Auto-entrepreneur : les 7 pommes de discorde

Par Marina Torre  |   |  1040  mots
Le "poussin", symbole des organisations de défense des auto-entrepreneurs - REUTERS/Ali Jarekji
Les "poussins" qui doivent rencontrer Sylvia Pinel, la ministre de l'Artisanat, ce jeudi, craignent que le projet de modification du régime de l'auto-entreprise ne tue dans l'oeuf des entreprises en devenir. Or, la moitié de ces structures ne réalise même pas de chiffre d'affaires... Une critique, parmi d'autres, de ce statut mis en place en 2009.

Les "poussins" volent dans les plumes du gouvernement pour défendre l'auto-entreprise. Ils doivent rencontrer ce jeudi la ministre de l'Artisanat Sylvia Pinel pour faire valoir leurs arguments en faveur de ce régime créé par la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008. A l'origine, celui-ci visait à officiellement simplifier les démarches pour la création d'entreprises commerciales, artisanales et libérales. Mais dès sa création il a fait l'objet de vives critiques. En voici quelques unes.

  • Une concurrence déloyale 

Il s'agit du principal reproche des artisans, notamment dans le secteur du bâtiment, mais aussi dans la boulangerie. Grâce à des taux de prélèvement sociaux et fiscaux plus faibles que pour les entreprises enregistrées sous un autre statut, elles leur feraient une concurrence déloyale. Dans son rapport remis en avril, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) faisait néanmoins observer que cet effet reste très marginal. "La part de marché des auto-entreprises dans les secteurs qui leur sont ouverts est très limité", y est-il ainsi écrit. Le rapport donne un exemple : "les 67.000 auto-entrepreneurs actifs dans la construction génèrent un chiffre d'affaires de 847,5 millions d'euros, soit 0,7% du chiffre d'affaires des entreprises du bâtiment de moins de 20 salariés ou 1,1% des entreprises artisanales du bâtiment. "

  • Un dévoiement du salariat

Deuxième grande limite de ce régime : il permettrait aux employeurs de réduire leurs cotisations par un travail dissimulé en faisant appel à des auto-entrepreneurs pour des activités qui devrait être confiées à des salariés. Une méthode rendue possible par "le flou des métiers ouverts", estime l'Igas. Ainsi stagiaires, salariés en CDD, seniors ont-ils pu envisager de devenir auto-entrepreneurs ou bien se sont vu proposé de le devenir.

"Des affaires retentissantes comme Acadomia ou les Jardins de Bagatelle, ont mis ces pratiques en lumière", commente Nadine Levratto, professeur à l'Université Paris-X et co-auteure avec Evelyne Serverin de plusieurs études - dont un bilan à l'automne 2012 - sur ce sujet.  "Le risque de requalification en contrat de travail est grand. Cela a dû dissuader les entreprises d'utiliser ce type de méthode", ajoute-t-elle. De son côté, l'Igas estime que "les statistiques générales manquent cependant pour objectiver le phénomène".

Nadine Levratto souligne par ailleurs le fait qu'il "sert de plus en plus de voie d'entrée dans le salariat en particulier chez les jeunes. A la sortie de l'université ou d'une formation, on créé une structure d'entreprise individuelle pour tenter de se faire connaître auprès de son employeur. " Une tentative qui serait "parfois", couronnée de succès.

  •  "L'incarnation du travailler plus pour gagner plus"

C'est surtout pour tout ceux qui l'ont choisi comme complément de revenu que l'auto-entreprise remettrait en cause le modèle du salariat. "L'auto-entrepreneur, c'est l'incarnation du slogan 'travailler plus pour gagner plus' ",  juge Nadine Levratto. "Les gens ont de plus en plus de mal à vivre seulement avec leur revenu du travail" Là, c'est un autre risque, qui se pose, car " le nombre d'heure effectués par les salariés est contrôlé, alors qu'en tant qu'auto-entrepreneur vous fixez vos heures. Si vous avez besoin de travailler 80 heures par semaine, vous pouvez".

A noter: cet élément n'est actuellement pas remis en cause puisque le projet du gouvernement de limiter dans le temps le droit au régime de l'auto-entrepreneur ne s'appliquerait pas à ceux pour qui ce régime s'applique à une activité secondaire.

  • Une niche fiscale ?

"De 2010 à 2011, le nombre de personnes arrivant au seuil du plafond de chiffre d'affaires de 32.000 euros [pour les activités non commerciales ndlr] a doublé'. Or, "ces personnes réalisent une économie fiscale - car ils sont relativement moins taxés sur leurs revenus d'auto-entrepreneurs que sur leur seul revenu du travail. Une baisse de ce plafond éliminerait cette sorte de niche fiscale", ajoute-t-elle. Parmi les projets d'aménagement de la loi figure une réduction de ce plafond à 10.000 euros.

  •  Une efficacité contestée

Ce régime a largement séduit les Français : 828.400 auto-entrepreneurs sont administrativement actifs (à fin août 2012). En tout, ils dégagent 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Mais ce régime n'apparaît en fait pas si efficace puisque la moitié des auto-entreprises ne dégagent pas la moindre recette.

"Plus l'entreprise est petite et plus le risque d'échec est important. Donc en limitant très fortement le chiffre d'affaires que peut faire une auto-entreprise, on tue dans l'?uf toute perspective qui maximiserait sa survie. Surtout que les plus petites entreprises souffrent aussi souvent d'un déficit de compétence", indique Nadine Levratto. "Ce qu'avancent les 'Poussins' relève du storytelling. L'entrepreneur qui commence dans son garage et qui finit dans la Silicon Valley, ce n'est statistiquement pas vérifié", ajoute-t-elle.

Dès 2009, la chercheuse avait souligné le risque de créer un "faux" entreprenariat. On dit aux entrepreneurs : si vous ne savez rien faire, vous pouvez être entrepreneur. Ça ne détonne pas une vision très positive de l'entrepreneur !", s'exclame-t-elle ainsi. "C'était l'idée du rapport de François Hurel [qui conseillait la création de ce régime ndlr]. Quiconque avait envie de jouer à l'entrepreneur était en mesure de le faire. Sous-entendu : il n'est pas nécessaire d'avoir des compétences particulières. D'où le discours sur l'inscription en 'un clic'"

  • La fraude continue

Dernier sujet de débat : alors que l'un des buts de l'auto-entreprise était de limiter le travail "au noir", l'Igas a constaté qu'en fait, les risques de fraude fiscale restaient élevés. Extrapolant le montant moyen dû par les auto-entrepreneurs ayant subi un redressement fiscal, l'organisme estime que les pertes annuelles atteignent 400 millions d'euros. Toutefois "les cas de fraudes délibérées semble moins prégnants que la méconnaissance des modes déclaratifs de la comptabilité", estime l'Igas.

Globalement, le bilan pour les finances publiques est jugé plutôt positif par la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) qui évalue les gains entre 300 et 500 millions d'euros.
 

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