Finance Watch, grain de sable bruxellois face aux lobbies de la finance

Pas facile, quand on est une ONG sans le sou, de faire entendre la voix de la société civile dans un débat dominé par l'industrie financière. L'influence des établissements financiers est forte auprès des fonctionnaires de la Commission européenne et des parlementaires dans l'élaboration de la réglementation de l'Union. Une ONG, Finance Watch, se bat, avec des moyens extrêmement limités, pour s'assurer que l'intérêt des citoyens européens est pris en compte et préservé. Un combat de David contre Goliath, version groupes de pression financiers.
Un stand de l'association lors de sa conférence « Financer l'économie réelle », le 23 avril 2013, à Bruxelles. / DR

Une mère en imperméable devant un landau d'où dépassent les jambes immenses d'un homme en jeans. Cette image grotesque n'est pas l'affiche d'un nouveau film sur les trentenaires incapables de quitter le giron familial, mais l'illustration choisie par Finance Watch pour son dernier communiqué de presse titré : « Il est temps de couper le cordon ombilical entre les dépôts bancaires et le trading d'instruments financiers. » Selon cette ONG, l'État serait une véritable mère poule pour les banques, car il les protégerait d'une façon artificielle des conséquences de leurs activités risquées.

Comme toute métaphore, celle-là est sans doute critiquable et certainement simplificatrice. Mais c'est le prix à payer pour faire passer des messages sur la réglementation financière à un large public. Finance Watch a été créée pour cela : être la vigie de la société civile dans un débat confisqué par les « techniciens », autrement dit par l'industrie financière elle-même. Et en un an et demi, cette organisation a réussi à imposer sa voix singulière, un mélange de technicité, gage de crédibilité, et de communication agressive à l'anglo-saxonne.

Si on la rapporte à son budget (à peine 2 millions d'euros), l'audience dont jouit Finance Watch et la place qu'elle s'est faite dans le débat public - et même dans les enceintes techniques - sont à peine croyables. C'est qu'elles sont à la mesure de la frustration ressentie après 2008 par les citoyens face à la capture des politiques de régulation financière par les acteurs eux-mêmes, au premier chef, les banques d'investissement. « Même l'industrie financière comprend que nous avons besoin d'avoir un dialogue adulte si nous voulons aller au-delà du "bankbashing" et du populisme », explique Thierry Philipponnat, le secrétaire général de Finance Watch. Les dizaines de millions d'euros investis par les seules banques dans leur représentation à Bruxelles n'ont pas permis d'améliorer une image durablement salie par la crise.

Finance Watch réalise une promesse de la Commiss ion européenne datant de 2009 et qui n'avait jamais été tenue : celle de donner réellement une voix à la société civile dans le processus de décision européen pour remettre l'intérêt général au centre des orientations de la régulation financière. En théorie, bien sûr, la Commission d'où émanent les projets de lois européens et le Parlement sont censés y pourvoir. Mais en pratique, l'essentiel de l'expertise sur laquelle ces institutions s'appuient est fourni par l'industrie elle-même.

« Trop anglais, trop marché et antibanque »

Finance Watch offre donc un autre son de cloche. « C'est un contrepoids utile. Leurs papiers sont regardés de près dans les unités », constate un haut fonctionnaire de la Commission.

Mais ce « contre-lobby » s'attire également des critiques. Un lobbyiste bancaire leur reproche d'être « trop anglais, trop marché et antibanques ». Qui est Finance Watch pour prétendre représenter « la société civile » ?

La réponse se lit dans la composition du conseil d'administration et dans la liste des organisations membres où se côtoient syndicats, associations de consommateurs, mais aussi fondations caritatives comme Caritas, associations environnementales, comme Oxfam, ou politiques comme Attac et la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH). Cette base très large la distingue des autres organisations déjà présentes sur le créneau du « contrelobbying » industriel. Par exemple, Euroshareholders, tout aussi critique sur l'influence excessive de l'industrie, a vocation à représenter les (plutôt petits) actionnaires. Le Beuc (Bureau européen des unions de consommateurs) est plus présent sur les sujets « conso », comme les tarifs de la banque de détail. Ces deux organisations ont d'ailleurs été dans l'aventure Finance Watch à ses débuts, même si la première s'est retirée après s'être retrouvée en conflit pour l'obtention d'une subvention d'exploitation de la Commission européenne...

