La mission impossible de Manuel Valls à Berlin

Par Romaric Godin  |   |  1311  mots
Manuel Valls se rend à Berlin lundi 22 septembre
En visite à Berlin, le Premier ministre tentera de convaincre la chancelière de relancer la demande européenne en échange de "réformes" françaises. Mais Angela Merkel risque de ne lui proposer qu'un simple délai pour le retour dans les clous du pacte de stabilité.

Ce lundi 22 septembre, le Premier ministre Manuel Valls se rendra à Berlin pour y rencontrer Angela Merkel. Une rencontre attendue depuis longtemps. Devant les députés, lors de son discours de politique générale le mardi 16 septembre, le chef du gouvernement avait promis qu'il irait demander à l'Allemagne de « prendre ses responsabilités comme la France prend les siennes. » Qu'entend-il par là ? L'ancien maire d'Evry entend proposer un marché à la chancelière : la France s'engagera dans la voie des « réformes » comme le demande depuis longtemps le gouvernement et l'opinion publique allemands, mais, en échange, Berlin devra modifier sa politique et lancer un plan de relance de la demande censé profiter à tous les pays européens, France en tête.

Donner des gages de réformes

Pour obtenir l'accord de Berlin, Manuel Valls va tenter de manier la carotte et le bâton. La carotte, c'est l'existence même du gouvernement Valls II. Car le Premier ministre a assis sa légitimité sur l'idée qu'il fallait renforcer le dialogue avec le gouvernement d'Angela Merkel. C'est le sens de la révolution de palais du 25 août au cours de laquelle Arnaud Montebourg a été limogé, principalement en raison de son agressivité à l'encontre de Berlin. Le Premier ministre avait alors expliqué qu'il ne fallait pas « prendre de front » l'Allemagne. Le nouveau gouvernement Valls II apparaissait alors, à juste titre, comme un gage donné à la chancelière de la volonté française de « faire des réformes. » C'est sur cette idée que le Premier ministre a engagé mardi dernier la responsabilité de son gouvernement.

Dire autrement les éléments de langage d'Arnaud Montebourg

Mais il y a aussi le bâton. Car, tout en se débarrassant de son encombrant et remuant rival, Manuel Valls a repris plusieurs « éléments de langage » d'Arnaud Montebourg, à commencer par l'exigence d'une relance allemande pour soutenir la demande en France et en Europe. La position du gouvernement français est celle du donnant-donnant : des réformes contre une relance. C'est sans doute le message que Manuel Valls va tenter de faire passer ce lundi dans la capitale allemande. Il insistera sur la « crédibilité » de la volonté de réformes française, incarnée par son nouveau gouvernement, et viendra, en quelque sorte, demander le prix de cette bonne disposition à la chancelière.

L'Allemagne ne veut rien céder

Manuel Valls peut-il espérer faire céder Berlin avec cette stratégie ? C'est peu probable. L'Allemagne d'Angela Merkel est décidée à ne rien céder et l'a fait savoir. Mercredi, le ministère fédéral des Finances a clairement indiqué, en réponse à Manuel Valls, que « toutes les critiques concernant la politique budgétaire allemande sont vaines. » Autrement dit, il ne faut rien attendre de ce côté. Le budget fédéral 2015 est bouclé et Wolfgang Schäuble ne renoncera pas à son objectif d'un budget équilibré pour les cinq prochaines années pour faire plaisir à Manuel Valls. Berlin veut absolument réduire sa dette publique avant le choc démographique prévu dans les années 2020.

Rien, du reste, dans le comportement du gouvernement allemand ne laisse penser qu'il puisse y avoir une inflexion. Certes, Berlin et Paris ont lancé ensemble une « initiative pour la croissance. » Mais le contenu de cette initiative est faible et se calque sur le plan Juncker de 300 milliards d'euros. Lequel sera annoncé d'ici à la fin de l'année, mais s'appuiera surtout pour attirer les investissements privés sur des investissements... privés. C'est pourquoi il est toléré par Berlin.

