Les instituts Carnot conjuguent avec succès recherche et PME

Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics souhaitent rapprocher entreprises et chercheurs. Ce que font, avec succès, les instituts Carnot, réseau de laboratoires publics de recherche, auxquels le gouvernement demande désormais de stimuler l'innovation des petites entreprises.
Laurent Malier, polytechnicien, docteur en physique-chimie, ceinture noire premier dan de judo et... président de l'Association des instituts Carnot depuis septembre 2013.

« Les Carnot sont une révolution silencieuse qui change le paysage. »

Louis Gallois, le Commissaire général à l'investissement (CGI), s'exprimait ainsi à la fin de novembre 2013 lors d'un colloque où les 34 instituts de recherche publique engagés dans la recherche en partenariat avec les entreprises françaises venaient de recevoir un nouveau coup de pouce des pouvoirs publics. En l'espèce, sous la forme d'un appel à projets doté de 120 millions d'euros pour mieux cibler les PME-PMI, encore minoritaires parmi leurs partenaires. Cette nouvelle enveloppe vient en complément des 500 millions d'euros déjà attribués via le Programme d'investissements d'avenir (PIA) et des 70 millions d'euros annuels émanant du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

« Pour échapper à la compétition par les prix, il faut se différencier grâce à l'innovation. Je suis surpris que les instituts Carnot boxent déjà dans la même catégorie que ceux du Fraunhofer*, qui ont trente ans. Dans ma jeunesse, c'était un Graal à atteindre. On y est », s'enthousiasmait Louis Gallois.

A près seulement sept ans d'existence, les instituts Carnot commencent en effet à avoir des success stories à raconter. Elles concernent aussi bien les plus grands groupes que les plus petites entreprises. Air Liquide s'est ainsi tourné vers le Carnot ISIFoR, implanté à Pau, pour mettre au point des procédés capables de récupérer le CO2 présent dans les fumées émises par les centrales à oxycombustion, qui utilisent l'oxygène comme seul comburant avec des impacts positifs sur l'environnement. Ces recherches, qui ont déjà donné lieu à des applications, se poursuivent.

À Toulouse, Imerys Talc, un leader mondial de la production de talc, qui emploie un millier de personnes à travers la planète, a fait appel au Carnot Cirimat, spécialisé dans les matériaux, pour rendre le talc conducteur afin de l'utiliser comme renfort dans des matériaux composites devant être antistatiques. Avec un dépôt de brevet à la clé. En Isère, Ecoways, une TPE de trois personnes, a collaboré avec l'institut Carnot Énergies du Futur pour chercher des solutions de stockage d'énergie qui permettront de doubler la durée de vie des batteries lithium-ion utilisées pour les transports.

S'engager à répondre aux exigences des industriels

Pas très glamour tout cela ? Peut-être, mais on est au coeur, ici, de l'industrie et des innovations pour réindustrialiser le pays, et pas seulement dans le domaine cosmétique ou agroalimentaire. On pourrait d'ailleurs multiplier les exemples avec les 5000 entreprises qui ont fait appel aux Carnot en 2012.

« Dans un monde en bouleversement, croître de 17% tous les ans depuis 2010 est révélateur d'une prise de conscience de nos partenaires industriels sur l'apport de la recherche », se félicite Alain Duprey, le directeur général de l'Association des instituts Carnot.

Le nom des instituts est un hommage au physicien Nicolas Léonard Sadi Carnot (1796-1832), qui a amélioré les machines à vapeur du xixe siècle, tout en établissant un nouveau principe de la thermodynamique. Déjà, cette idée de lier recherche et applications industrielles. Petit retour en arrière. À la fin de 2004, Alain Duprey est appelé au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche pour mettre en place des « Fraunhofer à la française ».

En Allemagne, ce réseau d'une soixantaine d'établissements de recherche, fondé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale mais véritablement opérationnels depuis les années 1970, représente aujourd'hui 22.000 chercheurs, 450 millions d'euros annuels de contrats confiés par l'industrie et une dizaine de start-up créées tous les ans. C'est en comparant ces résultats avec ceux du dispositif français que Louis Gallois parle de « boxer dans la même catégorie », après moins de dix ans d'existence pour les instituts Carnot.