Par mesure d'économie, Euroshareholders reste dans le centre historique de Bruxelles, loin du quartier européen. Finance Watch, en revanche, a planté son drapeau square de Meeûs, où sont installés deux des plus grands cabinets de lobbying de la place. C'est un gage de crédibilité et un lieu très pratique pour se rendre à pied à la Commission ou au Parlement. L'association loue un bout de plateau au troisième étage où son voisin immédiat n'est autre que... l'Association for Financial Markets in Europe. Depuis sa création en 2009, l'AFME, qui réunit les plus grandes banques d'investissement européennes, dont la Société générale, Deutsche Bank, BNP Paribas, Goldman Sachs ou HSBC, est devenue le groupe de pression bancaire le plus en vue à Bruxelles. La cotisation d'une seule grande banque à l'AFME (environ 800000 euros) excède un tiers du budget de Finance Watch ! L'an dernier, l'AFME avouait investir une dizaine de millions dans le lobbying européen.

Entre l'industrie financière et la société civile, les moyens sont au bas mot dans un rapport d'un à dix, ce qui n'est pas illogique : les associations comme Finance Watch sont censées apporter une contre-expertise et une réflexion indépendante, mais les représentants de l'intérêt général restent, en définitive, les parlementaires, les dirigeants politiques et les fonctionnaires eux-mêmes.

Quand il s'agit de définir l'« intérêt général » qui justifie l'existence de son organisation, Thierry Philipponnat ne s'embarrasse pas de théorie. « L'intérêt général, vous savez ce que c'est quand il est là. Quand vous voyez quelque chose qui bénéficie à un nombre très limité d'acteurs, mais qui n'aide pas l'économie et même met la société en danger, alors vous savez que l'intérêt public n'est pas respecté », affirme-t-il. La raison sociale de Finance Watch pourrait donc être la suivante : éviter que la finance ne se fasse une rente sur le dos de la société.

Simple sur le papier. Dans la pratique la démonstration peut s'avérer plus complexe. Son premier « coup » fut un demi-succès. En plein psychodrame entre ministres des Finances et députés européens sur l'encadrement des ventes de titres financiers à découvert, l'organisation publie une note où elle démontre par a + b que les produits d'assurance contre le défaut souverain, également appelés « CDS souverains », n'ont d'intérêt que spéculatif quand ils ne sont pas acquis pour couvrir le risque sur un titre de dette réellement en portefeuille. Le raisonnement de l'ONG est en substance que l'on ne prend pas une assurance sur la maison du voisin sans créer une incitation à y mettre le feu.

Mais les grandes banques d'investissement, qui contrôlent ce marché, répliquent. Elles arguent que les CDS souverains réduisent le coût de financement des États en améliorant la couverture des risques. Un argument fort en pleine crise de l'euro et qui porte particulièrement auprès des administrations nationales du Trésor chargées de placer la dette publique. Or, c'est aussi du Trésor que viennent les experts qui négocient la législation européenne au Conseil des ministres. Au bout du compte, l'interdiction des transactions sur des assurances souveraines sans détention de la dette souveraine sous-jacente restera largement factice, les dispositions techniques adoptées depuis le vote du Parlement européen ayant créé la possibilité de la contourner.

Le lobbying, plus efficace au niveau national

Depuis sa création, Finance Watch a bataillé sur d'autres fronts, comme l'organisation des marchés de titres, la taxe sur les transactions financières, la capitalisation des banques ou encore l'encadrement des agences de notation. Avec des résultats variables. « Nous avons pris notre place. Est-ce suffisant ? Certainement pas. Être dans les forums, c'est important. Mais cela ne veut pas dire que ce que nous disons sera pris en compte », reconnaît Thierry Philipponnat. En France, bien qu'auditionnée au Sénat et à l'Assemblée nationale, Finance Watch a, par exemple, échoué à avoir une quelconque influence sur la loi bancaire française. « Le lobbying le plus efficace est celui qui se fait au niveau des dirigeants nationaux », explique-t-il.

Même la crédibilité technique n'est pas une garantie de succès. En 2012, Euroshareholders a financé une solide étude montrant que la réglementation en vigueur depuis 2007 sur l'exécution des ordres d'opérations sur titres permettait aux courtiers de tirer une véritable rente sur les petits actionnaires. Or à en croire l'état des discussions entre ministères des Finances, la révision en cours de la directive sur les marchés d'instruments financiers devrait ne rien changer à cette situation. « L'étude sur la best execution n'a pas eu d'impact », reconnaît le secrétaire général d'Euroshareholders, Guillaume Prache.

