Sur le chemin de la stabilisation économique, l'Europe sacrifie sa justice sociale

Par Giulietta Gamberini  |   |  808  mots
La pauvreté ou l'exclusion sociale menacent 28% des jeunes et des enfants européens, estime la fondation Bertelsmann, qui observe une augmentation significative par rapport à 2009, alors que la pauvreté parmi les plus vieux semble plutôt être en déclin dans l'UE.
Les pays du Sud et les jeunes générations sont les plus pénalisés par des politiques nationales et européennes uniquement axées sur les efforts de consolidation budgétaire, met en avant le premier Index de la justice sociale publié lundi par la fondation allemande Bertelsmann.

L'Europe progresse sur la voie de sa stabilisation économique, mais elle le fait au prix de sa justice sociale. Ce ne sont plus seulement les "frondeurs" socialistes français qui l'affirment, mais désormais aussi une institution allemande, jusqu'à présent plutôt soupçonnée de sympathiser avec la droite: la fondation Bertelsmann. Elle publie lundi 15 septembre son premier Index de la justice sociale dans les 28 Etats membres de l'Union européenne.

Le portrait qu'elle y dresse de l'Europe est, de ce point de vue, accablant: à un écart croissant entre le Nord et le Sud de la région s'ajoute désormais celui entre générations, qui pénalise de plus en plus les jeunes. La faute, selon l'étude, aux rigides politiques d'austérité poursuivies pendant les années de crise ainsi qu'aux réforme structurelles visant à stabiliser l'économie et les budgets des Etats, qui dans beaucoup de pays ont miné les systèmes de sécurité sociale ainsi que les investissements dans des politiques d'avenir telles que l'éducation et la recherche et développement.

L'écart entre le Nord et le Sud s'accentue

Entre la Suède, en tête du classement, et la Grèce, en pied, le niveau de justice sociale - dont l'étude prend en compte six dimensions (pauvreté, éducation, emploi, santé, justice intergénérationnelle ainsi que cohésion sociale et non-discrimination) au travers de 35 critères - varie significativement dans les différents pays membres de l'UE, constate la fondation Bertelsmann. Si pendant les dernières années celui-ci a baissé dans la plupart des pays analysés (seuls trois Etats enregistrent une nette amélioration par rapport à 2008: la Pologne, l'Allemagne et le Luxembourg), son déclin a toutefois été particulièrement sensible dans les Etats les plus durement frappés par la crise: la Grèce, l'Espagne et l'Italie, ainsi que l'Irlande et l'Hongrie.

L'écart entre les pays du Nord et du Sud de l'Europe s'est en conséquence renforcé. "Dans les pays en crise de l'UE en particulier, il n'a pas été possible d'administrer les coupes budgétaires d'une manière équilibrée", explique la fondation.

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La performance économique ne garantit pas la justice sociale

Le niveau de richesse nationale n'est en effet ni le seul ni le principal responsable de cette dégringolade, souligne la fondation: une comparaison entre les pays de l'UE prouve plutôt que performance économique et justice sociale ne vont pas forcément de pair.

L'exemple de la Suède et de l'Irlande, pays au PIB par habitant comparable, est en ce sens significatif: alors que le premier obtient le meilleur score européen en termes de justice sociale, le deuxième se classe bien en dessous la moyenne, en 18e position. A l'inverse, des pays dont la performance économique n'est que moyenne, comme la République Tchèque, la Slovénie et l'Estonie, parviennent à assurer un niveau de justice sociale relativement haut (ils occupent, respectivement la 5e, 9e et 10e position dans le classement), insiste la fondation.

>>LIRE: L'Irlande en a terminé avec l'aide européenne mais pas avec l'austérité

L'injustice sociale frappe surtout les plus jeunes

L'Index de la justice sociale mesure par ailleurs un autre effet de la crise et des politiques qui l'ont accompagnée. Au déséquilibre entre Nord et Sud s'ajoute désormais celui entre générations.

Ainsi, la pauvreté ou l'exclusion sociale menacent 28% des jeunes et des enfants européens, estime la fondation Bertelsmann. Elle observe une augmentation significative par rapport à 2009 et s'inquiète notamment du chômage des jeunes dans le Sud de l'Europe, alors que la pauvreté parmi les plus vieux semble plutôt être en déclin dans l'UE.

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Une menace pour l'avenir européen

Ces divisions sociales, source de tensions et de perte de confiance, risquent de coûter cher non seulement aux Etats membres, mais également à l'UE, met en garde la fondation Bertelsmann pour qui elles menacent "la viabilité future du projet européen" lui-même. Cependant, alors que dans la majorité des pays de l'UE quelques signes de sortie de crise s'amorcent, l'injustice sociale, négligée, reste aux mêmes niveaux.

C'est pourquoi l'étude appelle les Etats membres comme l'Union à la mise en place de stratégies intégrées adressant désormais, à côté de l'enjeu de la consolidation budgétaire, aussi celui de la justice sociale. Un effort que la fondation se propose de mesurer désormais dans un "baromètre" annuel et qui, souligne-t-elle, ne constituera pas qu'un coût car "investir dans des opportunités de participation est (...) aussi nécessaire pour l'innovation potentielle d'un pays".