L'Allemagne refuse l'aléa moral

En réalité, la stratégie de Manuel Valls est vouée à l'échec pour deux raisons. La première, c'est l'obsession allemande de « l'aléa moral. » Du point de vue allemand, rien n'est plus nuisible à la réforme que la relance. En soutenant les pays en difficulté, on leur ôte les « incitations » à se réformer. Or, en raison de la politique de la BCE et de son programme OMT de rachat illimité de titres souverains, l'incitation des taux a déjà disparu et les spreads se sont considérablement réduits. Si l'on donne une impulsion externe aux économies endettées, on réduit la pression pour accélérer le désendettement. Or, depuis la crise grecque, Berlin craint de devoir être solidaire du paiement de cette dette in fine. C'est tout le sens des propos martelés quasiment quotidiennement par Wolfgang Schäuble : « Il n'y a pas de croissance saine obtenue grâce à la dette. » Le marché de Manuel Valls d'une relance contre des réformes n'a donc, du point de vue de Berlin, aucun sens.

Une opinion allemande francophobe

L'Allemagne est d'autant moins encline à céder sur ce point que son gouvernement doit faire face à une poussée eurosceptique préoccupante et inédite dans les urnes et dans l'opinion. Angela Merkel ne peut guère répondre à cette poussée et aux inquiétudes de son propre camp, où l'on réclame de réfléchir à une alliance avec ce parti, par une politique plus « tolérante » vis-à-vis de la France. Il est nécessaire que le gouvernement allemand montre à son opinion sa fermeté face à une France « socialiste » qui est régulièrement épinglée par les médias pour son attitude budgétaire. Jeudi, un article de la Frankfurter Allgemeine Zeitung résumait le sentiment allemand vis-à-vis de Paris en soulignant que Manuel Valls demande à l'Allemagne de prendre ses responsabilités alors qu'il refuse que Berlin lui demande de prendre les siennes sur le plan budgétaire... Enfin, le Premier ministre français ne peut guère compter sur les sociaux-démocrates, très discrets sur une question européenne où ils ont tout à perdre dans l'opinion.

La France face à ses engagements

La stratégie choisie par Manuel Valls est donc vouée à l'échec. L'Allemagne ne relancera pas pour l'ensemble de l'Europe. Et elle réclamera cependant des « réformes » comme condition de survie de la zone euro. Angela Merkel est fort à l'aise pour imposer sa propre route à son homologue d'outre-Rhin. Elle peut s'appuyer sur l'architecture institutionnelle qu'elle a mise en place entre 2011 et 2012 : Six Pack, Two Pack, Semestre européen, pacte budgétaire. Une architecture qu'a acceptée sans broncher François Hollande en 2012. Comment peut-il à présent demander sa remise en cause ?

Qui pèse sur qui ?

Manuel Valls peut faire le matamore à la tribune de l'Assemblée nationale. Il ne dispose guère de leviers pour peser sur Berlin, sauf à jouer sur la peur d'un effondrement de l'économie française et de l'arrivée au pouvoir du Front national qui émeut peu une chancelière pour qui les réformes sont des solutions à tout. En outre, Paris et Rome s'entendent fort mal. L'incapacité des deux capitales « latines » à monter un sommet pour la croissance spécifique le 8 octobre (il sera fusionné avec le sommet régulier le 24 octobre) le prouve. Impossible donc de former un axe Paris-Rome, alors même que Berlin a renforcé son alliance avec Madrid. De son côté, Berlin a les moyens de peser en rappelant sans cesse à la France ses obligations européennes et en la menaçant de ne pas lui accorder de délai supplémentaire pour réaliser sa consolidation budgétaire. Cette menace est sérieuse pour Manuel Valls et bien plus redoutable que les rodomontades du Premier ministre français à la tribune de l'Assemblée nationale.

Le pacte « réformes contre relance » voulu par Manuel Valls n'est donc qu'une chimère. Le vrai pacte, c'est celui que présente Angela Merkel : des réformes contre un délai pour la consolidation budgétaire. C'est une autre réalité que celle que présente le Premier ministre à Paris. L'apaisement voulu par François Hollande le 25 mai n'aura guère porté ses fruits.