"La crise révèle que la gouvernance sans visage est terrifiante"

Fronde des sénateurs, taxe professionnelle, réforme territoriale, niches fiscales, grand emprunt, nouveau pacte social... Gérard Larcher, président du Sénat, répond aux questions de notre rédaction. A retrouver également dans la Tribune datée du lundi 23 novembre.

Nicolas Sarkozy lance samedi la campagne de l'UMP pour les régionales de mars. Depuis quelques semaines, on a l'impression que l'optimisme change de camp. Partagez-vous l'inquiétude des responsables de la majorité ?

Les inquiétudes trois mois à l'avance, c'est comme annoncer aujourd'hui la météo du printemps. Nous avons un travail de pédagogie à faire. Confusément, nos concitoyens sentent qu'il n'y a pas d'autre personnalité que celle du chef de l'État qui s'impose. En même temps, ils ont des inquiétudes, des interrogations, des angoisses. Il est de notre responsabilité de montrer que la politique qui a été conduite nous a évité des effets de crise beaucoup plus importants.

Redoutez-vous que la gauche devienne majoritaire au Sénat en 2011 ?

Nous connaissons ceux qui seront les grands électeurs en 2011. Ils sont essentiellement issus des élections municipales et cantonales de 2008. Je pense que le profil de la France d'aujourd'hui permet à la majorité de conserver le Sénat. Je suis plutôt serein. Encore faut-il que les Français sachent véritablement à quoi sert le Sénat. Mais j'ai l'impression que depuis quelques mois on parle davantage de cette institution, qu'il s'agisse de la réforme de l'hôpital, de celles des collectivités territoriales ou sur des sujets comme la loi pénitentiaire.

Est-ce lié à la réforme constitutionnelle ?

La réforme nous aide. De plus, nous avons un rapport différent avec l'exécutif, tout en étant complètement, en ce qui me concerne, complètement loyal. Nous avons une liberté de ton. A chaque fois au Sénat, la majorité est à construire et à convaincre.

Les frondes que l'on observe actuellement dans la majorité vous inquiètent-elles pour la suite du quinquennat ?

Non. Le chef de l'Etat a décidé de poursuivre les réformes en période de crise. D'habitude, dans ce type de période, on est tous aux abris. Mais il faut plus de pédagogie.

Pensez-vous qu'il y aura une majorité sur la taxe professionnelle ?

Si le gouvernement est attentif à quelques propositions complémentaires, qui sont techniques mais importantes pour les communes et les départements, il y aura une majorité.

Donc l'autonomie financière des collectivités locales sera garantie...

Bien sûr. Demeurent quelques sujets pour les régions et les départements que nous allons traiter au Sénat et avec l'Assemblée nationale dans le cadre de la commission mixte paritaire. Pour les départements se pose ainsi le problème des départements pauvres, où les dépenses sociales augmentent beaucoup plus vite que l'activité, mais on devrait pouvoir y répondre par la péréquation nationale.

La réforme territoriale suscite aussi beaucoup d'inquiétudes. Sur quels points faut-il évoluer ?

Aujourd'hui, sur le bloc communal, c'est assez convergent : la commune est la cellule de base. Il y aura en revanche un débat sur les métropoles de dimension européenne, qu'il faut reconnaître pour donner de la compétitivité à notre territoire. Autre débat en perspective : celui de la répartition des compétences entre régions et départements. Pour le Sénat, le département est le lieu de la proximité sociale, de l'aménagement rural et de la contractualisation avec les communes. La région, c'est la stratégie, les grandes infrastructures. Mais la réponse ne doit pas être la même partout, en Île-de-France et dans le Limousin. Il faudra moduler.

Et le conseiller territorial ?

Je n'étais pas de ceux qui demandaient la suppression d'un niveau. Dans certaines régions rurales, supprimer le département, c'est supprimer la proximité aussi. Au départ, je m'interrogeais sur la pertinence d'un élu unique. J'ai évolué et considère aujourd'hui qu'il s'agit d'une bonne démarche.

Dans le débat budgétaire, y a-t-il des niches qui vous font bondir ?

Il y en avait une, le droit à l'image collective (DIC) des clubs professionnels, et je me suis exprimé assez clairement à ce sujet. Je veux bien qu'on aide des gens en dessous de deux Smic, mais pas ceux qui sont à 60 Smic... C'est le principe d'équité.

Les députés ont voté la fiscalisation des indemnités journalières des accidents du travail. Y êtes-vous favorable ?

Quand j'étais ministre du Travail, j'avais demandé une étude en 2005 sur ce sujet. À l'époque, on avait calé par manque de courage et parce que ce n'était pas d'actualité. Aujourd'hui, je trouve qu'on n'est pas allés tout à fait au bout entre la part revenu de remplacement et celle de la compensation d'assurance. Mais cela va s'ajuster. Pour ma part, je le soutiendrai, ce n'est pas scandaleux socialement. Pourquoi fiscalise-t-on les indemnités de grossesse et pas celles-là ?

Le rapport Juppé-Rocard sur le grand emprunt va-t-il dans le bon sens ?

Je le pense. Les conclusions ne me semblent pas très éloignées des travaux que nous avons conduits au Sénat. Les présidents de commission de cette maison avaient en effet souhaité que l'emprunt serve à financer des projets très ciblés, porteurs de la compétitivité future de nos entreprises, y compris dans le domaine de la recherche et de l'enseignement. Ils estimaient aussi que cette nouvelle ressource ne devait pas ralentir la conduite des réformes.

Très satisfait alors ?

Un petit regret peut-être. Je trouvais un peu malheureux de ne pas s'adresser aux Français pour une partie de l'emprunt. L'emprunt, ce n'est pas qu'une affaire de banquiers, c'est toute la nation qui est concernée par cet effort. Mais je reconnais que le différentiel sur les taux, la situation de nos finances publiques... expliquent qu'on ne fasse pas appel aux Français.

Vous défendez l'idée d'un nouveau pacte social, qu'entendez-vous par là ?

Le 26 novembre au Sénat, nous allons nous retrouver pour un premier rendez-vous. Je me suis dit qu'en temps de crise, c'était peut-être l'heure de s'interroger sur les modèles qui ont construit notre pacte social. Certes, en période de crise, il a prévu des amortisseurs très utiles. Mais, en même temps, il n'a pas favorisé le dialogue et la confiance entre les partenaires sociaux, l'Etat et le parlement. Je voudrais qu'on passe d'un climat de défiance à un pacte basé sur la confiance.

Comment allez-vous procéder ?

D'abord, il faut faire un diagnostic. Nous allons mesurer le ressenti des Français sur ce sujet, regarder ce qui se passe dans les autres pays européens... Ensuite, nous verrons si nous pouvons construire un pacte social différent et avec quelle méthode. Pourquoi ne pas utiliser cette réflexion pour deux sujets. Le premier, c'est l'assurance d'une réelle transition professionnelle, à un moment où le modèle du contrat de travail à vie n'existe plus. La réponse ne peut pas être simplement le contrat de transition professionnelle, qui coûte très cher. Il faut s'interroger sur la transférabilité des droits de manière moderne. La nouvelle gouvernance de l'entreprise est le second thème. La crise nous révèle que la gouvernance sans visage est terrifiante. Comment partager la valeur ? Comment pratiquer la codétermination ? Ces sujets sont fondamentaux.

C'est ambitieux...

On ne va pas régler le pacte social en une matinée. Je voudrais que le Sénat soit un des lieux où l'on suscite aussi l'émergence d'une préoccupation européenne sur ces thèmes-là. Ce sujet m'habite depuis un certain temps. C'est la crise qui m'a décidé.

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