Encore un peu de Natixis ?

3 mars 2009 : l'action de Natixis, la filiale commune des Caisses d'Épargne et des Banques Populaires, ne cote plus que 1 euro à la Bourse de Paris. Elle en valait 19,5 lors de son introduction fin 2006. Dans le bureau d'un conseiller de clientèle se déroule un étrange dialogue.

Asseyez-vous, Mme Loison. Que puis-je faire pour vous ?

- D'abord, je vous remercie de me recevoir après l'heure de la fermeture.

- C'est normal, vous êtes une de nos plus anciennes clientes. Ici, à la Caisse d'Épargne, les rapports personnels comptent beaucoup. Vous sembliez préoccupée.

- Je le suis, M. le directeur. Je viens d'avoir 63 ans et...

- Vous ne les faites pas.

- Merci, c'est de famille. Voilà ce qui m'amène. Je viens de prendre ma retraite. La somme que je vais toucher chaque mois est très insuMsante, 1.650 euros à peine.

- Vous avez de l'épargne, Mme Loison, donnezmoi votre numéro de compte, que je vérifie.

- M. le directeur, ce n'est pas la peine. Tout ce que j'avais sur mon livret A et en Sicav, vous m'avez conseillé de l'investir en Natixis. Vous vous souvenez ?

- Heu, non. Nous voyons tant de monde.

- Si, si, je vous assure. C'était à la fin 2006. J'avais vendu un studio sur la Côte d'Azur quelques mois avant, ça m'avait rapporté 195.000 euros. Vous m'aviez même dit : à 19,55 l'action, si j'arrive à vous en obtenir 10.000, vous serez parée. Dans six mois, Natixis figurera dans les quinze plus grosses capitalisations boursières françaises et, dans trois ans, le titre vaudra 40 euros. Vous vous souvenez ?

- C'est possible.

- Voilà, nous sommes le 3 mars 2009. Hier, le cours de mes Natixis est tombé en dessous de 1 euro.

- Je ne savais pas que vous suiviez les cours de la Bourse. C'est très bien.

- Oui, je m'y suis mise. J'essaye de suivre dans les journaux, mais je trouve ça compliqué. Je ne comprends toujours pas pourquoi j'ai presque tout perdu.

- Ah, Mme Loison, mais c'est la crise. Moi qui suis dans la banque depuis plus de vingt-cinq ans, je n'ai jamais rien vu de pareil. Puisque vous suivez la Bourse, vous avez constaté que tout avait baissé. Et pas qu'en France !

- Oui, je sais. Sauf que Natixis a baissé davantage. Ces dernières semaines, on parlait de sauvetage par l'État, mais ça n'a pas cessé de descendre. Alors j'ai décidé de venir vous voir.

- Ah bon, et pourquoi ?

- Pour que vous m'expliquiez.

- Écoutez, Mme Loison, je ne suis pas économiste. Et on m'attend à la maison.

- Non, rien ne presse, j'ai appelé votre femme pour lui dire que vous aviez une réunion urgente.

- Hein ?

- J'ai pensé que, comme ça, nous aurions tout le temps. Il faut que vous m'expliquiez.

- Et si je refuse ?

- Je rentre chez moi et je saute par la fenêtre. J'ai déjà préparé la lettre qui raconte par le menu comment vous m'avez mitonné cet investissement exceptionnel. Je la porterai sur moi. Vous m'aviez même proposé de domicilier mes enfants dans votre agence pour qu'ils prennent du Natixis, eux aussi, vous vous souvenez ?

- Non, franchement, Mme Loison, ce n'est pas raisonnable, votre façon d'agir. Près de trois millions d'actionnaires français ont acheté du Natixis. Imaginez qu'ils viennent tous faire du chantage au suicide. Je suis navré de ce qui est arrivé à vos économies, mais je ne pouvais pas savoir. À l'époque, Natixis avait l'air d'un projet formidable.

- Je vous crois. Mais si vous voulez éviter le scandale, je vous prie de répondre à mes questions.

- Bon, allons-y. Si vous me promettez de ne pas commettre de folie. Par où on commence ?

- D'abord, c'est quoi cette banque au nom de nymphe ? Comment elle a pu perdre 2,8 milliards d'euros dès sa deuxième année d'existence ? Et comment se fait-il que moi, cliente de l'Écureuil, j'aie été embarquée dans cette aventure ?

- Le nom de nymphe, comme vous dites, c'est le résultat d'un tas de fusions. Deux groupes bancaires mutualistes, les Caisses d'Épargne et les Banques Populaires, avaient chacun sa banque d'investissement, ils ont décidé de les rapprocher pour partir à la conquête des marchés. La concurrence est rude, il faut avoir la taille pour jouer dans la cour des grands. Les « rouges » de l'Écureuil possédaient Ixis, une ancienne filiale de la Caisse des dépôts, c'est-à-dire de l'État. Et les « bleus » des Banques Populaires avaient Natexis, elle-même née de deux banques spécialisées dans le financement des PME. Les consonances grecques étaient à la mode.

