Des notaires aux plombiers, tous les métiers que Bercy souhaite révolutionner

Par Giulietta Gamberini  |   |  1564  mots
Le rapport de l'IGF s'attaque largement aux métiers de la santé, et notamment aux pharmaciens, proposant de supprimer leur monopole de ventes des médicaments dont la prescription est facultative ou qui sont actuellement catégorisés comme non remboursables. (Photo: Reuters)
Notaires, pharmaciens, auto-écoles, plombiers... Des métiers juridiques aux artisans en passant par les professions de santé, le rapport de Bercy sur les professions réglementées brasse large. Le point sur ces suggestions qui pourraient se révéler polémiques.

Il était "secret". Mais son contenu ne fait plus grand mystère après les révélations au compte-goutte dans la presse, des principaux points du rapport commandé par Pierre Moscovici lorsqu'il était ministre de l'Economie.

L'objectif: "restituer" 6 milliards de pouvoir d'achat

Certaines préconisations concernant 37 métiers dont l'accès (exigence de diplômes, nécessité de racheter une charge ou une licence etc.) ou l'activité (monopoles sur certains actes, tarifs réglementés) sont encadrés par la loi pourraient être repris par son successeur, Arnaud Montebourg qui a promis le 10 juillet de "restituer" 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat aux Français en luttant contre certains "monopoles".

>> Bercy pointe du doigt les professions réglementées aux tarifs "trop élevés"

Pour la rentrée, le ministre de l'Économie a ainsi annoncé un projet de loi devant être rendu public "le moment venu", a promis Bercy. En attendant, un résumé de celles dernièrement dévoilées par la presse permet de comprendre plus clairement à quoi s'attendre.

Professions juridiques: monopole et tarifs dans le collimateur de Bercy

Parmi les professions réglementées dont le droit constitue le cœur du métier, les notaires semblent être particulièrement visés par l'IGF.

  • L'Inspection générale des finances propose notamment de revoir le mode de fixation de leurs tarifs pour l'achat d'un bien immobilier. Actuellement proportionnels à la valeur mentionnée dans l'acte, ces tarifs sont donc "sans lien direct avec la complexité du dossier ou avec le temps effectivement passé", estime l'IGF. Bercy anticipant peut-être des réactions négatives souligne que :"des tarifs inférieurs de 20 % se traduiraient, toutes choses égales par ailleurs, par des marges comprises entre 12,5 % et 25 %", constate le rapport.
  • En outre, en compensation, d'autres actes à plus faible rentabilité pourraient bénéficier d'une tarification ainsi que d'un financement explicites, ce dernier tiré de l'impôt (local ou national) ou d'une cotisation de péréquation transparente.
  • L'IGF pousserait également le gouvernement à autoriser les notaires à s'installer librement sur le territoire. Aujourd'hui, chaque notaire doit demander une autorisation d'exercer à la chancellerie, mais le nombre d'autorisations ou de charges disponibles évolue moins vite que le nombre de diplômés, avec comme conséquence une augmentation du prix des études et, par ricochet, des prestations.
  • Enfin, selon l'IGF, seule l'authentification (qui donne force de loi à tout document contractuel) d'un acte soumis à la publicité foncière devrait rester monopole d'un notaire, et non plus aussi sa rédaction, distincte.

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Trois autres professions juridiques (commissaires-priseurs judiciaires, greffiers des tribunaux de commerce et huissiers) ainsi que deux autres professions libérales réglementées (administrateurs et mandataires judiciaires) sont par ailleurs mentionnés dans une demande d'avis formulée par Arnaud Montebourg auprès de l'Autorité de la concurrence.

Il s'agit de déterminer, outre les méthodes de fixation et de modification de leurs tarifs, un autre point: ce qui, dans leur activité, relève de missions de service public et ce qui dépend d'une logique économique et marchande.

Comme les notaires, certains de ces professionnels bénéficient en effet d'un monopole dans la rédaction d'actes publics, comme par exemple la tenue du registre du commerce pour les greffiers des tribunaux de commerce ou, pour les huissiers, la signification et l'exécution des décisions rendues par les tribunaux.

>>Montebourg s'attaque aux tarifs des notaires

Une large réforme des métiers de la santé, à l'exception des médecins

En plus de proposer la suppression du numerus clausus pour les étudiants espérant exercer une profession de santé (notamment pour les masseurs-kinésithérapeutes, les chirurgiens-dentistes, les infirmiers et les pharmaciens d'officine, mais pas pour les médecins), l'IGF s'attaque largement à plusieurs métiers.

