efficacité et d'aménagement de la charge de la preuve, de sanctions financières, pour la publicité consécutive à la décision de justice. Ceci dit, on ne règlera pas les problèmes sociaux inhérents aux discriminations par la répression. Ce sont les processus de recrutement et de promotion qu'il faut réviser. Des entreprises françaises et leurs dirigeants ont déjà manifesté la volonté de changer les choses, elles ont aussi besoin d'outils et de soutien. Chacun doit comprendre l'intérêt d'intégrer des profils différents à tous les niveaux de l'entreprise, pour dynamiser les équipes, mais aussi attirer les talents où qu'ils soient : être plus inclusif, c'est aussi être plus attractif. Certains pays y sont parvenus, je pense au Canada.

 - Allez-vous reprendre les 21 propositions faites récemment en ce sens par Claude Bébéar, l'ancien patron d'Axa et révélées par latribune.fr ?

 - Certaines sont reprises dans mon programme, notamment pour l'égalité de traitement au sein des entreprises, et pas seulement par le CV anonyme. Mais dans un autre registre il faut aussi apprendre très tôt à tous les jeunes français que notre pays s'est construit grâce sa diversité, leur raconter l'histoire complète, leur dire que nos ancêtres n'étaient pas seulement des Gaulois.

Commentaires 5
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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on entend toujours les mêmes litanies concernant l'immigration: priorité à l'éducation, égalité des chances etc...La lâcheté des gouvernements européens devant ce que l'immigration a de plus préjudiciable pour les sociétés occidentales est absolument...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Encore un type qui sort de nul part, pas élu par le peuple, qui va nous apprendre NOTRE histoire, la façon dont on doit penser, ce qu'on a le droit de dire ou pas, qui nous explique encore une fois, que le bon français de base n'est qu'un raciste. "...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Et la discrimination vis a vis des femmes, la plus simple à mon avis à corriger, pourquoi personne ne s'y attèle avec autant de vigueur??? Et si on commençais par l'egalite des salaires??? En 3 mois c'est réglé!!

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Monsieur Sabeg reecrit l'Histoire maintenant... "Nos ancetres n'etaient pas seulement des Gaulois": c'est-a-dire? Que la France etait aussi peuplee de Noirs, d'Arabes et d'Asiatiques au Moyen-Age ou au 18e par exemple?! Il nous prend vraiment pour de...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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M. Sabeg a raison sur bien des points, mais il en est un qui choque terrrriblement, c'est quand il prend le Royaume-Uni en exemple: NON merci nous ne voulons pas de policière voilée, et de tribunaux appliquant la charia dans nos banlieues. Mes amies...

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