"Le modèle néolibéral a tourné court"

Dans notre série d'été Visions de l'après-crise, nous avons interrogé Isaac Johsua, économiste et membre du conseil scientifique d'Attac. Ce spécialiste de la crise de 1929 estime que si le modèle économique reste le même, la crise actuelle recommencera.

 La crise va-t-elle déboucher sur un monde différent du précédent ? Quelles pourraient en être les nouvelles caractéristiques ?

Nous sommes à la croisée des chemins. Soit nous n'aurons qu'un rebond, comme cela avait été le cas lors de la relance Bush du printemps 2008, soit l'économie privée embrayera sur la relance publique. Dans ce dernier cas, à mon avis, le modèle de la mondialisation libérale sera tout simplement reconduit. Le déroulement de la crise mondiale jusqu'à présent montre de la part de l'establishment un degré d'adhésion farouche à ce modèle. Pas question de toucher au pouvoir actionnarial, à l'inégalité dans la distribution des revenus, à la mondialisation, à la mise en concurrence universelle des forces de travail, à la financiarisation. L'extrême modestie des projets de réforme et l'affirmation mille fois répétée que l'intervention publique est provisoire illustrent la force avec laquelle la cause du néolibéralisme a été embrassée. Si le privé vient relayer la relance publique, nous renouerons avec la croissance, mais il s'agira d'une croissance nettement plus lente que par le passé, et pas seulement pour quelques années. Il faut bien voir que le modèle néolibéral a tourné court. Il avait été instauré au début des années 1980 pour combattre la chute du taux de profit. Or, depuis 1990, les années de montée du taux de profit sont compensées par des années de chute, de sorte qu'en réalité le taux de profit fait du surplace. On n'insiste pas assez sur ce point: les classes dirigeantes s'accrochent désespérément à un modèle épuisé. On ne pourra pas à nouveau exploiter à fond les mêmes filons: baisse de l'épargne, surendettement... Le modèle étant le même, le risque est que la crise actuelle recommence, et dans des conditions dégradées: les marges de man?uvre des pouvoirs publics sont terriblement restreintes, avec le boulet de la dette.

Et si c'est l'autre cas de figure ?

Si c'est l'autre cas de figure et que les plans de relance publics s'épuisent sans qu'il y ait relève de la part du privé, le tableau change complètement: c'est d'une profonde dépression qu'il s'agit. Cela veut dire que les facteurs qui tirent vers le fond l'ont emporté. En matière de déficits budgétaires, de dette publique, y aura-t-il moyen de redoubler la mise ? Pas sûr. La question du modèle sera alors vraiment sur la table, c'est inévitable. Les cercles dirigeants seront contraints d'entrer dans une véritable réforme du système. La crise a été jusqu'ici une affaire d'experts et de politiques. Mais, à partir de là, la question que je crois déterminante, de laquelle tout dépendra, est de savoir si le peuple fera enfin irruption sur la scène où se règle son sort, pour imposer ses propres priorités et faire naître un changement radical.

Que donnerait alors selon vous une véritable remise à plat du système ?

Nous allons de toute façon vers un monde aux marges de man?uvre plus restreintes. Il faut travailler au consensus et chercher l'accord politique là où le marché universel a échoué. Au plan mondial, s'en tenir aux réunions du G20 reviendrait à consacrer officiellement l'alliance des capitalismes dominants et des zones émergentes, alors qu'il faut mettre en place les organes d'une régulation mondiale, régulation économique avant même d'être financière. On pourra alors poser les grandes questions: remplacer la locomotive américaine, s'attaquer au problème d'une monnaie mondiale, maîtriser réellement la finance ou substituer, pour les pays émergents, des modèles autocentrés à ceux "tirés par les exportations". Au plan national, il faudra bien un jour se décider à poser la question du pouvoir exclusif des actionnaires dans l'entreprise et, dans la société, celle d'une régulation de la répartition des revenus. Le retour de la croissance devrait alors être celui d'une autre croissance. Sans cela, on viendra se heurter à des limites écologiques de plus en plus évidentes. Je le crois vraiment: nous sommes contraints de poser, dans toute son étendue, la question d'un autre mode de développement, mesuré par d'autres indicateurs, basé sur d'autres principes, à commencer par celui de parcimonie.

Quelles sont les leçons qui n'ont pas été tirées ?

De façon assez incroyable, malgré l'ampleur de la crise, la pensée unique occupe toujours l'espace. Elle ne veut pas seulement défendre l'économie de marché mais le modèle néolibéral lui-même. C'est un modèle qui, pour elle, va de soi, qui est l'horizon naturel de la vie en société. Bien qu'ils ne soient pas socialistes, les autres modèles possibles (nationalisations, contrôle des flux de capitaux, etc.) ne sont même pas discutés. Il faut absolument briser ce carcan. L'enjeu est de taille, nous ne devons pas jouer petit, mais ouvrir toutes grandes les portes de la pensée.

