Austérité : pourquoi Berlin durcit le ton

Par Romaric Godin  |   |  1400  mots
Angela Merkel durcit le ton sur l'austérité
Depuis fin juin, le gouvernement allemand a adopté une position très ferme sur la défense des politiques d'austérité. Un mouvement stratégique qui trouve sa source tant au niveau européen qu'en politique intérieure.

Pour bien saisir les événements de cette rentrée, il faut s'attacher à son arrière-plan : le durcissement de la position allemande sur l'austérité. Depuis le sommet européen de fin juin, Berlin a en effet fait preuve d'une nouvelle fermeté sur les questions budgétaires. Tout a commencé avec la longue série d'interviews accordées par Wolfgang Schäuble à la presse - notamment française - en juillet. Le ministre allemand des Finances y martelait la nécessité pour la France et l'Italie de respecter les traités et rappelait que la « flexibilité » prévue par ces traités n'était pas un blanc-seing permettant d'abandonner le mouvement de consolidation budgétaire. Enfin, Wolfgang Schäuble y répétait le credo allemand : pas de croissance « saine » sans réduction préalable de la dette et des déficits.

Renforcer les sanctions

Le 20 août, à Lindau, Angela Merkel a prononcé pour sa rentrée un discours extrêmement ferme. Elle y mettait à son tour en garde - implicitement cette fois, car, au sein du gouvernement fédéral allemand, les rôles sont bien répartis - la France et l'Italie en prônant un système plus fort de sanctions pour ceux qui ne respectent pas les règles budgétaires. « Nous ne disposons actuellement d'aucune possibilité de sanction et de contrainte pour ceux qui ne tiendraient pas leurs promesses. Ma profonde conviction est qu'il faut améliorer cela dans le cadre d'une union monétaire - et cela vaut autant du point de vue budgétaire que du point de vue de la compétitivité », a affirmé Angela Merkel. Autrement dit, à l'heure où certains parlent de flexibilité, la chancelière se prononçait en faveur d'un durcissement de l'actuel système formé par le semestre européen, le Two Pack et le Six Pack...

Alliance renforcée avec l'Espagne

Lundi 25 août, à Saint-Jacques de Compostelle, la même chancelière est venue renforcée son alliance avec le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy autour d'un thème principal : celui de l'austérité. La rencontre ne fut qu'éloges de cette politique, accompagnés d'un couronnement : celui de Luis de Guindos - un fidèle de Mariano Rajoy et l'artisan de la politique austéritaire espagnole - à la tête de l'Eurogroupe. Berlin confirmait ainsi sa ligne et renforçait son emprise sur cette instance clé de la zone euro. Parallèlement, le gouvernement français était « clarifié » dans un sens favorable à la ligne de Berlin par l'apport d'Emmanuel Macron, « l'homme qui parle à l'oreille d'Angela Merkel » au portefeuille de l'économie. Certes, il est impossible de tisser un lien direct entre ce dernier événement et le « durcissement allemand », mais il n'est pas davantage possible de nier qu'il s'agit d'une acceptation implicite par Paris de la logique décrite par Wolfgang Schäuble en juillet.

Pourquoi un tel durcissement allemand ? Les raisons ne manquent pas.

Isoler Matteo Renzi

La première est une réaction à la campagne menée par Matteo Renzi durant le mois de juin pour une vraie flexibilité des règles budgétaires européennes. Le jeune président du conseil italien a été près de réussir son pari. Berlin a réussi à conserver le contrôle de la situation en jouant sur les mots. Les conclusions du conseil se sont contentées de rappeler qu'il existait une flexibilité prévue par les traités. Mais, après des élections européennes qui ont sonné très clairement la défaite des politiques d'austérité, Angela Merkel a sans doute jugé bon de resserrer les boulons. Il fallait à tout prix éviter une surinterprétation de la conclusion du conseil dans le cadre de la présidence italienne. Et, pour cela, il fallait isoler Matteo Renzi. C'est aujourd'hui chose faite tant par le renforcement de l'alliance avec Madrid que par la révolution de palais parisienne.

