Incertitude totale sur l'issue du référendum suédois sur l'euro

La mort tragique de la ministre des Affaires étrangères suédoise Anna Lindh, qui soutenait avec force le "oui" à l'euro, poignardée par un inconnu dans un centre commercial de Stockholm mercredi, va-t-elle modifier le cours du référendum sur l'adhésion à l'euro qui se tient dimanche ? Ce n'est pas exclu. Un sondage réalisé après la mort de la ministre, et publié vendredi matin, fait apparaître pour la première fois une égalité parfaite des intentions de vote entre le "oui" et le "non". Mais une autre enquête donnait encore le "non" en tête avec 12 points d'avance.IncertitudeEn fait, nul ne sait réellement comment les Suédois vont réagir à cet assassinat qui, évidemment, a choqué le pays tout entier à qui ce drame rappelle les sombres heures du meurtre du Premier ministre Olof Palme en 1986. De façon unanime, la presse de vendredi a appelé les électeurs à se rendre aux urnes dimanche. "Une forte participation au référendum et une prise de position réfléchie sont de bons moyens de perpétuer les efforts d'Anna Lindh pour la démocratie", indiquait ainsi l'éditorial du grand quotidien Dagens Nyheter.Le "oui" pourra-t-il bénéficier d'un vote de sympathie ? Sans doute, car il est possible que cet attentat, ressentie comme une attaque contre la démocratie, mobilise les électeurs et surtout ceux susceptibles de voter pour l'euro. Mais il n'est pas certain que cela sera suffisant. Cité par Reuters, le stratégiste de Handelsbanken Mattias Isakon estime que, de leur côté, les marchés ont "déjà intégré dans les cours un vote négatif avec une certitude de 90%".MéfianceAvant ces tragiques événements, d'ailleurs, le "non" à l'euro semblait devoir l'emporter, même si le "oui" avait amorcé une remontée. Un "non" suédois serait ainsi le quatrième provenant du Nord après les deux refus des Danois de ratifier le traité de Maastricht en 1992 et d'entrer dans la zone euro en 2000 et celui des Norvégiens d'adhérer à l'Union européenne en 1994. Il illustrerait une nouvelle fois la méfiance des peuples scandinaves vis-à-vis de l'aventure européenne. Forgés par le modèle social-démocrate né dans les années trente, les Suédois, comme jadis les Norvégiens ou les Danois, craignent d'y perdre leur âme, c'est-à-dire leur mode de vie. Les récentes enquêtes d'opinion montrent en effet au mieux un large scepticisme face au projet européen et au pire la crainte que les bureaucrates bruxellois défassent progressivement les bases de l'Etat providence à la scandinave. Les adversaires de la monnaie unique n'ont donc eu aucune difficulté à convaincre les électeurs que le statu quo restait le meilleur choix. "Je ne veux pas abandonner un système qui fonctionne bien pour plonger dans l'incertitude", a ainsi proclamé la présidente du parti du Centre Maud Olofsson. D'autant que pour les partisans du "non", garder la couronne permet de disposer d'un levier supplémentaire en cas de "choc asymétrique", c'est-à-dire de crise économique touchant la Suède et non le reste de l'Europe. Et pour finir de convaincre les indécis, les adversaires de l'euro n'ont évidemment pas hésité à agiter certains épouvantails classiques : coût du passage à la monnaie unique, hausse des prix, etc. L'avance du "non" dans les sondages est d'autant plus frappante que la campagne en sa faveur a été assez discrète. Il faut dire que l'ensemble des institutions du pays ont pris fait et cause pour le "oui", du principal syndicat du pays, LO, au patronat, en passant par les deux grands partis politiques, les Modérés et les Sociaux-démocrates. Et les trois partis à soutenir le "non", les populistes du parti du Centre, les Verts et les ex-communistes de la Gauche, ne représentent que 19% des suffrages aux élections législatives de 2003. Un premier ministre dans la mêléeDu coup, le Premier ministre Göran Persson a dû se jeter à corps perdu dans la bataille de l'euro. Car il se retrouve dans une position difficile. La rupture entre les Suédois et leur classe politique semble en effet désormais évidente, ce qui ne manquera pas d'affaiblir un gouvernement lui-même divisé sur la question de l'UEM. Sans compter que Persson est à la tête d'un gouvernement homogène social-démocrate qui ne possède pas la majorité au Riksdag (parlement). Or, il s'appuie pour gouverner sur les deux partis de gauche opposés à l'euro : les Verts et la Gauche. C'est dire si sa situation en tant que Premier ministre serait compromise en cas de large victoire du "non" dimanche.L'homme s'est donc dépensé