Sondages : pourquoi il faut prendre en compte les indécis

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La tempête médiatique autour du sondage Louis Harris donnant Marine Le Pen à 24 % des intentions de vote n'est sans doute que la première polémique sur les sondages. D'autres polémiques sur les enquêtes d'opinion vont inévitablement suivre. À gauche, il y a fort à parier que, une fois les primaires socialistes ouvertes, les candidats les moins bien placés dans les intentions de vote finiront par dénoncer le parti pris des sondages.

Des polémiques sont également prévisibles à droite si les enquêtes continuent de pronostiquer la défaite de Nicolas Sarkozy dès le premier tour. Et que dire de la réaction des candidats qui seront victimes d'un décrochage après avoir approché ou occupé la deuxième place dans les intentions de vote au premier tour sinon qu'elle se traduira, là encore, par une attaque en règle des études ? Les solutions préconisées par les parlementaires Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur en faveur d'une plus grande transparence des méthodes utilisées par les instituts n'y changeront rien. Qui peut croire que le problème sera résolu lorsque les Français auront compris que tous les sondages comportent la même marge d'erreur ? En quoi les enquêtes seront-elles plus « fiables » quand les méthodes de redressement seront publiées ? Et n'est-il pas ridicule de se focaliser sur le degré de précision d'intentions de vote dont la véracité ne pourra être établie qu'au soir du scrutin ?

Quant à la publication systématique d'un « intervalle de confiance » consistant, par exemple, à afficher une fourchette de résultats, on se demande bien comment ce type de présentation ne pourrait pas compliquer un peu plus la lecture des résultats. En fait, le problème n'est pas dans l'absence de rigueur méthodologique des sondages mais dans l'absence de prise en compte des indécis. Que l'on veuille bien y réfléchir une seconde et cette ignorance ostensible d'une partie de l'électorat apparaîtra inévitablement pour ce qu'elle est : une aberration. Les indécis, loin d'être marginaux, sont de plus en plus nombreux depuis vingt-cinq ans. À trois mois du scrutin, ils étaient 30 % aux présidentielles de 1981 et de 1988, 40 % à celles de 1995 et de 2002 et 50 % à celle de 2007. Plus fondamentalement encore, ce sont les indécis qui justifient le débat démocratique. Ce sont eux qui suivent avec la plus grande attention la campagne des candidats et les sondages sur les intentions de vote. Pourtant, ce sont eux, aussi, que les politiques comme les instituts continuent d'ignorer.

Cette réticence à reconnaître l'existence d'une opinion indécise ne doit évidemment rien au hasard. Les politiques sont obnubilés par les électeurs qui assurent avoir déjà fait leur choix au point de reléguer à l'arrière-plan ceux qui doutent encore. De leur côté, les sondeurs craignent que la prise en compte systématique des indécis ne relativise leur capacité à mesurer précisément l'opinion. Mais, en ignorant les indécis, les sondages renvoient une image fausse de l'opinion. Ils font croire que les électeurs peuvent être sûrs de leur choix, y compris un an avant une élection dont on ne connaît ni tous les candidats, ni les enjeux. Plus gravement, ils peuvent induire les électeurs en erreur sur l'issue probable du scrutin. Continuer de dire, comme le soutiennent encore si souvent les instituts, que les sondages ne font pas une élection n'est ni tenable ni même acceptable. L'élimination de Lionel Jospin en 2002 est largement imputable aux sondages qui le donnaient présent au second tour. Le choix de Ségolène Royal pour porter les couleurs du Parti socialiste en 2007 s'explique en partie par les sondages qui lui étaient unanimement favorables au moment des primaires.

Il devient donc urgent de relativiser le pouvoir des sondages, non pas en multipliant des indications techniques, aussi incompréhensibles qu'inutiles, mais en précisant plus simplement le poids des indécis par candidat. Certains instituts publient aujourd'hui un taux global. Beaucoup ne donnent une ventilation par candidat que dans les derniers jours précédant le scrutin. Pourquoi ne pas diffuser systématiquement cette information ? Pour chaque sondage publié, les Français ont le droit de savoir. Qui plus est, la mention des indécis serait facile à mettre en oeuvre. Il suffirait, à titre d'exemple, que chaque institut précise qu'un candidat A dispose de 25 % d'intentions de vote dont 10 % d'intentions fermes et un candidat B de 20 % d'intentions de vote dont 15 % d'intentions fermes. Cette présentation plus fine est de nature à changer radicalement la lecture des sondages, relativiser ou conforter la performance des candidats et contribuer ainsi à éclairer le choix des électeurs en rappelant opportunément, et peut-être jusqu'au dernier moment, que rien n'est joué. Après tout, n'est-ce pas aussi, sinon surtout, la contribution des sondages électoraux à la vie démocratique ?

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