"L'Allemagne de l'Ouest a encore beaucoup à apprendre de l'Est"

Erwin Sellering, ministre-président SPD du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale, le plus pauvre d'Allemagne, commente les vingt années de rapprochement entre l'Est et l'Ouest.

La Tribune - Quelle signification accordez-vous aux commémorations des 20 ans de la chute du Mur de Berlin ?

Erwin Sellering - C'était le plus beau et le plus émouvant moment de l'histoire allemande. Lorsque l'on regarde les documentaires sur la célèbre conférence de presse de Günther Schabowski (qui a provoqué la chute du Mur, le 9 novembre 1989, ndlr), il paraît évident que l'ouverture du Mur n'était pas préméditée. Cependant, elle n'a pas eu lieu par hasard : des centaines de milliers d'Allemands de l'Est étaient dans les rues. Ils ont dépassé leur peur et remarqué que ceux qui étaient au pouvoir ne pouvaient plus s'opposer à eux. Il est fascinant que tout se soit passé sans effusion de sang. Les manifestants ont agi avec leur courage et la conviction morale d'avoir raison, littéralement désarmés.

- Une différence de niveau de vie demeure entre l'Est et l'Ouest. Est-ce un échec de la réunification ?

- Un tel processus d'adaptation dure très longtemps. Les dernières études disent que cela durera encore 20 ans. Déjà, au cours des 20 dernières années, l'Allemagne de l'Est est allé de l'avant et je rencontre beaucoup d'Allemands de l'Ouest qui sont très positivement surpris non seulement de la beauté des paysages et des villes, mais aussi des infrastructures. Il était difficile de moderniser un Land comme le notre et il a fallu l'aide massive de l'Etat fédéral et des Länder. Aujourd'hui, nous pouvons être fier du chemin parcouru. En assez peu de temps, ce Land est devenu le premier pour le tourisme en Allemagne. Dans l'agriculture, qui est importante, ici, la productivité est monté au plus haut niveau allemand. Le revers de la médaille, c'est que beaucoup de personnes ont dû changer de travail, s'adapter à de nouveaux métiers ou devenir chômeurs. Au lieu de 180.000 personnes, l'agriculture emploie aujourd'hui 21.000 personnes.

- Votre Land demeure cependant le plus pauvre d'Allemagne. Avez-vous encore besoin de l'aide de l'Ouest ?

- Nous avons obtenu des transferts massifs de fonds du plan de solidarité, qui s'achève en 2019. Ensuite, nous devront assurer notre futur avec nos propres forces, ce qui d'ailleurs était depuis longtemps le programme de mon parti. D'ici là, nous devons mettre en place des moyens pour les investissements et non pour la consommation. Sur le plan de la politique budgétaire, c'est un grand défi de ne pas dépenser autrement l'argent. Evidemment, nous avons besoin encore d'investissements. Là où nous sommes forts, nous pouvons encore l'être plus. Dans le tourisme, nous voulons renforcer l'offre sportive et de bien-être, pour allonger la saison. Le tourisme de santé nous convient parfaitement et a de l'avenir. Cela vaut aussi pour les énergies renouvelables. Nous y sommes déjà bons, mais nous pouvons encore plus nous y développer, par exemple dans la biomasse et la géothermie.

- Le chômage demeure un problème sévère à l'Est. Comment voyez-vous évoluer la situation ?

- Malgré la crise économique, l'évolution du marché du travail est positive. Le chômage dans notre Land est à son plus bas niveau depuis la réunification. Cela tient à l'évolution démographique. Ceux qui quittent le marché du travail sont plus nombreux que ceux qui y entrent. Cependant le taux de chômage à l'Est reste supérieur à celui de l'Ouest. C'est pourquoi nous devons être plus attractifs économiquement.

- Qu'attendez-vous du nouveau gouvernement fédéral pour l'Allemagne de l'Est ?

- Je crains que la politique budgétaire soit peu solide et nuise à l'Est. Le nouveau gouvernement fédéral CDU/CSU/FDP a annoncé des baisses d'impôts massives. Elles seront financées par des dettes et aux dépens des Länder. C'est pourquoi beaucoup d'entre eux les refusent. Ce plan coûterait 240 millions d'euros par an au Land de Mecklembourg-Poméranie Occidentale : nous ne pouvons pas nous le permettre. Le second problème est le financement des caisses publiques d'assurance maladie. A l'Est, ces dernières ont, à cause de la structure de la population, de trop fortes dépenses qui ne peuvent être couvertes par les assurés. Le dernier gouvernement fédéral a, pour cela, prévu une compensation. Le nouveau voudrait revenir dessus. Ce serait un désavantage pour l'Est et pour une partie de l'Allemagne du Nord. Je ne peux accepter ces deux points et je ne les soutiendrai pas au Bundesrat.


- Beaucoup d'Allemands de l'Est ne se sentent pas intégrés à l'Allemagne réunifiée. En tant que Ministre-Président d'un Land de l'Est originaire de l'Ouest, comprenez-vous ce sentiment ?

- Je peux le comprendre. Je perçois souvent que les Allemands de l'Ouest n'ont pas encore assez de respect pour ce qu'ont fait ceux de l'Est. Ces derniers ont fait tombé un mur. Ils ont, ensuite, connu et surmonter une immense incertitude économique. A cela s'ajoute que les niveaux de vie sont encore différents à l'est et à l'ouest. Il existe encore une retraite pour l'est et une retraite pour l'ouest. Tant qu'il y aura de telles différences, l'harmonisation ne sera pas achevée.

- Ce fossé va-t-il perdurer encore ?

- Il n'existe déjà plus pour la jeune génération. Les jeunes Allemands grandissent dans une Allemagne unie. Le problème va se résorber avec le temps.

- L'Allemagne de l'Ouest n'a-t-elle pas insuffisamment appris de l'Allemagne de l'Est ?

- Oui. L'ancienne RFA d'avant 1990 avait aussi des faiblesses et la RDA avait ses forces. J'aurai voulu qu'après 1990 ont en parle plus librement. Cela aurait facilité l'union entre les deux Allemagne. Aujourd'hui encore, on a à l'ouest encore beaucoup à apprendre de l'Est.

- Cela signifie-t-il pour le SPD, votre parti, un comportement plus ouvert avec Die Linke ?

- Dans notre Land, nous avons gouverné ensemble pendant 8 ans. Un travail en commun n'est pas exceptionnel pour nous. Au niveau fédéral, je m'attends à une normalisation de nos relations.

 

Le Land le plus pauvre d?Allemagne

Le Mecklembourg- Poméranie Occidentale est le Land le plus pauvre d?Allemagne avec un PIB par habitant de 21.439 euros, loin de la moyenne allemande de 30.343 euros. C?est aussi le moins densément peuplé avec 72 habitants par kilomètre carré. Traditionnellement liée aux chantiers navals et à l?agriculture, l?économie du Land a beaucoup souffert après la réunification et la population a reculé de 12 % depuis 1991. Le PIB par habitant a néanmoins été multiplié par 2,8 dans le même temps : le Land s?est développé grâce au tourisme sur la côte baltique, mais aussi dans la région des Lacs, les Seeplatten, plus au sud. Depuis 2008, le Land est dirigé par une grande coalition entre SPD et CDU dirigée par le social-démocrate Erwin Sellering, un ancien juge de l?Ouest nommé à l?Est en 1994 et qui est demeuré dans la région.

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