- Elles faisaient quoi, ces banques ?

- De la gestion d'actifs, ça, c'est quand on place les sous disponibles des clients, en général des entreprises ou des particuliers fortunés. Du capital-investissement, quand on prête à des repreneurs d'entreprise. De l'assurance-crédit, pour garantir les firmes contre les impayés.

- Et il fallait une banque cotée en Bourse pour faire ça ?

- Comme ça, elle pouvait faire appel aux marchés financiers pour son développement. C'est que les rouges et les bleus avaient beaucoup d'ambition. Ils voulaient imiter les grandes banques comme Société Générale qui gagnaient plus d'argent sur les marchés qu'avec leurs activités de détail. Chacun voulait rester maître chez soi tout en envisageant de fusionner à terme. Alors, pour tâter le terrain, ils se sont olert un pur-sang à gérer en commun.

- Qui avait imaginé le montage ?

- À l'époque, le dossier avait été étudié à la banque Rothschild par François Pérol, vous avez dû en entendre parler.

- Oui, c'est ce conseiller de Nicolas Sarkozy qui va devenir le nouveau patron à la fois de Natixis, des Banques Populaires et des Caisses d'Épargne. Un peu comme dans la fable « l'Huître et les Plaideurs ». C'est le conseiller qui gobe l'huître. Enfin, si sa nomination est acceptée. Elle a l'air de susciter du grabuge.

- Oui, des recours ont été déposés. Toute la question est de savoir si François Pérol était fonctionnaire et s'il a pris des décisions concernant l'avenir de l'entreprise qu'il va maintenant diriger. On verra. Lui, il dit qu'il vient pour défendre les intérêts de l'État qui a mis 5 milliards d'euros dans Natixis.

- Et les dirigeants du groupe, ils ont été limogés ? C'était bien eux les responsables ?

- Charles Milhaud, notre grand patron, le président de la Caisse Nationale des Caisses d'Épargne, a été écarté à l'automne, après une malheureuse alaire de perte sur les marchés par un trader indélicat. C'était pourtant un ami de Nicolas Sarkozy. Mais Philippe Dupont, le patron des Banques Populaires, est toujours là. Alors qu'il avoue lui-même ne pas être un vrai banquier !

- Pas de vraie sanction, donc ?

- Mais vous vouliez quoi, Mme Loison ? Les bonus ont déjà été réduits à presque rien pour tout le monde.

- Réduits autant que mon épargne ?

- Bah. Pas tout à fait. 73 % contre 95 %. Mais les actions vont remonter, je vous jure.

- Dites-moi déjà comment elles sont descendues si bas.

- Avec Natixis, on était des challengers. Si on voulait rattraper les gros, il fallait gagner plus qu'eux. Donc prendre plus de risques. On a investi dans les subprimes américains. Vous connaissez ?

- Je connais.

- Et puis dans les produits structurés. C'est fou ce que ça rapportait. Malheureusement, il y a eu l'alaire du CIFG. Si on avait pu le vendre à temps ! C'était la filiale américaine, un rehausseur de crédit.

- Un quoi ?

- Pour emprunter plus, pour faire levier comme disent les Américains, il faut inspirer confiance. Les rehausseurs de crédit étaient des institutions très bien notées qui « louaient » leur réputation à des emprunteurs dont la note était ainsi rehaussée. J'en parle au passé parce qu'avec la crise, pfutt. Bref, il y avait un repreneur pour le CIFG début 2007. Mais le numéro deux de Natixis, Anthony Orsatelli, qui avait créé cette filiale quand il était chez Ixis, n'a pas voulu se défaire de son bébé. Quelques mois plus tard, il a fallu que les deux mutualistes, actionnaires chacun à 35 % de Natixis, le rachètent en catastrophe pour 1 milliard d'euros.

- Et là, le cours de Bourse de Natixis était déjà au tapis.

- Oui, la crise avait commencé. Tout ce qui était sophistiqué inspirait la méfiance. Et Natixis était vraiment très sophistiqué. Ils avaient même investi chez Bernard Madoff, l'escroc de Wall Street. Enfin, je vous rassure. C'en est fini de toutes ces fantaisies. François Pérol a dit clairement que la banque allait être recentrée sur des activités de service aux réseaux bleus et rouges.

- Bien pépère ?

- Bien pépère.

- Et c'est avec ça que mes Natixis vont remonter à 19,55 ?

- Pas du jour au lendemain, Mme Loison. Écoutez, il est tard. Je vous propose de revenir demain. On va discuter de solutions pour votre retraite. Et pas de bêtise, hein ?

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