Les défenseurs d'une réforme du système financier international ont perdu leur porte-voix

Par Nicolas Brien, Fulbright Scholar Columbia University
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Vingt-six heures. C'est le temps qu'il a fallu au conseil d'administration du FMI pour remplacer son directeur après l'annonce de l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn. En apparence donc, rien n'arrête le travail de l'institution de Bretton Woods. En apparence seulement. Car la chute de DSK laisse un trou béant à la tête du FMI. Alors que DSK avait accompagné le FMI au coeur de la plus grave crise financière depuis 1929, l'avenir des réformes historiques engagées à la tête de l'institution semble désormais bien incertain.

 

Quand DSK prend les commandes du FMI en juillet 2007, l'institution est considérée comme moribonde. Son utilité est réduite, son idéologie est dépassée et sa gouvernance contestée. Le FMI, fervent pourfendeur des déficits des gouvernements, n'arrive même pas à équilibrer son budget et ne prête plus qu'à un seul pays, la Turquie. De nombreux pays émergents comme le Brésil ou le Venezuela préfèrent rembourser leur dette en avance pour se libérer de la tutelle du fonds, tandis que les pays en voie de développement, notamment africains, se tournent vers la Chine pour assurer leurs besoins de financement via des prêts bilatéraux, moins contraignants. À la conférence de Singapour de 2006, un bras de fer s'engage entre, d'un côté, les États-Unis et les Européens et, de l'autre, le bloc des émergents. Emmenés par la Chine, ces derniers dénoncent la supermajorité de 85 % requise pour prendre les décisions du FMI, qui donne de facto un droit de veto à l'Union européenne (quand elle agit de concert) et aux États-Unis. Ils critiquent la gouvernance d'un FMI inspirée d'une entreprise cotée en Bourse, où les droits de vote sont attribués en fonction d'une équation dont le composant principal est la richesse de chaque pays. Quand la crise éclate à l'été 2008, le FMI est sur le banc des accusés, pour avoir failli à son rôle de surveillance macroéconomique et pour avoir inspiré les réformes qui ont conduit au dérèglement des marchés financiers internationaux.

Sitôt l'effondrement boursier de septembre 2008, DSK initie un profond processus de transformation de l'institution, connue pour son conservatisme. Réaffirmant son rôle de prêteur de dernier ressort, le FMI devient incontournable. Pendant la crise, la taille du fonds passe de 250 milliards de dollars à plus de 1.000 milliards. Pour la première fois depuis quinze ans, le FMI opère un retour en Europe avec des interventions en Hongrie, Pologne et Islande à l'automne 2008. Au-delà d'un renforcement de ses moyens d'intervention, une réforme sans précédent s'engage.

 

En octobre 2010, pour la première fois depuis sa création, le FMI décide le transfert de 6 % des droits de vote appartenant aux pays riches vers les pays émergents, ainsi que le transfert de deux sièges au conseil d'administration. Le départ de DSK risque de compliquer cette réforme inachevée, la Chine, le Brésil et l'Inde ayant obtenu la promesse d'un nouveau transfert en janvier 2012.

Alors que le FMI s'oriente vers la fin du monopole américano-européen et une meilleure représentation des pays en voie de développement, ce premier pas nécessitait un rééquilibrage, tant il profite essentiellement aux poids lourds émergents comme la Chine, dont les droits de vote ont doublé, au détriment des pays africains, qui ont perdu en moyenne 20 % de leurs droits de vote. Alors que la crise fait trembler les certitudes des économistes, DSK lance l'aggiornamento idéologique du FMI. Lors de son assemblée générale le mois dernier, le FMI reconnaît ainsi officiellement l'inefficience de l'idéologie de dérégulation des marchés financiers en défendant le bien-fondé des récents contrôles imposés par le Brésil sur les flux de capitaux spéculatifs. À plusieurs reprises, DSK avait dénoncé publiquement les injustices générées par la mondialisation, fustigeant au passage l'incapacité des banques à réorienter le crédit vers les PME et les ménages.

 

Tout juste dix jours avant l'arrestation de DSK, le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz commentait la révolution idéologique amorcée par le FMI : « Dominique Strauss-Kahn s'est montré un sage leader pour le FMI. Nous ne pouvons qu'espérer que les gouvernements et les marchés financiers entendent sa voix. » Quelle que soit l'issue judiciaire de l'arrestation de DSK, cette voix manquera cruellement pour accompagner la nécessaire réforme du système financier international...

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