" Innover pour inventer un Japon moins nucléaire"

Le nouveau gouvernement a fait le vœu d'une moindre dépendance vis-à-vis de l'atome. Une interview de Koichi Kitazawa, président de l'Agence japonaise pour la science et la technologie par nos partenaires suisses du Temps.
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Il y a l'avant et l'après-Fukushima. L'avant: le Japon prévoyait d'augmenter la part du nucléaire dans son électricité d'un peu moins de 30% en 2010 à 50% d'ici à 2030. L'après: la tendance inverse, en tout cas la volonté de réduire la dépendance du pays à ce type d'énergie, comme l'a réaffirmé lundi le ministre japonais chargé de la crise nucléaire, Goshi Hosono, en marge de la 55e conférence générale de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Le président de l'Agence japonaise pour la science et la technologie, le professeur Koichi Kitazawa, impliqué dans la réflexion menée dans son pays sur le nucléaire et les énergies de demain, était présent mardi à Genève. Chargé d'inaugurer le semestre d'automne de l'université en donnant une conférence sur les promesses de la supraconductivité dans le secteur énergétique, il livre ses réflexions sur le futur énergétique du Japon.

- Aujourd'hui le Japon manque toujours d'électricité, seuls 20% des réacteurs nucléaires fonctionnent encore. Un effort sans précédent a été demandé à l'industrie et à la population pour faire des économies d'énergie...

- Koichi Kitazawa: Après Fukushima, le gouvernement a en effet exigé des services publics et des industriels de l'est du pays de baisser leur consommation électrique de 15%. Il a encouragé vivement la population à en faire de même. Les coupures d'électricité apparaissant, les personnes ont craint un black-out total et se sont mises à consommer différemment, à collaborer spontanément. Un programme télévisé a vite été mis en place pour présenter les prévisions électriques du jour: la capacité de production du pays et la consommation attendues.

- Quelles actions concrètes les Japonais ont-ils mises en place ?

- Mes compatriotes ont avant tout évité de brancher les appareils électriques (machine à laver, cuiseur à riz) au moment où tout le monde s'y met généralement (entre 13h et 18h) pour éviter un pic de consommation trop élevé. Ils ont aussi augmenté le thermostat de la climatisation de trois degrés, coupé les chauffages superflus et diminué l'éclairage ambiant. Les diodes électroluminescentes (LED), consommant seulement 30 à 40% d'une ampoule classique, sont devenues très populaires. Et cela a payé puisque les ménages ont baissé de près de 20% leur consommation électrique.

- Pensez-vous que ces bonnes habitudes pourront durer à l'avenir ?

- Oui, dans une certaine mesure. Les gens continuent à acheter des LED aujourd'hui, même si la demande de restriction énergétique n'est plus en vigueur pour les foyers. Les compagnies électriques se sont équipées de turbines à gaz, ce qui leur permet de gérer la consommation des ménages.

- Goshi Hosono a exposé haut et fort le consensus national en faveur d'une moindre dépendance vis-à-vis du nucléaire. Mais votre premier ministre a réclamé un redémarrage de certaines centrales pour relancer l'économie du pays...

- Nous pouvons croire que le gouvernement, qui a annoncé publiquement ce consensus, tentera réellement de diminuer la part du nucléaire dans la période à venir. Il est cependant vital de garder une certaine puissance énergétique pour faire face aux exigences industrielles. Le gouvernement central a demandé aux gouverneurs locaux de relancer les réacteurs arrêtés pour cause de maintenance, mais ces derniers sont vraiment frileux, surtout dans la région de Kyoto qui en recense beaucoup.

- Dans quelle proportion le nucléaire pourrait-il diminuer à l'avenir et à partir de quand ?

- Ceci fait l'objet de vives discussions au sein de la commission japonaise chargée de l'énergie. Leurs résultats donneront lieu à l'écriture du futur plan énergétique national, rendu public en 2012. Mais une tendance suggérait que le nucléaire serait rendu à la portion congrue, pour ne pas dire réduit à zéro, d'ici aux années 2020-2030.

- Et par quoi serait-il remplacé ?

- Avant tout par une montée en puissance du gaz, une augmentation du nombre de turbines fonctionnant au gaz naturel liquéfié.

- Et les énergies renouvelables dans tout cela ? Votre Ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie a annoncé vouloir investir 20 milliards de yens (230 millions de francs) dans l'installation de six éoliennes flottantes au large des côtes de Fukushima. L'éolien est-il une solution d'avenir pour le Japon ?

- L'éolien a ses avantages, l'éolien off shore en particulier permet en s'éloignant des côtes de gagner l'espace qui nous fait cruellement défaut sur terre. Mais le solaire et la géothermie auront aussi leur place dans le futur. Laquelle? La population aimerait leur venue au plus vite et de façon quasi exclusive. Les industriels voient leur développement d'un mauvais ?il et exercent une pression importante sur le gouvernement. Pour eux, plus d'énergie renouvelable, c'est ralentir l'économie.

- Vous avez tenu hier une conférence sur la supraconductivité. Cette capacité de certains matériaux à conduire le courant sans résistance, permet de limiter les pertes énergétiques en cas de transport électrique. Ce serait particulièrement intéressant dans le cas des énergies renouvelables...

- Dans l'idée effectivement de créer un réseau à l'échelle du pays connectant différentes sources d'énergies renouvelables. Prenons l'exemple des éoliennes. Réparties sur ou autour du territoire, leur production énergétique est soumise aux conditions climatiques, vent ou pas vent. Si vous les reliez toutes ensemble, vous créer un réseau où la baisse de production de l'une peut être palliée par l'augmentation d'une autre, le système restant globalement stable. Imaginez le nord du Japon relié au sud par un câble supraconducteur capable d'acheminer une grosse densité de courant: voilà dessinée la colonne vertébrale de ce réseau.

- Y a-t-il des travaux en cours au Japon sur le sujet ?

- Près de Nagoya, le professeur Sataro Yamaguchi, de l'université de Chubu, réalise des expériences sur un câble de 200 mètres refroidi par de l'azote liquide.

- L'agence d'exploration aérospatiale japonaise est à la tête d'un projet de centrale solaire spatiale. Science-fiction ou réalité ?

- C'est un projet bien réel dont l'échéance est pour l'instant d'une trentaine d'années. L'idée est de capter l'énergie solaire depuis l'espace grâce à des panneaux photovoltaïques et de la renvoyer sur Terre en utilisant comme support un faisceau de micro-ondes.

- Et où en est-on ?

- La première étape du projet, c'est-à-dire la démonstration qu'une transmission d'énergie depuis l'espace est faisable, n'a pas encore été franchie. Quelques petites expériences se sont révélées encourageantes mais un problème majeur se pose actuellement en ce qui concerne la taille du faisceau. Celui-ci est encore trop grand, ce qui implique pour l'instant une surface de panneaux et une antenne réceptrice terrestre surdimensionnées.

Pour retrouver le dossier du Temps sur le nucléaire, cliquez ici

Le Temps © 2012

Commentaire 1
à écrit le 12/03/2012 à 14:31
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Après avoir exporté le disbolique combustible MOX à Fukushima les Français pourraient désormais exporter un savoir faire beaucoup plus pacifique et prometteur au Japonnais: www.negawatt.org

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