Bonne nouvelle, Mario Draghi découvre que l'euro est trop fort. Mais il ne veut pas y remédier.

Par Romaric Godin  |   |  1421  mots
L'euro ne cesse de s'apprécier face au dollar. Comment le faire rechuter ?
Mario Draghi a indiqué que le taux de change devenait un élément déterminant de l'appréciation de la stabilité des prix. Mais il ne semble guère décidé à se donner les moyens de baisser la monnaie unique.

C'est une découverte proprement révolutionnaire que vient de réaliser Mario Draghi ce jeudi 13 mars à Vienne. Dans une intervention dans la capitale des Habsbourg, le président de la BCE a reconnu que « le taux de change de l'euro devient de plus en plus important pour l'appréciation de la stabilité des prix. » Grande découverte en vérité, car jusqu'ici, à Francfort, tout en reconnaissant que le taux de change était un « facteur », on niait qu'il fût si important qu'on dût s'en préoccuper directement.

Échec de l'attentisme

Seulement, Mario Draghi est bien contraint de reconnaître que sa stratégie d'attentisme qu'il mène depuis le mois de novembre dernier n'a pas fonctionné. Malgré l'assurance que la BCE « surveille la situation de près et est prête à agir », répétée à l'envi à chaque intervention d'un membre du directoire de la BCE, l'euro n'a cessé de se renforcer face au dollar. Au moment de la conférence inaugurale de cette nouvelle stratégie, le 7 novembre, l'euro valait 1,3516 dollar. Il vaut aujourd'hui 1,3888 dollar. Soit 2,7 % de plus.

L'effet négatif sur les prix

Ce renchérissement de l'euro a évidemment contribué à maintenir l'inflation a un niveau faible, notamment en affaiblissant le prix des importations. Depuis octobre, l'inflation en zone euro évolue entre 0,7 % et 0,9 %. Jusqu'ici, la BCE voyait plutôt avec bienveillance ce renchérissement de l'euro, car en faisant baisser les prix des importations énergétiques, elle soutenait la compétitivité des entreprises européennes. Mario Draghi n'a jamais manqué une occasion de rappeler que la faible inflation s'expliquait d'abord par l'effet énergétique.

L'effet d'entraînement des prix vers le bas

Seulement, cette fermeté de l'euro a deux effets peu souhaitables actuellement. D'abord, la chute du prix des importations a évidemment un effet sur le reste des prix. Un effet d'autant plus marqué que la récession de l'économie a été forte. Lorsque le chômage est élevé et les coûts salariaux ont été abaissés, les entreprises doivent répercuter sur les prix finaux les gains réalisés grâce à la baisse des prix énergétiques. On a vu ainsi les prix à Chypre et en Grèce décroître, ceux du Portugal, de l'Irlande et de l'Espagne stagner. Cette situation, devenant durable, pèse au final sur les marges des entreprises et favorise le risque de vrai cercle déflationniste où, pour compenser la baisse des prix, les entreprises devront réduire encore leurs coûts.

L'impact sur la compétitivité

Or - et c'est le deuxième effet négatif, le plus connu, de la hausse de l'euro - l'appréciation de la monnaie réduit également la compétitivité sur les marchés extérieurs. Là aussi, les pays périphériques sont les plus exposés puisque leurs produits bénéficient surtout d'un effet « coût » acquis grâce aux dévaluations internes qui est en partie détruit par le taux de change. Une telle pression incite les entreprises à encore réduire leurs coûts, à peser ainsi sur la demande intérieure et à affaiblir encore l'inflation.

Si l'Europe n'est pas réellement tombée à ce jour dans un cercle déflationniste, c'est parce que la hausse de l'euro n'a pas encore entièrement grignoté les marges. Mais plus la monnaie unique monte, plus elle menace de le faire et de plonger la zone euro dans la véritable déflation. Et c'est pourquoi Mario Draghi veut aujourd'hui siffler la fin de la partie.

Niveau inacceptable

L'euro semble donc atteint un niveau proche de l'inacceptable. Les experts de HSBC voient dans la sortie de Mario Draghi l'inauguration d'une vraie politique de change de la BCE qui fixerait implicitement une limite à 1,40 dollar par euro. Soit. Mais comment rendre cette limite crédible ?

