La BCE prise au piège de la déflation... et de ses propres contradictions

Par Romaric Godin  |   |  1084  mots
La BCE ne parvient pas à transmettre son "message" de sa politique monétaire aux économies de la zone euro. En photo, son siège à Francfort
La processus de désinflation s'accélère en Europe. Elle s'est d'ailleurs déjà installée en Grèce. La stratégie de la BCE pour éviter cette spirale a échoué. Sa marge de manœuvre, empêtrée dans ses contradictions, est désormais très réduite.

Alors que les politiques ne parlent que de reprise, certains chiffres ne cessent d'inquiéter. C'est particulièrement le cas du taux d'inflation de la zone euro publié vendredi et qui a atteint le chiffre très faible de 0,7 % sur un an en novembre contre une progression de 1,1 % en octobre. Voici de quoi préoccuper Mario Draghi, le président de la BCE.

De la désinflation à la déflation ?

Jusqu'ici, l'ancien gouverneur de la Banque d'Italie, il en fut ainsi lors de sa conférence de presse d'août, affirmait à qui voulait l'entendre qu'il ne « voyait, dans aucun pays un processus de déflation. » Si l'on excepte la Grèce, où les prix reculent depuis le mois de mars, Mario Draghi avait raison et a sans doute encore raison. Mais le mouvement de désinflation, autrement dit d'apaisement de la baisse des prix, semble néanmoins violent et l'inflation européenne s'éloigne de plus en plus de l'objectif de la BCE d'une hausse des prix « proche, mais inférieure à 2 %. »

La stratégie manquée de la BCE

En réalité, la BCE joue très gros sur cette question. Le sens de sa politique accommodante était en effet de contrecarrer les tendances déflationnistes des politiques d'ajustement menées dans le sud de l'Europe. Ces politiques visaient à rétablir la compétitivité/coût des pays, ce qui induisait mécaniquement un recul du taux d'inflation.

Pour empêcher la spirale déflationniste de s'enclencher, par laquelle cette désinflation entraîne un ralentissement général de l'activité qui conduit les entreprises à baisser les prix et donc à réduire encore l'activité, la BCE a engagé une politique de taux bas durable ( c'est le fameux "forward guidance", cette promesse illimitée de taux bas) afin de soutenir le dynamisme économique.

La difficulté de l'exercice résidait en ce que cette politique de taux bas était assez dangereuse pour les pays où l'activité restait soutenue comme l'Allemagne. D'où le refus d'une baisse plus rapide comme au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.

Le tuyau monétaire est bouché

Mais la BCE ne parvient pas à transmettre le "message" de sa politique monétaire aux économies de la zone euro . Les banques restent très prudentes dans la distribution de leurs crédits et dans de nombreux crédits, la restreignent. Du coup, les taux bas, même avec la perspective de rester longtemps bas, ne profitent guère aux entreprises qui n'investissent pas. La tendance baissière des prix a donc de moins en moins de compensation. Et c'est elle qui tend à s'imposer.

Et comme les politiques de rigueur ont créé presque partout en Europe de la récession, cette tendance devient générale, car même en Allemagne les consommateurs et les entreprises préfèrent attendre avant de dépenser.

La Grèce déjà en déflation

Du coup, cette statistique de novembre scelle l'échec de la politique de la BCE menée depuis mai dernier. Certes, la zone euro a connu des taux d'inflation plus bas. En 2009, il a même été négatif. Mais cette fois, ce qui inquiète, c'est l'incapacité de la BCE à contrer le mouvement.

Le cas de la Grèce est significatif. Ce pays est désormais en déflation, n'en déplaise à Mario Draghi, et rien ne semble devoir lui permettre d'en sortir. Avec des taux inférieurs à 0,5 %, l'Espagne, Chypre ou le Portugal ont de quoi s'inquiéter. Et si la déflation venait à se confirmer, la faible reprise espagnole et le rebond portugais pourraient n'y pas survivre.

Perte de contrôle

Le danger pour la BCE est donc sérieux. C'est celui d'une perte complète de contrôle de la situation. Comment reprendre le terrain perdu ? La tâche semble délicate. Mario Draghi avait espéré que la reprise viendrait régler le problème en exerçant une pression de la demande sur l'offre. C'est raté puisque la stabilisation de l'activité au deuxième trimestre et sa poursuite au troisième n'a pas conduit à freiner la désinflation.

Une baisse des taux dès jeudi ?

De nombreux observateurs de la BCE estiment donc que l'institution de Francfort pourrait bien doubler la mise en baissant à nouveau son taux directeur de 0,5 % à 0,25 %, et ce, dès sa réunion de jeudi. Mais le seul impact réel d'une telle mesure ne saurait dépasser l'effet psychologique. Sinon, le "forward guidance" suffirait. Car les banques n'ont aucune raison de se trouver d'humeur prêteuse.

Ce qui freine les banques

D'abord, elles doivent former des réserves en vue de l'application complète des règles prudentielles de Bâle III en 2019. Ensuite, la BCE elle-même joue un rôle négatif dans la transmission de sa politique monétaire. Les banques doivent ainsi rembourser avant 2015 les fonds empruntés dans le cadre du premier LTRO (Long Term Refinancing Operation), cette opération de prêt de 1.100 milliards d'euros sur trois ans. Les établissements européens doivent encore rendre 670 milliards d'euros. Il leur faut donc thésauriser plutôt que prêter.

Vient enfin l'union bancaire où, là aussi, la BCE jette de l'huile sur le feu. Les responsables de l'institution de Francfort ont prévenu que le stress test qu'elle organisera ce printemps avant de prendre la supervision du secteur européen sera sévère. Or, il n'existe toujours aucun mécanisme de résolution. Autrement dit, en cas de problème, les banques risquent de se retrouver seules face à la défiance du marché. D'où leur volonté de réduire les risques présents au bilan et, donc, de ne pas prêter.

Vers des méthodes non conventionnelles ?

Inévitablement, la BCE va donc devoir recourir à des méthodes « non conventionnelles », comme un nouveau LTRO ou des rachats directs de créances de PME ou encore un taux de dépôt négatif. Mais les Allemands de la Bundesbank continuent à freiner des quatre fers pour éviter ce pas vers une ouverture des vannes monétaires. Par crainte de l'inflation, la digue contre la déflation risque de céder.

Mais ce n'est qu'une des contradictions internes d'une BCE qui veut à la foi durcir les contrôles sur les banques et les inciter à prêter et qui a défendu les politiques déflationnistes tout en tentant de maintenir un taux d'inflation de 2 %.  C'est aujourd'hui ce faisceau de contradictions qui se concentre sur la BCE et éclaire sa propre impuissance.