À New York, la "gentrification" gagne les quartiers hispaniques

De nouvelles boutiques tendance s’installent, de luxueux condominiums sont construits, des immeubles rénovés embauchent des concierges en uniforme : la bourgeoisie new-yorkaise est en passe de coloniser Spanish et East Harlem, une partie de Lexington, etc. El Barrio a du plomb dans l’aile.
Spanish et East Harlem.

D'abord, il y a ces barbers shops, où l'on vient autant pour se faire raser que pour siroter un café, ces botanicas qui vendent des statues de la vierge et des gris-gris contre le mauvais œil, ou ces pasterrias, à la fois boulangeries et lieux de rendez-vous. Dans la 110e rue, entre Lexington et la 3e Avenue, comme ailleurs à East Harlem, on parle fort et on s'interpelle encore d'un trottoir à l'autre.

En espagnol bien sûr, car l'anglais y demeure une langue étrangère. À quelques blocs de là, pourtant, les signes ne trompent plus. Ici ouvrent un supermarché de fruits et légumes issus de la ferme ou une épicerie spécialisée en huiles d'olive, là des bars à vins et restaurants pour bruncher font le plein. L'école, PS 109, classée monument historique, devient un centre pour artistes, de luxueux condominiums sortent de terre, des immeubles rénovés embauchent des concierges en uniforme... Mais le bouleversement le plus visible porte un nom: East River Plaza, gigantesque centre commercial qui a entraîné dans son sillage l'implantation d'enseignes nationales. El Barrio (le quartier, en espagnol), fief des Portoricains et autres Latinos, a du plomb dans l'aile. Spanish Harlem disparaît lentement, sous les coups de boutoirs répétés d'une gentrification que rien ne peut plus stopper.

Car elle correspond à la volonté, maintes fois armée, de Michael Bloomberg de faire de sa municipalité une cité prospère et une grande destination touristique. Vaste projet dans lequel la rénovation du hood, qui compte parmi les quartiers les plus pauvres de la ville, devient un des chantiers majeurs.

Pour cela, NYC dispose d'armes imparables: le rezoning, qui permet de construire dans des espaces jusqu'ici protégés dont beaucoup de terrains vides ou appartenant à la municipalité; et les incitations fiscales, sous condition, à destination des promoteurs ravis. Très vite, des coops essentiellement destinées à la location, et des condominiums plus haut de gamme voient le jour entre la 96e et la 125e rue. Ces nouveaux ensembles offrent des logements destinés à une classe moyenne, blanche et plutôt jeune qui peine à se loger, en dessous de la 96e. Or, entre les loyers, parmi les plus bas de l'île, même si la tendance est à la hausse, et les prix des biens à vendre, on frise la bonne aaire.

La lente mais inexorable disparition du « Barrio »

«East Harlem oscille entre 550 et 800 dollars le square foot [pied carré, soit 0,30 m2] à l'achat, soit encore 10 à 15% moins cher que West Harlem, lui-même relativement abordable», explique René Fauchet, conseiller en investissements immobiliers chez  Douglas & Ellimann.

Et même si des appartements ou plus rarement des maisons de ville commencent à atteindre des sommes jusqu'alors inimaginables - 2 millions pour une maison - le quartier reste accessible. Il apporte également un élément de réponse à la crise du logement qui s'accentue.

« La demande en hébergements croît, observe René Fauchet. New York ore actuellement beaucoup d'emplois dans la high-tech, des milliers de jeunes arrivent, il leur faut une habitation. »

Alors East Harlem, pourquoi pas. D'autant qu'avec la ligne de métro, Second Avenue Subway, encore en construction, et les magasins qui s'installent, le quartier monte lentement en gamme. Au grand dam des résidents de longue date qui se voient peu à peu contraints à l'exil.

En effet, de nombreux propriétaires de boutiques profitent de cette gentrification pour augmenter considérablement les loyers ou choisissent de se faire racheter par d'autres encore plus gourmands, ce qui provoque très souvent le départ des exploitants de ces petites échoppes, incapables de s'acquitter des nouvelles mensualités. Mais il arrive aussi que ce soit le City Hall lui-même, autrement dit la mairie, qui exproprie. C'est par exemple le cas, en ce moment, entre les seconde et troisième avenues et les 125e-126e rues, lieu où l'administration Bloomberg a décidé, en 2008, de bâtir un centre pour les médias, les industries du divertissement et la culture. Projet poursuivi par Bill De Blasio, nouvel édile qui se revendique pourtant à la gauche de la gauche... new-yorkaise.