L'argent reste le nerf de la guerre

Arriver à suivre une négociation dans la longueur est essentiel pour avoir un vrai impact. L'histoire des ventes à découvert sur les CDS montre que l'effet réel d'un texte dépend de mesures d'application qui peuvent être décidées, elles, plusieurs mois, voire un an ou deux après le vote d'un texte. Il en sera probablement ainsi pour les règles sur les capitaux bancaires qui prévoient une kyrielle de mesures dites d'« application ». Or, avoir une vraie force de frappe à la fois géographique, technique et dans la durée est une question d'argent. La disproportion entre les moyens de ces organisations et ceux déployés par l'industrie est immense.

L'argent reste le nerf de la guerre. Jusqu'à l'année dernière, Euroshareholders ne disposait d'aucun soutien de la Commission européenne. Depuis 2012, il reçoit la portion congrue d'une ligne de crédit ad hoc, dont Finance Watch récupère l'essentiel. Pour 2013, cette dernière attend 1,2 million d'euros de subvention européenne, soit exactement la moitié de son budget. Or, Thierry Philipponnat reconnaît que « les autres 50% ne sont pas encore totalement levés ». Jusqu'à présent, ses principaux soutiens sont deux fondations, allemande (Maecenata) et néerlandaise (Adessium) pour respectivement 250000 et 560000 euros.

En France, la plus grande contribution vient de Novethic pour 50000 euros, obtenus grâce au soutien du président de la CDC de l'époque, Augustin de Romanet en personne ! « Nous n'avons aucune certitude d'être financés dans deux ans et même dans un an », explique Thierry Philipponnat. « Mais ceux qui nous rejoignent connaissent ce risque. »

Commentaires 11
à écrit le 03/06/2013 à 10:03
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Les ONG ainsi que les organisations gouvernementales type gafi ecofin n'ont aucune légitimité démocratique ce sont des monstres des pustules des fistules, des dégénerescences du système, elles devraient être purement écartées du jeu polique, la natio...

le 03/06/2013 à 11:32
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Comptabilisez tous les "élus" qui ne l'auraient pas été si la démocratie s'exprimait vraiment en France. De plus, je ne vois pas en quoi l fait d'être "élu" donne d'avantage le droit de crier et vociférer (cf les débats aux assemblées). Pensez un peu...

le 03/06/2013 à 12:23
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Voila bien le commentaire vindicatif du loup pris en plein sac de poulailler ! Les organisations civiles sont avec l'Internet les derniers orums ou une opinion autre que celle de la finance peut s'exprimer. Lorsque la part de la finance passe de 5%du...

à écrit le 03/06/2013 à 9:16
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On parle beaucoup trop de ces ONG sans le sou, sans adhérents, à la limite de la légalité, et qui ne représentent Rien..Elles coutent à la Nation, en énergie négative, en subventions (parfois), en casse diverses dans les entreprises..la situation est...

le 03/06/2013 à 10:33
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C'est votre commentaire qui est à la limite de la diffamation, donc de la légalité.. En tous cas il pulvérise la limite du ridicule. L'expertise de Philiponnat et de Finance Watch est d'ailleurs excellente, sinon ils ne se seraient pas imposés si vit...

le 03/06/2013 à 11:35
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@bili hari, Troll des lobbys financiers, à part représenter un client qui paie pour vos commentaires, qu'êtes vous? Rien, juste un gugusse sans expertise vérifiable (comme moi aussi d'ailleurs). Surtout via des commentaires anonymes.

le 03/06/2013 à 12:48
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Bah, chers amis, à vouloir remplacer les professionnels de tous les secteurs (agriculture, pharmacie, finance..) par des gugusses contestataires, voire pire, mélanchonistes, ou même écolos bobos qui ne distinguent pas la marguerite du bleuet, le maïs...

le 03/06/2013 à 16:09
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Thierry Philipponat est un vrai expert en finance et a travaille à la direction financiere d'une banque de ce pays avant de créer Finance watch. Le sujet sur le trading de CDS sur les emprunts d'etat est un vrai sujet et une anomalie de marché qu'il...

à écrit le 03/06/2013 à 8:49
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prêter à l'économie réelle est une spéculation : on spécule sur la réussite ce telle ou telle entreprise. tout prêt est une spéculation

le 03/06/2013 à 10:15
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@bertrand C'est tout à fait exact. La différence, c'est que certains prêts ont pour effet de créer des emplois quand d'autres ont pour seul objectif de générer des profits.

le 03/06/2013 à 11:09
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Ben avec ce type de "statement", pas sur qu'on ai de nouveaux entrepreneurs en germe..

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