L'arme de la menace

Par la menace ? Le président de la BCE s'y est essayé à Vienne hier soir. Ses propos ont certes fait reculer un peu l'euro, mais ce vendredi, il s'est stabilisé à un niveau encore élevé. Et il y a fort à parier que le marché ne se contentera pas de vaines menaces. Pour agir sur un marché aussi considérable que celui de l'euro, il faut plus que des mots. La Banque Nationale Suisse a dû mettre en 2011 des moyens substantiels en face de son seuil de 1,20 franc pour un euro. En un an, son bilan est passé de 257 à 432 milliards de francs.

L'intervention sur les marchés

Il faudra donc intervenir. Légalement, la BCE peut intervenir sur le marché en vendant des euros pour faire baisser le cours. Mais une intervention au fil de l'eau est peu crédible et les barrages provisoires finissent toujours par céder. Pour être efficace, il faut soit une action massive et claire. La BNS a ainsi en 2011 fixé un taux plancher et répondu par des interventions aux tests du marché. Alors, les investisseurs ont su que le seuil fixé était infranchissable. La BCE est-elle prête à imiter la banque bernoise ? Rien n'est moins sûr.

L'obstacle de la Bundesbank

Dès jeudi soir, le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a prévenu que la BCE ne devait pas s'engager dans une politique de gestion du taux de change. Pour l'Allemagne, le cours de 1,40 dollar par euro est encore tout à fait supportable. Une étude de 2012 de la Deutsche Bank estimait le seuil « de douleur » pour l'économie allemande à 1,79 dollar par euro. Pour le moment, la situation est même plutôt favorable aux entreprises allemandes qui exportent au prix fort tout en faisant des économies sur l'énergie et en faisant pression sur les salaires. Les marchés le savent et l'attentisme de la BCE depuis novembre a montré que l'influence allemande était notable sur sa politique monétaire. Une politique explicite de change semble donc exclue.

Agir sur les causes réelles de la force de l'euro

Reste un autre moyen : agir sur les causes de la force de l'euro. On peut en citer deux qui relèvent de la politique de la BCE. La première, ce sont les taux réels. Avec une inflation à 0,8 %, le taux réel de la BCE est de -0,55 %. Outre-Atlantique, la Fed a des taux officiels compris entre 0 à 0,25 % avec une inflation à 1,6 %. Les taux réels américains sont donc de -1,6 % à -1,35 %. L'écart de taux réels en faveur de la zone euro est donc encore plus que notable et ceci influe donc naturellement en faveur de la monnaie unique. D'autant que la tendance est à la désinflation en zone euro.

L'autre élément, c'est la création monétaire, autrement dit l'offre de monnaie. La BCE a entamé une phase de réduction de son bilan. En un an, il a été réduit de 500 milliards d'euros, soit de 23 %. Parallèlement, la Fed a poursuivi la croissance de son bilan en poursuivant son Quantitative Easing. Depuis la fin de l'année dernière, elle a simplement décidé de réduire la croissance de ce bilan. On voit le déséquilibre : d'un côté, une BCE qui restreindre d'un quart l'offre d'euros, de l'autre une Fed qui continue à imprimer toujours plus de dollars.

Pour faire baisser l'euro plus efficacement qu'en allant jouer les opérateurs de marché, la BCE doit donc mettre fin à ce déséquilibre et lancer également une politique de Quantitative Easing, autrement dit d'injection de liquidités dans l'économie. Une telle politique aura deux effets mécaniques : favoriser une reprise de l'inflation qui réduira l'écart de taux réels et multiplier l'offre d'euros sur le marché. Les deux iront dans le sens d'une baisse de l'euro.

Une BCE déterminée

Toute la question est donc désormais de savoir si la BCE est réellement ou non déterminée à agir sur le taux de change, malgré l'opposition allemande. Pour réussir, une action sur le taux de change doit être déterminée. La position de Mario Draghi, son attentisme depuis novembre, le poids croissant des « faucons » au sein de la BCE sont autant de signes qui laissent penser que cette détermination n'existe pas. Du reste, dans son intervention de jeudi, il a estimé que le seul « guidance forward », la promesse de taux bas durable qu'il a faite en juillet, devrait suffire à rapprocher les taux réels des deux côtés de l'Atlantique. Espoir honnêtement dérisoire au vu des derniers mois. L'euro fort a encore de beaux jours devant lui.