"Il faut savoir prendre des risques"

En pleine réforme de la recherche, le CNRS veut continuer à s'affirmer comme un opérateur de poids. Pour valoriser les projets risqués, il lance un fonds de dotation de 200 millions d'euros.

Quelle est l?évolution du CNRS dans le cadre de la réforme du système de recherche ?

La réorganisation du CNRS, dans son rôle d?opérateur et d?agence de moyens, est liée aux réformes en cours en France (dont l?autonomie des universités) et est conforme à ce qui se fait dans le reste du monde. Il n?y a pas de grand particularisme français. Notre plan stratégique "Horizon 2020", adopté en juillet 2008, fixe 4 axes: faire avancer le front de la connaissance, répondre aux grands défis planétaires, faire émerger les technologies de pointe et mutualiser les instruments de la recherche. Il doit traduire ces priorités stratégiques dans un nouveau contexte d?universités autonomes et de développement du financement par projets. Trois outils permettent de le faire: l?organisation en instituts disciplinaires, la création de trois pôles transverses pour répondre aux grands enjeux pluridisciplinaires (développement durable, origine de la matière, monde en réseau) et enfin, quand les différents organismes publics de recherche développent des thèmes de recherche complémentaires, la création d?alliances entre organismes comme celle créée récemment dans les sciences de la vie et la santé. D?autres alliances de ce type sont d?ailleurs à l?étude: dans les sciences et technologies de l?information et de la communication, la recherche pour l?énergie?

Quelle est l?utilité de telles alliances et des grands instituts thématiques multi organismes, qui, selon les chercheurs, préfigurent un démantèlement du CNRS ?

Cette organisation matricielle permet de prendre des décisions communes et de faire ensemble de la prospective. Un exemple parlant est l?alliance en sciences de la vie et de la santé qui a ainsi permis de mobiliser des compétences pour lutter contre la grippe A H1N1, en particulier par des méthodes de diagnostic rapide. Ces grands ensembles "virtuels" ne sont pas des outils de fragmentation et de démantèlement, mais permettent aux organismes de se compléter et d?entreprendre des actions communes concrètes. L?intérêt général prime sur les intérêts corporatistes. Il faut donc de tels lieux pour faire circuler l?information, stimuler la recherche fondamentale et alimenter la recherche appliquée.

Justement, la communauté scientifique craint aussi de voir la recherche appliquée prendre le pas sur la recherche fondamentale?

Faire de la science implique de regarder ses applications. Les organismes publics ont un rôle de cohérence nationale et nous avons le devoir de répondre aux grands enjeux sociétaux et économiques, d?autant plus aujourd?hui avec la crise. Nous souhaitons apporter notre contribution à la sortie de crise. Nous réfléchissons d?ailleurs à une action de concert avec les entreprises en augmentant par exemple la part des directeurs de recherche associés venant de l?industrie. Pour autant, la recherche fondamentale reste bien le "capital" de la recherche scientifique. Rappelons, à cet égard, que la ministre en charge de la recherche, Valérie Pécresse, a décidé de porter à 50% en 2010 la part des projets "blancs" (non thématiques) de l?Agence nationale de la recherche (ANR).

Quel sera le rôle du CNRS s?il devient une agence de moyens et que la gestion des unités mixtes de recherche (UMR) est déléguée aux universités ?

Le CNRS ne dispose que de 100 unités de recherche en propre sur 1.100. Toutes les autres sont partagées, dont 900 hébergées par des universités et qui constituent le c?ur de notre partenariat avec elles. Nous sommes donc déjà une agence de moyens. Mais il faut que les universités acquièrent la capacité de gérer financièrement les laboratoires qu?elles hébergent et respectent les conditions fixées par le cahier des charges élaboré entre organismes et universités. Nous travaillons à cela avec deux universités pilotes: Pierre et Marie Curie (Paris 6) et Strasbourg (l?Inserm travaille de son côté avec Paris Descartes et Aix-Marseille II). Nous espérons que, d?ici à 5 ans, un nombre significatif d?universités obtiendra une délégation de gestion. Quant aux craintes de désengagement du CNRS, je rappelle que les UMR constituent un socle pérenne pour nous. Certes, en 5 ans, leur nombre a baissé de 15% mais il s?agit principalement d?optimiser le dispositif afin qu?elles acquièrent une masse critique. Nous souhaitons, d?autre part, conserver une marge de fluidité pour nous permettre de créer de nouveaux laboratoires sur des thèmes émergeants et d?en fermer d?autres, pour participer ainsi à la dynamique de la structuration du paysage national de la Recherche .

La place de la recherche française sur la scène internationale, notamment en matière de valorisation, est constamment jugée trop faible. Est-ce une réalité ?

Le CNRS est dans le top 10 des dépôts de brevets à l?INPI (Institut national de la propriété industrielle), et en moyenne, nous créons, par an, 40 entreprises et publions 300 brevets dont une cinquantaine à l?étranger, notamment aux Etats-Unis. Plus de 40% de nos brevets publiés en 2008 sont déjà exploités par des industriels. Le CNRS est par exemple un grand fabricant de molécules pour l?industrie pharmaceutique. Nous disposons de 485 molécules brevetées dont 25 sont en phases 1, 2 ou 3 (les trois étapes de la recherche clinique avant certification). Les 50 dernières molécules mises sur le marché mondial sont quasiment toutes issues de la recherche académique. Après, faut-il privilégier un système de valorisation local? national? Pour ma part, je suis favorable à des initiatives locales complétées par un organisme national et des accords cadres. Mais il est vrai qu?il n?y a pas assez de passerelles entre la recherche académique et l?entreprise. Je suis pour une simplification des procédures de passation de brevet. En ce sens, la décision de Valérie Pécresse de mettre en place un mandataire unique pour la valorisation de la recherche publique est indispensable. Encore faut-il laisser la liberté de choix de ce mandataire [Ndlr : le projet de décret instaurant la règle du mandataire unique prévoit que ce mandataire soit l?hébergeur, en l?occurrence l?université dans 85% des cas]. Plus globalement, le problème en France est surtout la frilosité de l?industrie et du capital-risque, voire aussi de l?administration, qui ne permet pas d?accompagner la croissance des entreprises. Le brevet que nous avons déposé pour lutter contre le lupus n?a intéressé aucune entreprise pharmaceutique française et nous n?avons pas obtenu l?autorisation d?effectuer les tests cliniques en France. Au final, c?est une entreprise américaine qui l?exploitera. Tout le monde doit balayer devant sa porte. Il faut savoir prendre des risques et faire confiance. Le CNRS lance d?ailleurs pour cela un fonds de dotation auprès de donateurs, en particulier les groupes industriels, destiné à ne financer que des projets risqués à long terme. L?objectif est de doter ce fonds de 200 millions d?euros.

Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'un des grands problémes de la recherche scientifique en général, ne serait ce pas d'abord dans les milieux financiers et industriels, le manque de savoir mieux discerner, et à savoir mieux exploiter les compétences scientfiques pour leur profit et ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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A bien des égards, le CNRS nous fait prendre énormément de risques, notamment financiers en puisant sans vergogne dans le budget pour des projets plus que douteux. Le risque pour lui sera de modifier son comportement et d'initier de vrais choix techn...

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