Les prix des matières premières agricoles s'envolent, les pays pauvres s'inquiètent

Emeutes, quotas d'exportation, expropriations de terres agricoles détenues par des étrangers... Les pays du Sud risquent de vivre à nouveau en 2011 ce qui faisait souvent leur quotidien avant la crise lorsque, poussés par la spéculation, les prix des matières premières agricoles étaient au plus haut.
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L'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO) vient d'annonce que les prix agricoles avaient atteint des niveaux records en décembre. Et elle prévoit que cette situation pourrait s'aggraver si la météo réserve de mauvaises surprises.

Pour la première fois, ces cours ont dépassé les niveaux atteints début 2008 lorsque la valse des étiquettes avait provoqué des "émeutes de la faim" dans des pays comme Haïti, l'Egypte et le Cameroun et fait naître des demandes de plus grande régulation des marchés des matières premières.

L'impact potentiel dans les domaines humanitaire, politique et économique - tout particulièrement dans les Etats déshérités où les prix des denrées alimentaires de base constituent le principal élément de l'inflation - inquiète déjà les décisionnaires et les hauts responsables.

"Les hausses des prix alimentaires frappent le plus durement les plus pauvres, les dépenses d'alimentation représentant la plus forte proportion de leurs budgets", explique James Bond, spécialiste en assurance du risque politique de la Banque mondiale. "Cela crée des tensions importantes dans les pays plus pauvres, exacerbe les disparités en matière de niveau de vie et constitue une source majeure d'agitation."

Cercle vicieux

Jusqu'ici, les experts imputent la majeure partie de ces hausses aux tensions en matière d'offre liées aux phénomènes climatiques - inondations en Australie, sécheresse en Argentine, temps sec et incendies en Russie et gelées menaçant les récoltes en Europe et en Amérique du Nord. Mais ils redoutent que les facteurs politiques et les marchés entrent prochainement dans la danse et contribuent à créer un cercle vicieux.

"Le danger qui se profile aujourd'hui est un deuxième choc, avec des pays réagissant par des interdictions à l'exportation et des investisseurs sur les marchés financiers spéculant à court-terme, faisant encore monter les prix, comme ce fut le cas en 2008", estime Maximo Torero, de l'Institut international de recherche en politique alimentaire (Ifpri) de Washington.
L'an dernier, les Russes ont limité leurs exportations à la suite des incendies et de la sécheresse. En 2008, selon l'Ifpri, 13 pays au moins, dont l'Argentine, le Cambodge, le Kazakhstan, la Chine, l'Ethiopie et la Zambie, avaient imposé des restrictions à l'exportation ou des taxes, ce qui a contribué à accentuer les tensions sur l'offre.

Pour Maximo Torero, les informations faisant état de troubles pourraient également alimenter de nouvelles hausses du prix des carburants, relancer la spéculation en matière d'investissements et provoquer des "achats de panique" - même si les causes peuvent en fait être plus complexes. Les assureurs en matière de risque politique, qui apportent une protection contre le danger de confiscation ou de violences politiques, observent la situation actuelle attentivement, même si cette dernière n'a, selon eux, pour le moment aucune répercussion directe sur leurs primes d'assurance.

Controverses sur les contrats fonciers

Les risques les plus élevés d'expropriation de terres agricoles demeurent en Amérique latine, d'après les assureurs, notamment au Venezuela, en Bolivie et en Equateur. Mais les facteurs politiques locaux joueraient ici un plus grand rôle que la hausse des prix. Mais c'est en Afrique que les tensions actuelles pourrait avoir un impact sur les accords de terres conclus ou projetés dans un certain nombre de pays. 

Lors de la flambée des cours de 2008, des fonds occidentaux et des pays émergents _ à commencer par la Chine - avaient multiplié la signature de contrats leur permettant de garantir leur sécurité alimentaire. Certains de ces contrats ont suscité la controverse, comme à Madagascar où les ambitions foncières du géant sud-coréen Daewoo se sont heurtées à la colère de la population locale. Cette grogne, dit-on même, aurait joué un rôle dans le coup d'Etat qui s'est produit en 2009 dans la Grande Ile de l'océan Indien.

"Les risques principaux surviendront dans les régions incapables de nourrir leur propre population. Ces contrats seront alors perçus comme ayant été mal négociés", explique Jonathan Wood, analyste chez Control Risks. "Bon nombre de ces projets sont situés en Afrique de l'Est - Ethiopie, Kenya, Tanzanie. Beaucoup dépendra de la façon dont sera négocié chaque accord individuellement."

Certains investisseurs, comme Emergent Asset Management et Clayton Capital, affirment que leur politique consiste à s'assurer que ces projets bénéficient très clairement aux populations locales. "Les investisseurs malins ne possèdent pas la terre", souligne James Bond. "Ils travaillent avec des fermiers sous contrat et considèrent le marché intérieur comme étant leur premier et plus important marché."
 

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