Le défi d'Alain Duprey était clair : mettre une partie de la recherche publique française au service des entreprises pour qu'elle se transforme en compétitivité, en emplois et en création de richesse. Ne pas le faire eût été « dommage », commente ce polytechnicien dont le parcours fait le pont entre le monde industriel - du grand groupe à la PME -, le CEA et l'enseignement universitaire. À la suite de deux vagues d'appels à candidatures, 20 établissements publics de recherche sur 71 candidats sont labellisés en 2006, puis 13 autres sur 56 candidats en 2007.

« On n'est pas sur un avantage acquis qui ronronne. C'est un dispositif sous tension pour être renouvelé tous les cinq ans », explique le directeur général.

Dans chaque institut, le patron de l'établissement -CEA-Leti, Irstea, LAAS CNRS, Cetim, Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, etc. - prend des engagements spécifiques à sa situation : augmenter le volume de recherche en partenariat avec les entreprises, professionnaliser les équipes et s'organiser pour répondre aux exigences des industriels, mais aussi assurer son ressourcement scientifique afin d'être toujours en pointe dans quinze ans.

« Ce n'est pas une menace en l'air. En 2010-2011, 24 instituts ont été renouvelés et 9 ne l'ont pas été, car ils n'avaient pas tenu leurs objectifs en termes de croissance de la recherche partenariale », assure le créateur du dispositif.

Aux yeux des entreprises, en particulier des industries traditionnelles qui n'ont pas la R&D dans le sang comme l'ont les start-up innovantes et les grands groupes, les Carnot se battent contre de forts préjugés : le temps de la recherche n'est pas celui de l'entreprise, tandis que les instituts de recherche seraient des mastodontes opaques. Pourtant, Alain Duprey est catégorique, la culture des chercheurs est en train de changer.

« Travailler en partenariat avec des entreprises demande une évolution culturelle. Il ne faut pas seulement atteindre des objectifs technologiques, mais aussi placer la satisfaction du client au coeur du projet. Il faut tenir les délais sans quoi l'entreprise peut manquer un créneau et être dépassée par un concurrent. »

Jouer collectif, une spécificité française

Laurent Malier est le patron du CEA-Leti à Grenoble et depuis quelques mois le président de l'Association des instituts Carnot.

« La mobilisation massive de ressources sur un temps court n'est pas facile. Mais nous avons des groupes d'échange de bonnes pratiques. Nous nous faisons confiance et nous jouons sur notre diversité. Les Fraunhofer, que je pratique, ne jouent pas collectif. Nous, nous sommes les United Colors ofInnovation », affirme ce grand patron de la recherche qui a une bonne vision de l'international.

Parmi les 350 partenaires industriels du CEA-Leti, on trouve d'ailleurs 15 sociétés japonaises et 15 américaines, « des leaders mondiaux qui nous tirent vers le haut dans leur secteur applicatif ».

Toujours aux États-Unis, il a lancé un partenariat avec l'université Caltech (California Institute of Technology), 6e au classement de Shanghai, qui a débouché sur la création d'une start-up commune, Apix, spécialisée dans les capteurs de gaz. « C'est une société qui a la double nationalité avec une maison mère basée en France et une culture transatlantique. » En lançant la vague des Carnot 2, l'État avait considéré que le dispositif avait deux faiblesses : les PME et l'international.

Au final, un seul projet de dimension internationale a été retenu. Comme l'explique Daniel Larzul de l'institut Carnot-Pasteur maladies infectieuses, Global Care est un consortium de cinq instituts Carnot dans la santé humaine, dont le but est d'exposer les innovations françaises aux industriels étrangers en mettant en place un réseau pour démarcher l'Amérique du Nord, l'Asie et le reste de l'Europe.

« Dans le domaine de la santé où les temps de développement sont longs et où l'externalisation de la R&D est une tendance depuis dix ans, notre objectif est d'augmenter le chiffre d'affaires contractualisé avec les industriels de 15% par an », explique-t-il.