Une situation économique difficile

La seconde, ce sont les difficultés économiques. La France et l'Italie ne parviennent pas à sortir du marasme. La croissance grecque reste problématique en dehors des saisons touristiques, la Finlande est « entrée dans une décennie perdue », a prévenu le pourtant très merkélien premier ministre Alexander Stubb... Même l'Allemagne a connu au deuxième trimestre une contraction de son économie. Ces mauvaises nouvelles alimentent naturellement la volonté de « changer de politique. » Et donc d'abandonner la logique unilatérale de réduction des déficits et d'amélioration de l'offre prônée par l'Allemagne. Le discours de Mario Draghi vendredi à Jackson Hole est la preuve la plus spectaculaire de cette contestation. Là encore, il fallait pour Berlin durcir le ton pour éviter de laisser prise à cette contestation.

Le facteur AfD

La dernière raison est la situation intérieure de l'Allemagne. Après ses 7 % aux Européennes, le parti eurosceptique Alternative für Deutschland (AfD) est désormais une épée de Damoclès pour la CDU d'Angela Merkel. La chancelière - très critiquée sur sa droite pour ses concessions accordées aux Sociaux-démocrates dans le cadre de la grande coalition - doit tout faire pour empêcher une partie de son électorat de se laisser tenter par les sirènes d'AfD. Et la situation est plus urgente qu'on ne le pense. Dimanche, les électeurs du Land de Saxe seront convoqués pour renouveler leur parlement régional (Landtag). Les sondages prédisent une entrée en force aux alentours de 7 % d'AfD au Landtag qui empêcherait toute majorité absolue pour la CDU et contraindrait encore les conservateurs à s'allier avec la SPD. En septembre, des élections régionales ont lieu dans le Brandebourg, Land très à gauche où la CDU ne peut espérer l'emporter mais où, là encore, AfD pourrait entrer au Landtag. Face à des Eurosceptiques qui seront de plus en plus présents et qui semblent s'ancrer dans le paysage politique, Angela Merkel doit sans cesse faire preuve de fermeté dans sa politique européenne pour laisser le moins de prise aux critiques.

Cette montée d'AfD est moins anecdotique qu'on peut le penser et plus importante que les scores réalisés par ce parti. La CDU d'Angela Merkel est désormais politiquement isolée à droite avec la disparition des Libéraux de la FDP. Ceci la contraint soit à disposer d'une majorité seule, soit à s'allier avec la SPD. Avec la montée d'AfD, la perspective d'une majorité absolue semble inatteignable. La CDU est donc condamnée à trouver des alliés à gauche, ce qui n'est pas sans déplaire à son aile droite qui réclame que l'on réfléchisse à une alliance avec AfD. Angela Merkel s'y oppose, mais elle doit absolument maintenir cette aile droite. Or, chaque succès d'AfD renforce la contestation au sein de la CDU. Il faut donc contenir à tout prix les Eurosceptiques en montrant à son électorat potentiel la fermeté du gouvernement fédéral en matière européenne.

La SPD réduite au silence

A cela s'ajoute le fait que la SPD a renoncé à peser réellement dans le débat européen. La proposition du vice-chancelier Sigmar Gabriel en juin d'exclure les « coûts des réformes » du calcul des déficits a reçu une fin de non-recevoir cinglante. Récompensés par la présidence du parlement européen accordé à Martin Schulz, la SPD fait d'autant plus profil bas que « sa » séquence arrive à son terme dans la coalition. Le salaire minimum a été voté, tout comme la réforme des retraites. On arrive donc au bout des concessions accordées par la chancelière qui, désormais, peut exiger le silence de ses partenaires sur sa politique européenne comme prix de ces dernières.

Pas de bon augure

A la veille de décisions importantes au niveau européen, notamment concernant la répartition des portefeuilles au sein de la nouvelle commission et le lancement par la BCE d'un assouplissement quantitatif d'envergure, ce durcissement des positions allemandes n'est guère de bon augure. Mais il a le mérite de prouver aux rêveurs qu'il ne peut être aujourd'hui question de compter sur une inflexion du gouvernement de Berlin et sur une « relance européenne » par l'Allemagne. Mario Draghi, qui s'était rallié à cette idée, devra continuer de lutter contre les moulins à vent de la politique austéritaire.