Quand le Medef réactive ses vieilles recettes pour alléger le code du travail

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1144  mots
Pierre Gattaz, président du Medef, promet 1 million d'emplois en échange d'un code du travail simplifié
Le Medef propose dans un document d'alléger le code du travail afin de créer 1 million d'emplois. Présentées comme de "nouvelles mesures", ces propositions ne font que reprendre de très vieilles idées de l'organisation patronale.

Ainsi le Medef a finalement décidé de publier ses mesures chocs censées aider à créer 1 million d'emplois. Elles sont regroupées dans un document intitulé « Comment relancer la dynamique de création d'emplois en France ». En réalité, Les idées du Medef étaient connues depuis plusieurs mois et avaient commencé à filtrer ici et là. Mais les rendre publiques, via la presse, en ce début de semaine est un bon « coup de com ».

En effet, mardi 16 septembre, dans son discours de politique générale devant l'Assemblée, le Premier ministre Manuel Valls devra d'une façon ou d'une autre se positionner sur les propositions du Medef. Et jeudi 18 septembre, lors de sa conférence de presse semestrielle, le président de la République devra en faire de même.


Des propositions qui remontent à 10, 20, voire 30 ans

Ceci dit, les propositions émises par le Medef ne brillent pas par leur originalité. Au moins, l'organisation de Pierre Gattaz reste fidèle à ses convictions. Cela fait en effet plus de dix ans (voire davantage) - l'époque où l'organisation était dirigée par le duo de choc Ernest-Antoine Seillière et Denis Kessler - que le Medef réclame toues ces modifications dans le code du travail. C'est même Denis Kessler, à l'époque vice-président délégué du Medef et aujourd'hui patron du réassureur Scor, qui les a théorisées et qui souhaitait les appliquer via ce que l'on a appelé la « refondation sociale ».
Il en va ainsi de la durée du travail. Dans ses « nouvelles » propositions, le Medef ne varie en réalité pas d'un iota par rapport à ce que disait Denis Kessler au lendemain des lois Aubry. La France devrait retenir le modèle anglais où la durée du temps de travail est négociée dans chaque entreprise, ou, à défaut, au niveau de la branche. Et il ne devrait plus avoir de durée légale du travail fixée dans le Code du travail. Si ce système était retenu, ce serait alors un moyen de moins bien rémunérer les heures supplémentaires. Actuellement, en France, la durée légale de 35 heures hebdomadaires constitue en vérité le seuil de déclenchement des « heures sup ». C'est tout.

L'employeur est totalement libre d'imposer une durée réelle supérieure dès lors qu'il respecte la limitation européenne de 44 heures hebdomadaires. Sa seule obligation est de rémunérer davantage (25% de plus les 8 premières « heures sup »), les heures effectuées au-delà de 35 heures. D'ailleurs, actuellement, en France, la durée effective moyenne du temps de travail des salariés à temps plein est plus proche de 40 heures que de 35 heures. Dans le dispositif souhaité par le Medef, la négociation d'entreprise ou de branche devrait permettre de remonter ce seuil de 35 heures afin de limiter le sur-paiement des heures sup.


Jours fériés supprimés, déjà en 1987

Quant à la suppression de deux jours fériés, là aussi, il s'agit d'une vielle antienne du Medef. En 1987, l'un des dirigeants du CNPF (l'ancêtre du Medef), Victor Sherrer, avait écrit un livre « La France paresseuse » qui faisait exactement la même suggestion. Pourtant, la France se situe dans la moyenne européenne en nombre de jours fériés.
Quant à l'ouverture dominicale, le Medef enfonce une porte ouverte, puisqu'à l'issue de la remise du rapport Bailly sur la question fin 2013, il était convenu qu'une loi devait intervenir cette année pour clarifier la situation, notamment en réfléchissant sur l'extension du nombre des zones touristiques autorisées à travailler le dimanche. C'est là que, éventuellement, réside des réserves de croissance. A noter qu'en Allemagne, qui d'habitude sert de modèle, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe est venue limiter le nombre des ouvertures dominicales autorisées par les Länder.


Yvon et Pierre Gattaz, même combat

Concernant les dérogations possibles au Smic où la création d'un contrat de projet, autres idées avancées par le Medef, là aussi rien de nouveau . En 1984, Yvon... Gattaz, père de Pierre, alors président du CNPF avait suggéré d'instituer des « emplois nouveaux à contraintes allégées » (les Encas). Yvon Gattaz promettait au gouvernement Mauroy plus de 400.000 embauches si, en contrepartie, les entreprises bénéficiaient de davantage de flexibilité sur les contrats de travail et d'allègements de cotisations.

Ce qui est paradoxal dans la démarche actuelle de Pierre Gattaz c'est de réclamer de pouvoir déroger au Smic « pour les populations les plus éloignées de l'emploi ». Mais afin « de garantir un pouvoir d'achat équivalent au Smic », le revenu du salarié pourrait « être complété par des allocations sociales »... Soit exactement la logique actuelle des contrats aidés et notamment du contrat initiative emploi (CUI-CAE) réservé au secteur marchand dont une partie de la rémunération (égale au Smic) est prise en charge... par l'Etat.

Dérogation au Smic, ça existe déjà

La même logique prévaut également avec les contrats en alternance ou d'apprentissage. Les jeunes titulaires de ces contrats bénéficiant d'une formation et n'étant pas totalement « opérationnels » ne perçoivent donc qu'un certain pourcentage du Smic horaire qui varie en fonction de leur âge et de leur avancement dans le contrat. Au total, donc, il y a déjà en France des centaines de milliers de salariés qui ne perçoivent pas le Smic horaire.
Enfin, il y les fameux seuils sociaux. Là aussi, l'idée de les « lisser » est très ancienne... Sauf qu'à chaque négociation par le patronat et les syndicats d'un accord national interprofessionnel (ANI)... on en remet une couche en instituant de nouvelles distinctions entre les entreprises selon leur taille. Une sorte de schizophrénie.

On l'a vu encore en 2013 avec l'accord sur la formation professionnelle. Sans oublier une disposition du code du travail - curieusement non mise en avant par le Medef - qui autorise les entreprises de moins de deux cents salariés à fusionner dans une « délégation unique du personnel », les comités d'entreprise et les délégués du personnel. Et un accord collectif n'est même pas nécessaire pour y parvenir...

Bref, le Medef cherche à faire du neuf avec du vieux. Astucieusement, il profite de cette période de fort chômage, avec une majorité aux abois qui cherche à donner des gages aux entreprises, pour pousser ses pions. En privé, de nombreux dirigeants patronaux reconnaissent que les assouplissements demandés au droit du travail ne seront pas nécessairement créateurs d'emplois. L'impact espéré est davantage psychologique. Il s'agit de redonner confiance aux chefs d'entreprise et de rassurer d'éventuels investisseurs étrangers avec ce message : « vous voyez, le droit du travail français n'est pas si complexe ».