Quant aux logements, même si plus des trois-quarts jouissent encore d'un loyer régulé, là aussi les avantages ne sont que provisoires. Les immeubles changent de mains, les prix s'alignent sur ceux du marché et les récalcitrants sont poussés dehors. Cette lente mais inexorable mutation modifie la composition de la population. Les Hispaniques et Latinos représentaient 52% des habitants en 2000, dix ans plus tard, ils ne sont plus que 47%. Dans le même temps, les Caucasiens passent eux de 7 à 13%.

Force est cependant de reconnaître que cette transformation se produit moins rapidement qu'ailleurs, du fait de la particularité de Spanish Harlem qui possède le plus grand parc de HLM de toute la ville. Que faire en effet de ces blocs de briques rouges très mal entretenus, voire abandonnés par NYCHA (l'office HLM local), et de leurs milliers d'habitants?

S'il s'avère impossible d'expulser les résidents, il semble tout aussi illusoire d'envisager une rénovation que personne ne pourra financer. Alors, faute de solutions évidentes, Spanish Harlem tarde un peu à se « boboïser », et certains en profitent pour organiser une -frêle - résistance. À défaut de pouvoir empêcher les promoteurs de tout détruire, ces East Harlémites médiatisent la disparition programmée de leur Barrio.

La croissance relance la demande de logements

Dans le South Bronx en revanche, désormais aussi surnommé SoBro, la gentrification n'en est qu'à ses balbutiements. Ce qui inquiète les plus impliqués dans la vie locale de cet arrondissement situé au nord de Manhattan, où l'on craint de devenir le prochain East Harlem. À raison.

« SoBro, c'est SoHo il y a quinze ans, confirme René Fauchet. Personne n'osait y habiter. Aujourd'hui, c'est inabordable. Le phénomène a démarré il y a sept ans, il s'accélère depuis deux ans. L'économie repart, NYC connaît une croissance annuelle de 3% : la demande de logements redémarre. »

Or, dans cette partie de la ville où les prix de location et de vente demeurent encore très bas, la tentation existe de traverser la Harlem River pour y poser ses valises.

À Mott Haven, par exemple. Ce quartier extrêmement dangereux dans les années 1970 et 1980 gagne peu à peu en sécurité et connaît un début d'engouement auprès des familles, charmées par les maisons de ville d'un rouge pimpant. Et, surtout, leur prix: en dessous de 500.000 dollars actuellement. Mais dans ce lieu encore défavorisé et habité pour l'essentiel par des Afro-Américains et des Latinos, le gros des nouveaux arrivants est pour l'instant formé par les artistes.

« Ce sont des précurseurs, assure René Fauchet. Ils cherchent de très grandes surfaces pour leurs œuvres. Or, le South Bronx se compose de beaucoup d'usines et d'entrepôts. »

De vastes espaces sont donc transformés en ateliers ou en lofts par des privés, mais aussi par de plus en plus de promoteurs. La rénovation s'opère avec l'aide de la municipalité -elle «dézone» depuis plusieurs années - et des autorités locales qui, conscientes du potentiel de cette bande de terre, lancent des projets d'aménagement.

En février dernier, par exemple, le président du Bronx a annoncé débloquer 500millions de dollars pour convertir une friche industrielle le long de la Harlem River, sur Exterior Street entre la 138e et la 149e rue, en une zone commerciale et résidentielle, avec des parcs et une promenade le long du fleuve.

Autre projet: la construction d'un pont réservé aux piétons et aux vélos et qui devrait relier South Bronx et Randall's Island, une petite île sur l'East River possédant un stade. Autant d'innovations qui, à terme, vont améliorer la qualité de la vie à SoBro. Reste à savoir à qui cela profitera.

Commentaires 2
à écrit le 03/09/2014 à 16:14
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2500 usd le metre carre nexiste pas a NY period !!! je travaille chez Corcoran depuis 15 ans ..on n'est pas trop sur spanish harlem ..quelques beaux immeubles dans des rues adjacentes a harlem pour clientèle 'ethnique bourgeoise " comme le polit...

à écrit le 27/08/2014 à 17:38
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1 pied carré = 0.09m2 pas 0.30... 0.3x0.3=0.09. Ca ne choque personne des prix de 2500$ le m2 à Manhattan ?

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