"Euribor + 4%"... C'est beaucoup, non ?

Il ne faut jamais rater une occasion de prendre du recul. J'étais la semaine dernière près de Paris au mariage d'une amie qui avait décidé de convoler sur le tard. Parmi les invités, énarques et poly-techniciens se ramassaient à la pelle, jusque dans les rangs de l'orchestre de jazz.
Florence Autret, correspondante de La Tribune à Bruxelles

Une France intellectuelle, de gauche, bourgeoise et surtout pas clinquante, au service de l'État, ouverte au monde et terriblement parisienne. Là, quelle n'est pas ma surprise de tomber sur un... chef d'entreprise. Issu d'une lignée d'ingénieurs, le fils de la mariée avait mal tourné : fraîchement diplômé d'HEC, il avait investi dans une boîte de création graphique faisant des emballages pour des produits aussi triviaux que des boîtes de fromage ou des packs de téléphone mobile. Avec 300°salariés au compteur, l'entreprise qu'il codirigeait l'avait déjà fait millionnaire. D'emblée, nous causons taxes, rendement, financement, taux d'intérêt. La conversation roule inévitablement sur les Pigeons qu'il critique gentiment pour ensuite tomber sur la mère de tous ses soucis : les banques. Facile et de bon ton dans une soirée, direz-vous. Certes, mais pas dénué de sens.
Car l'intéressé était allé voir son banquier pour lui emprunter 2 millions d'euros, soit à peu près une année de bénéfices pour son entreprise en pleine croissance. Il pense s'en tirer à bon prix, mais son conseiller lui propose « Euribor + 4?% ». L'Euribor représentant le taux de financement interbancaire, la banque estimait son risque, augmenté de sa marge, à 4%. « Je n'en revenais pas?! », dit-il. « Et la concurrence?? », lui demandais-je. « Quelle concurrence?? Ils ont fait une offre commune à quatre banques?! », me répondit-il indigné. Et d'ajouter sur le ton de celui dont beaucoup de camarades sont partis travailler dans les salles de marché : « Évidemment, ils préfèrent garder leur argent pour aller sur les marchés. »
Quel rapport avec Bruxelles ? Demandez-vous. Celui-ci : le 2°octobre, le gouverneur de la banque centrale finlandaise, Erkki Liikanen, proposait de trancher dans le vif des bilans bancaires pour, précisément, tenter de faire redescendre ce « spread » jugé excessif par notre jeune entrepreneur en présence. Dans un rapport coup-de-poing de 140°pages qui n'a pas fini d'être débattu, il recommande de séparer les activités bancaires classiques, comme la gestion des dépôts et les prêts immobiliers ou aux PME, d'un côté, et les activités de marché, de l'autre. Les 11°« sages » du groupe Liikanen considèrent en effet que les liquidités présentes dans l'économie sont trop largement drainées vers les activités de marché, notamment pour les transactions réalisées pour les banques en « compte propre », au lieu d'être dirigées vers les acteurs non financiers. En exigeant cette séparation, le groupe Liikanen espère augmenter l'offre de financement pour ces derniers et, par voie de conséquence, en faire baisser le prix, autrement dit le taux.
La messe n'est pas dite. À Bruxelles, le commissaire en charge des services financiers, Michel Barnier, qui a demandé ce rapport à Liikanen, s'est donné quelques semaines pour se faire son idée. À Paris, une autre musique se fait entendre. Le ministre de l'Économie, Pierre Moscovici, se prépare pour la fin de l'année à donner une bénédiction à sa façon aux banques universelles françaises. La loi bancaire annoncée par François Hollande devrait permettre au gouvernement de sauver la face sans changer grand-chose. En d'autres termes, la séparation à la Liikanen n'est clairement pas une option à Bercy. Mon jeune entrepreneur, lui, a déjà trouvé la parade : il est allé taper un des associés et lui reverse « Euribor + 2%, et même un peu moins ».

Commentaires 2
à écrit le 24/10/2012 à 14:45
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Comme quoi, même dans une fête de la "Haute", ils y a des discussions de comptoir et des amalgames incroyables. ça fait peur !

à écrit le 24/10/2012 à 9:07
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Bonjour, Vous éluder la question du coût en capital pour les banques prêteuses. La mise en ?uvre de Bâle 3 contraint les banques à mettre plus de fonds propres en face de leurs engagements. Or les niveaux de fonds propres durs des banques couvrent à...

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