 

BIO EXPRESS Isaac Johsua, 60 ans, a mené une carrière d'enseignant et de chercheur à l'université Paris XI, balisée par la publication d'ouvrages parmi lesquels "La Face cachée du Moyen Âge. Les premiers pas du capital" (1988), "la Crise de 1929 et l'émergence américaine" (1999) ou encore "La Grande Crise du XXIe siècle. Une analyse marxiste" (2009). Membre d'Attac, il s'implique dans la vie de la cité.

Demain, suite de notre série avec l'interview de Bernard Stiegler

 

 

Commentaires 19
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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merci à Phidias,car par ces temps être libre et le revendiquer devient presque politiquement incorect

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Pauvre opinion d'un vieux nostalgique du monde communiste "parfait" ou chaque action jusqu'à la poésie est prévue et organisée par le gosplan. Si a 60 ans il en est encore là, c'est qu'il n'a vraiment rien compris ni à l'Histoire, ni aux civilisation...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Le réaménagement actuel est lié à un trop d'état,nous avons également changé d'époque et de zone d'influence,que l'on arrête de trouver des solutions étatiques à tous les petits problèmes de notre société occidentale obèse.les pays emergents ont enfi...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Sans être d'accord avec l'auteur, il est néanmoins frappant de constater comme certains commentaire illustrent parfaitement les ravages de la pensée unique indépassable! Cela prouve à quel point cette doxa est devenue une idéologie, incapable de se r...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Phidias est toujours dans ses délires et ne comprend même pas les articles qu'il lit. Le pays qui s'en sort le mieux dans ce capitalime qu'il admire c'est la Chine communiste. "Le capitalisme n'est pas une idéologie" dit-il: c'est l'organisation des ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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M. Johsua affirme que si les règles de l'économie ne sont pas changées il y aura une nouvelle crise: ce n'est p

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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M. Johsua affirme que si les règles de l'économie ne sont pas modifiées il y aura une nouvelle crise: ce n'est pas un scoop car toutes les formes d'économie -libre ou dirigée- sont allées et vont de crise en crise. Il est dommage qu'il n'explique pas...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Cette pauvre opinion comme tu dis phidias a au moins le mérite d'etre plus nuancée que la tienne, et surtout plus pragmatique. L'allégorie du capitalisme, Orwell reviendrait sur terre pour sur...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Ce dinausore nous réecrit "1984" !!

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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A Phidias, Avant de donner de leçons aux vieux on apprend l'orthographe. Praxis! et non praxice (practice?), à moins que vous soyez golfeur... Nonobstant votre critique éculée sur le massacre communiste vous évitez de répondre sur le fond. Le monde...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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... "phidias" et "c-metisse" ... merci pour cet apport constructif ... genre vieux logiciel qui se réinitialise à la moindre info connexe pour vous donner l'occasion de ressortir vos marottes ... M'enfin... Désolé de m'emporter, je devrais me ... m...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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la question essentielle qui va se poser dans les années à venir est celle de la réforme su système monétaire international. Il faudra impérativement revenir à un système de parité des monnaies fixe(une monnaie mondiale ?) pour empêcher la spéculation...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La mauvaise distribution de la richesse fera toujours des victimes si nous ne changeons pas la donne, plus clair si les rapaces continuent de gagner 1.000.000~? et 95% de la terre 5% ce sera idem, et comme ça tous les 20 ans...voir moins....car la vo...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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le desequilibre entre le capital represnte par les banques et les grands capitaliste et le travail represente par la masse salarial qu'est l ouvrier et le fonctionnaire engendre une telle crise il faut en effet repartir la richesse en imposant zakat ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Ce qui me fera toujours rire quand même, mis à part des commentaires avisés qui ouvrent les portes vers d'autres questions (chose souhaitée face à ce genre d'articles), ce sont ceux qui considérent que commentaire signifie donner son accord ou tout r...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Isaac Johsua a un bon raisonnement et parle de la nécessité de la régulation. A mon avis, il oublie de dire mais c'est implicite, une régulation démographique pour ramener la planète au seuil supportable de 3 milliards d'individus.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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la soulution a tous ces problemes est la decroissannce.Arretons de consommer avec une stupedite liee a la pense unique et areduire notre indepandance ala publicite.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Tout d'abord, je remercie « La Tribune » pour le pluralisme dont elle fait preuve, en ouvrant ses colonnes à des expressions s'écartant notablement du langage et de la pensée « business as usual », éléments forts de l'identité de ce quotidien nationa...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Mr joshua a demontré que le systeme liberal est bien en fin de partie , tout comme le communisme l'a aussi été , les deux systemes ont echoués a donné du bonheur a tous , les exces sont innaceptables que ce soit les maxi bonus d'une banque ou d'une m...

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