"Il faut faire le deuil d'une croissance aux Etats-Unis de 4%"

latribune.fr - Votre scénario économique pour les Etats-Unis l'an prochain évoque une croissance de 1,7%, soit un niveau assez faible, pourquoi ? Vincent Lahuec - Tout d'abord, parce que l'économie américaine va mal terminer 2002. Nous estimons pour notre part, que la croissance américaine aura stagné au quatrième trimestre: la consommation privée devrait être très légèrement négative, l'investissement continuera d'être faible et le petit phénomène de restockage observé en octobre, essentiellement dû au secteur automobile, ne se reproduira pas. Ensuite, contrairement à de nombreux économistes, nous ne croyons pas que la consommation des Américains connaîtra un coup de "booster" au premier trimestre de l'année prochaine du fait d'un effet positif des renégociations des prêts immobiliers. Selon nous et d'après des enquêtes de terrain auprès notamment des concessions automobiles, cet effet est déjà derrière nous. En conséquence, nous estimons que le rythme de croissance de la consommation devrait être de l'ordre de 1-1,5% au premier semestre et de 2-2,5% au second semestre 2003. De fait, le comportement du consommateur devrait être bridé dans les mois qui viennent par l'évolution à la baisse de son revenu, en raison notamment de la détérioration de l'emploi.Vous estimez donc que des ajustements sur le marché du travail sont encore à venir ?Si l'on regarde ce qui s'est passé ces 18 derniers mois, on s'aperçoit que l'économie américaine a perdu deux millions d'emplois dans l'industrie. En début d'année, les chefs entreprises, comme en témoignent les enquêtes d'opinion de l'époque, faisaient preuve d'un certain optimisme et n'ont donc pas tranché drastiquement dans leurs effectifs. Au vu du nombre d'heures travaillées, on estime aujourd'hui qu'il y a environ encore un million d'emplois en trop. Les suppressions d'effectifs qui ne manqueront pas d'intervenir dans des entreprises d'abord préoccupées par la restauration de leur santé financière vont donc peser à la fois sur le revenu et sur le taux de chômage, affectant la confiance des ménages.Dans ce contexte, quelle est la marge de manoeuvre de la Réserve fédérale (Fed) ?Schématiquement, en baissant le loyer de l'argent, la Fed poursuit trois objectifs : réduire le coût d'émission du papier commercial, baisser le coût du crédit à la consommation pour les ménages et réduire le coût de la dette des entreprises sur les émissions longues. Le dernier geste de la Fed (ndlr, baisse de 50 points de base du principal taux directeur à 1,25%) n'aura qu'imparfaitement atteint ces objectifs, que ce soit pour les ménages ou les entreprises. Néanmoins, on peut penser, même si la Fed n'en fait jamais état, qu'un certain nombre de baisses de taux ont été motivées par la nécessité de préserver l'état de santé d'un certain nombre d'acteurs. Les faillites récentes montrent que ce sont souvent les mêmes institutions qui se trouvent exposées aux risques de défaillances.La politique budgétaire peut-elle prendre le relais ? On prête à l'administration Bush l'intention d'annoncer un plan de relance pour 2003...La Maison Blanche n'est pas dupe quant à sa réelle emprise sur l'économie. Sa politique est guidée par des a priori idéologiques: pour les républicains, il faut réduire les dépenses et baisser les impôts. Or, l'histoire récente nous montre que les baisses d'impôts n'ont pas eu les effets escomptés. En fait, ce qui a été injecté dans l'économie a été totalement épargné au dollar près. Il est donc probable qu'un nouveau programme de relance ne fonctionnera pas auprès des ménages car on ne peut forcer un acteur qui ne veut pas consommer à dépenser. Cependant, on ne peut négliger l'impact psychologique de ce type d'annonces, même si on peut s'interroger sur le financement d'un tel plan.Votre lecture de la situation américaine repose notamment sur le fait que les Etats-Unis ne renoueront pas avec un rythme de croissance des investissements similaire à celui enregistré à la fin des années 90, pourquoi ?Dans le passé, l'investissement avait été nourri par le poste "ordinateurs". Aujourd'hui, ce poste représente 28% de l'investissement des entreprises et on a du mal à imaginer que cela augmente beaucoup plus. Selon nous, le scénario le plus probable est que l'investissement devrait progresser dans les années à venir sur un rythme équivalent à celui du PIB. Cela n'aurait rien de choquant, d'autant que les entreprises se sont aperçues que l'investissement ne générait pas de profit supplémentaire. En fait, il faudrait faire le deuil d'un objectif de croissance pour les Etats-Unis de 4% à court terme. Peu à peu, la singularité américaine (fort investissement et surconsommation) tend à disparaître, ce qui à terme, amène à une convergence des taux de croissance américains et européens.
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