Pour cela, Global Care a reçu une enveloppe de 16 millions d'euros sur 5 ans. Les PME sont l'objet de toutes les attentions.

« Les PME savent bien où sont leurs problèmes, mais elles n'ont pas les ressources pour faire du technology scouting [veille technologique, ndlr], comme les grands groupes, constate Laurent Malier. Nous devons aller au-devant de leur demande. »

C'est bien le sens du nouvel appel à projets qui a été lancé : organiser des réponses entre plusieurs instituts et d'autres partenaires (comme les instituts de recherche technologique, par exemple), pour traiter les demandes des PME qui restaient jusque-là sans réponse. Et ceci dans les 11 filières de demande économique identifiées par les instituts Carnot pour mieux coller aux attentes en termes de compétitivité (aéronautique, filière agrosourcée, énergie-éco-industrie, industrie et technologies de santé, etc.).

« Il y aura une réponse par filière. Si les propositions sont bonnes », prévient Alain Duprey à l'aube de ce nouvel appel à projets.

En 2013, l'Agence nationale de la recherche (ANR) qui veille sur le dispositif, a mené une évaluation qui montre, selon elle, que les instituts Carnot tiennent leurs objectifs : augmenter le volume des contrats de recherche avec les entreprises de 19,7% entre 2010 et 2012 et accroître la part des PME de 34,1% sur la même période. Le dispositif actuel des Carnot prenant fin en 2015.

La ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a récemment annoncé la mise en place d'une commission chargée de réfléchir aux « Carnot 3.0 ». Elle est présidée par Jean-Luc Bélingard, PDG de bioMérieux et président du Comité de pilotage Carnot. Malgré toute la bonne volonté des chercheurs et les moyens publics mis dans la balance, il faudra évidemment que les PME y mettent du leur. Car, comme le fait remarquer un observateur de ce milieu, toutes les PME n'ont pas envie de créer de l'emploi et de croître...

 

* Organisme allemand opérant dans la recherche en sciences appliquées, il regroupe 57 instituts, chacun spécialisé dans un domaine particulier. Son nom fait référence au physicien Joseph von Fraunhofer, inventeur du spectroscope.

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>>> FOCUS 10 millions d'euros de plus pour les PME

Les collaborations des Carnot avec les TPE, les PME et les ETI, bien qu'en hausse, demeurent insuffisantes aux yeux de l'État. En 2011, il avait déjà demandé aux Carnot de proposer un programme pour mieux aider ces entreprises, sur lesquelles repose beaucoup d'espoir, à accéder à l'innovation.

Trois instituts Carnot - Cetim, CEA List et Ifpen - ont remporté l'appel d'offres avec leur projet Capme'up (10 millions d'euros jusqu'en 2016).

« Nous nous sommes alliés pour apporter une offre innovante dans le manufacturing », explique Hélène Determe, qui coordonne le projet.

Première mission : rencontrer 250 PME par an pour échanger avec les décideurs, comprendre leurs défis et leur faire connaître l'offre des Carnot dans la recherche, mais aussi dans les activités connexes (veille, brevets, etc.). Avec ses trois plates-formes technologiques dont une sur la robotique, le programme met le pied des PME à l'étrier.

Par exemple en mettant à leur disposition des démonstrateurs de robots pour les aider dans leur choix. Autre exemple, une ETI avait mélangé deux lots de pièces, Capme'up lui a enlevé une épine du pied en lui fournissant une expertise en échographie qui lui a permis de les trier en 48 heures. L'expérience a donné des idées à l'entreprise...

En l'occurrence l'ultrason multi-éléments, dérivé de l'échographie médicale, est une technologie mûre.

« Mais elle n'est pas utilisée car les industriels ne la connaissent pas », explique Hélène Determe qui reconnaît que cet effort de diffusion technologique est un travail de longue haleine.

Pour l'instant, quelques contrats de recherche seulement ont été signés après ces contacts.

 

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