sans compter. Chaque soir pendant un mois, il a parcouru le pays pour asséner ses arguments, répondre aux adversaires de l'UEM et parfois faire peur. Son leitmotiv a d'ailleurs été de brandir l'épouvantail de l'isolement et de l'échec économique. Il a par ailleurs mis en garde ceux qui souhaiteraient voter non pour d'autres raisons et qui penseraient pouvoir voter oui un peu plus tard. "Il n'y aura pas de seconde chance avant 2010", a-t-il ainsi prévenu. Mais le chef du gouvernement ne s'est pas contenté de faire peur à ses compatriotes, il a également tenté de défaire les uns après les autres les arguments des eurosceptiques. Il a ainsi dénoncé l'argument du "choc asymétrique", cas relativement rare, pour insister sur les garanties et les protections apportées par l'UEM, notamment contre les spéculateurs. Il a aussi particulièrement insisté sur l'exemple finlandais (lire ci-dessous). Les efforts du Premier ministre ont en partie payé : le oui a remonté la pente. Mais il a pris des risques politiques en s'alliant dans cette bataille à l'opposition de droite et au patronat. La Suède en chiffresPopulation : 8.962.106 habitantsPIB 2002 : 238 milliards d'euros, soit 26.556 euros par habitant (France : 1.521 milliards d'euros, soit 25.000 euros par habitant)Croissance du PIB : 1,9% en 2002, +0,3% au 2ème trimestre par rapport au précédent (zone euro : -0,1%)Inflation : +2,4% en 2002, +1,8% en rythme annuel en juillet 2003Taux de chômage : 5,4% en août 2003 Excédent budgétaire de 1,1% du PIBConséquencesQu'adviendra-t-il après l'issue du scrutin - quelle qu'elle soit ? Dans l'immédiat, rien. En cas de victoire du oui, l'euro ne sera pas introduit rapidement. Göran Persson a en effet déclaré que l'entrée dans la zone euro ne se fera que quand "les conditions s'y prêteront". L'objectif initial était d'adopter l'euro dès 2006, mais certains experts ont suggéré une entrée en 2010, voire 2013. Une chose est sûre : il faudra une stabilité de la couronne face à la pièce bicolore pendant trois ans pour que, techniquement, cette adhésion soit possible.Et en cas de non ? Aucune véritable révolution n'est attendue non plus. Ce qui ne veut pas dire que l'impact de ce refus sera nul. Dans l'immédiat, Morgan Stanley estime que la Banque de Suède ne serait plus tenue de se rapprocher des taux de la BCE. La politique de taux bas (actuellement le taux de base est à 2,75%) pourrait ainsi cesser. L'impact négatif du "non" sur la croissance serait alors évalué à 0,6% par l'institut suédois de conjoncture. A plus long terme, évidemment, la Suède pourrait souffrir d'un certain isolement. Mais les conséquences concrètes d'un refus de l'euro dans ce contexte paraissent difficiles à estimer. Ainsi, Nordea, prenant l'exemple du Danemark qui a rejeté l'euro en 2000, considère que les conséquences économiques devraient être limitées. En revanche, un "non" suédois pourrait encore affaiblir la position de l'Union européenne en Scandinavie. Ces derniers mois, le projet européen bénéficiait d'un regain de soutien au Danemark et en Norvège. La campagne suédoise semble avoir joué négativement. Au Danemark ainsi, les derniers sondages montrent un net affaiblissement des partisans de l'euro. Le 8 septembre, ils n'étaient que 53,5% à vouloir voter oui au Danemark : le plus faible niveau depuis janvier 2001. Avant la grande discussion sur la Constitution européenne, la Scandinavie risque donc de donner des sueurs froides aux dirigeants européens.Romaric GodinLa Finlande, exemple ou contre-exemple ?La Finlande a été au coeur du débat suédois, du fait de l'existence entre les deux pays de liens étroits. La Finlande a été suédoise jusqu'en 1809, et le suédois demeure l'une des deux langues officielles du pays. En outre, la Finlande est le 6ème partenaire commercial de la Suède. C'est dire si la situation de ce pays touche de près les Suédois. Les partisans de l'euro ne se sont donc pas privés d'insister sur la satisfaction des Finlandais, pourtant sceptiques dans un premier temps, vis-à-vis de l'euro. Les arguments des pro-euro ont été renforcés par les perspectives économiques réjouissantes de la Finlande dont la croissance devrait être supérieure d'un point à celle de la Suède en 2003. Mais les adversaires de l'euro ne se sont pas privés de mettre le doigt sur le taux de chômage de la Finlande (9,6%), près de deux fois plus élevé qu'en Suède. Autre argument de poids : les prix, qui ont considérablement monté en Finlande après l'adoption de l'euro.
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