  • Pour les pharmaciens, il s'agirait notamment de supprimer leur monopole dans la vente de médicaments dont la prescription est facultative ou qui sont actuellement catégorisés comme non remboursables, afin d'entraîner une baisse des coûts pour les consommateurs. Le prix de vente des premiers est en effet fixé par l'État, mais le prix d'achat auprès du laboratoire peut être négocié par le pharmacien en fonction des volumes commandés; celui des seconds est laissé à la discrétion du pharmacien. Mais les deux sont liés selon l'IGF car, afin de maintenir leur niveau de rentabilité face à la baisse des prix des médicaments remboursables, qui s'est nettement accélérée depuis 2006, les pharmaciens auraient augmenté progressivement les prix des médicaments non remboursables. Cependant, l'évolution "n'exclut pas que les pouvoirs publics maintiennent leur exigence d'intervention d'un professionnel qualifié" dans ce type de commerces, note le rapport.
  • L'IGF souhaite aussi rendre "plus aisée la prescription de lunettes correctrices par les opticiens". En conséquence, l'activité des ophtalmologistes se concentrerait sur le traitement des maladies de l'œil.
  • "Dans la mesure où les chirurgiens-dentistes sont des professionnels de santé et non des commerçants, il y aurait une logique à ne pas leur faire jouer le rôle d'intermédiaire qu'ils jouent actuellement dans la vente aux patients des prothèses dentaires", écrit l'IGF. Il s'agit à l'évidence de mettre une fin à l'explosion des prix de ces prothèses. Plusieurs solutions sont imaginées: réglementer le tarif de l'acte de conseil et de pose d'une prothèse, imposer l'achat de la prothèse par le patient directement auprès du prothésiste ou prescrire au dentiste de communiquer au patient le prix d'achat.
  • Le rapport de l'IFG plaide pour "la délégation de certains actes complémentaires aux infirmiers", moins qualifiés et donc moins chers pour l'Assurance-maladie: vaccins, renouvellement des "prescriptions de médicaments contre la douleur", perfusion et injection de médicaments analgésiques à domicile (et non plus seulement à l'hôpital).
  • Afin de limiter l'arrivée en France d'investisseurs étrangers qui "peuvent contourner la réglementation française et acquérir indirectement la majorité du capital" des laboratoires, le rapport préconise "un allégement des contraintes sur le capital" existantes et notamment la fin de la restriction au nombre de structures dans lesquelles un professionnel de santé peut investir. Pourvu que "les règles déontologiques" soient "renforcées", cette ouverture de capital pourrait d'ailleurs concerner aussi d'autres professions réglementées, estime l'IGF.
  • "Séparer clairement actes du vétérinaire et vente de médicaments" et prévoir une publication des tarifs sur Internet pour plus de transparence: voici la solution de l'IGF afin d'éviter un éventuel conflit d'intérêts préjudiciable pour les consommateurs, les professionnels de la santé animale ayant à la fois le droit de prescrire les médicaments et de les vendre.
  • Le rapport s'intéresse enfin au transport des malades, soulignant que:

"Si le transport allongé ou assis d'un patient en ambulance exige des compétences particulières, aucun motif d'intérêt général ne justifie que [le transport de patients dont l'état de santé n'exige pas de soins particuliers] soit réservé aux [véhicules sanitaires légers] et aux taxis".

Les taxis font d'ailleurs, sur un tout autre plan, l'objet d'une proposition de réforme actuellement débattue par les parlementaires.

>>Taxis et VTC: ce que la loi pourrait changer

Des auto-écoles agrées aux services libres d'enseignants de conduite

En matière de transports, le monopole des auto-écoles agrées est aussi dans le collimateur de Bercy, qui propose d'ouvrir "aux enseignants de conduite la possibilité d'offrir leurs services hors du cadre d'une école agréée pour l'apprentissage des éléments de base de la conduite".

Moins compliqué de devenir artisan

Enfin , les artisans n'échappent pas aux foudres de l'IGF, qui suggère de rendre leurs métiers plus facile d'accès, avec une réduction à "quelques mois" de l'expérience requise pour s'installer à son compte au lieu de la détention au minimum d'un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou, à défaut, de la validation de trois années d'expérience professionnelle. Un nouveau statut, encore plus simple d'accès, de "professionnel de proximité" dédié aux personnes réalisant des "tâches élémentaires" est d'ailleurs suggéré.

Le rapport s'attaque aussi aux tarifs des serruriers et plombiers, notamment dans le cas de prestations d'urgence, préconisant de leur imposer d'afficher leurs prix moyens ainsi que le prix des interventions du mois passé sur leurs sites internet.

>> Plombiers, serruriers, profs d'auto-écoles: les autres métiers ciblés par Bercy

Le Cice incompatible avec ces "privilèges"?

Plus généralement, le rapport pointe aussi du doigt la question du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Les subsides du CICE qui iront aux professions réglementées chaque année sont chiffrés à 1,7 milliard d'euros à partir de 2015, soit 9 % de la totalité de la mesure. Pourtant, "sans renforcement de la concurrence dans les secteurs concernés, le principal effet du CICE sur ces professions devrait être une augmentation des revenus des professionnels et non la création d'emplois ou l'investissement", souligne l'IGF.

Une critique qui a déjà inspiré au président PS du Conseil général de l'Essonne, Jérôme Guedj, sur les ondes d'Europe 1, la proposition de ne pas en faire profiter aux notaires, dentistes et pharmaciens.