Manuel Valls ne sauvera pas la "gauche"

Par Romaric Godin  |   |  1281  mots
Manuel Valls craint la "mort de la gauche"
Le premier ministre met en garde contre le danger d'une "disparition" de la gauche en 2017. Mais sa politique peut-elle stopper la confusion?

Comme Paul Valéry qui, après la première guerre mondiale, avait dû se rendre à cette douloureuse évidence que « nous autres, civilisations, savons que nous sommes mortelles », Manuel Valls, a donc pris conscience de la mortalité de la « gauche. » De quoi faire frémir les députés socialistes tentés par la désobéissance vis-à-vis du gouvernement. Et sans doute le premier ministre a-t-il parfaitement raison de mettre en garde contre l'éventualité d'une présence du candidat du Front National au deuxième tour de la présidentielle de 2017. Le seul problème, c'est que la politique qu'il promeut et sur laquelle il veut réaliser l'unité de ses députés est sans doute le plus court chemin pour parvenir à ce désastre.

Une politique proche de celle de Nicolas Sarkozy

Cette politique économique que promeut le premier ministre est, d'abord, dans ses grandes lignes, celle qu'a défendu et mise en œuvre le gouvernement de François Fillon à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy. C'est une politique de l'offre fondée sur un abaissement du coût du travail et une compression de la demande intérieure afin de regagner de la compétitivité coût. Dans le cadre européen, cette politique s'appuie sur des instances « indépendantes » (Commission européenne, haut conseil des Finances publiques) qui garantissent sa poursuite, quelle que soit la couleur poltiique de l'exécutif. Cette politique basée sur le pacte de responsabilité avait été largement entamée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avec le CICE et la hausse de la TVA. Mais elle est désormais, et depuis la fameuse « conférence de presse » présidentielle du 14 janvier, assumée. Ce n'est du reste pas un hasard si l'on a pu retrouver dans ce « grand » discours de François Hollande les grands leitmotivs sarkozistes, comme la fameuse harmonisation fiscale (unilatérale évidemment) avec l'Allemagne.

Confusion économique

Cette politique est-elle « de gauche » ? La politique de l'offre - du moins celle que défend Manuel Valls   vise avant tout à un transfert de richesse du consommateur vers le producteur.  Elle nécessite une modération salariale, une flexibilité accrue du marché du travail et une certaine remise en cause de l'Etat-providence, liée à la baisse du déficit, vue comme un facteur de confiance. Or, depuis le 19ème siècle, la « gauche » s'est constituée politiquement précisément sur un Etat « protecteur » et sur une redistribution en faveur des salariés-consommateurs. On peut considérer, si l'on veut, que cette distinction est dépassée, mais c'est encore un des points sur lequel les électeurs jugent de ce qui est « à gauche » ou « à droite. »

Autrement dit, les électeurs ont toutes les raisons de ne pas appeler « de gauche » la politique de Manuel Valls. Et ce n'est pas le théorème de Helmut Schmidt qui proclame que les « profits d'aujourd'hui font les investissements de demain qui feront les emplois d'après-demain » qui peut modifier cette réalité, puisque cette demande de patience est précisément un des arguments traditionnels de la droite qui, évidemment, a toujours prétendu défendre des politiques qui « profitent à tous. »

Une « gauche » inutile

Dès lors que la « gauche » politique se range à cette politique, il est inévitable que la confusion s'instaure dans l'esprit des électeurs entre la « gauche » et la « droite. » Et que, partant, la « gauche » perde de son utilité politique. Pourquoi ceux qui sont convaincus de la justesse de cette politique de l'offre soutiendraient-ils la « gauche » ? Parce qu'elle instaure quelques « assouplissements » à cette politique pour « les plus fragiles » ? Mais, ces assouplissements sont précisément un frein à l'efficacité théorique de la politique de l'offre ! Quant à ceux qui rejettent cette politique, ils ne peuvent être convaincus par un « saupoudrage » de petites mesures qui ne modifient pas le fond de la politique économique. Bref, naturellement, la « gauche » devient de moins en moins nécessaire dans le paysage politique. D'où cette menace de mort.

Stratégie de mauvais polar

Mais le comportement de Manuel Valls ressemble à celui de ses assassins de mauvais romans policiers qui viennent au commissariat pour déclarer leur crime et apparaître ainsi au-delà de tout soupçon. Ce gouvernement et son prédécesseur, dans sa volonté de « faire moderne » ou « social-démocrate », dans son incapacité ou son manque de volonté à peser sur l'évolution de l'Europe, a lui-même creusé son tombeau et celui de la gauche. Jamais François Hollande n'a tenté d'imposer en Europe une véritable alternative à la vision allemande. Il a fait voter le pacte budgétaire, ses promesses concernant la baisse de l'euro ne sont que poudre aux yeux et il est aujourd'hui inaudible dans le débat qui s'engage sur le changement en Europe.

Perte de capacité à créer une alternative

La « gauche » a perdu sa capacité à représenter une alternative au niveau européen. Le résultat désastreux des Sociaux-démocrates européens aux élections du 25 mai le confirme. François Hollande devrait réfléchir sur le score désastreux des travaillistes irlandais, néerlandais ou finlandais qui ont payé au prix fort leur ralliement à la « politique de l'offre. » Quant aux deux seuls succès sociaux-démocrates : en Allemagne et en Italie, ils sont précisément des arguments contre la poursuite de la politique de Manuel Valls. Matteo Renzi a promis un « changement » en Europe et une politique plus équilibré entre offre et demande. La SPD allemande a profité, elle, de ses « infidélités » à la politique Schröder, notamment avec le salaire minimum, mais, rappelons-le, elle est encore très loin de ses niveaux historiques. Mais ces résultats ne font pas bouger d'un iota la gauche française.

Voie libre pour le FN

Il y a donc un refus de François Hollande et de Manuel Valls de promouvoir une alternative. Logiquement, les Français qui rejettent comme ceux qui approuvent cette politique se détournent de la « gauche. » Le plus inquiétant étant évidemment que le PS laisse là la voix libre à un FN qui n'hésite plus désormais à défendre des solutions keynésiennes qui peuvent apparaître comme « de gauche » pour beaucoup d'électeurs. On le voit très clairement avec la forte poussée de ce parti dans les bastions traditionnels de la gauche, notamment dans le nord de la France. Là encore, les élections européennes auraient dû provoquer une réaction de l'exécutif. Il n'en a rien été puisque l'on « garde le cap. » La gauche continue donc de creuser son tombeau.

On notera également que le Front de gauche ne parvient pas non plus à capter le mécontentement. Il est vrai que son ambiguïté vis-à-vis d'un PS qu'il critique mais avec qui il gouverne encore au niveau local, ainsi que le discrédit largement répandu dans l'opinion - et auquel a largement contribué le PS - de la pensée à la gauche de la sociale-démocratie, ne lui laisse guère de chance de s'imposer comme une alternative. Voici pourquoi il reviendrait au PS de défendre des solutions « de gauche  » afin de faire vivre le débat démocratique et économique. Mais Manuel Valls et François Hollande y ont renoncé.

Il est donc cocasse de voir le premier ministre réclamer des élus socialistes qu'ils refusent de porter toute alternative à la pensée dominante européenne pour « sauver la gauche. » Car sa politique est le plus sûr moyen d'appliquer à la « gauche » cette parole d'un élu de la Commune de Paris concernant l'établissement du comité de salut public : « ce n'est qu'un mot et le peuple s'est trop longtemps payé de mots. »