La flambée de l'euro menace la reprise européenne

Après avoir touché dans la nuit de lundi à mardi un nouveau plus haut historique contre le billet vert à 1,1978 dollar, l'euro s'est légèrement replié, subissant des prises de bénéfices. Jeudi en milieu de matinée, la monnaie européenne valait tout de même encore 1,1939 dollar. Cette dégringolade de la devise américaine suscite de vives inquiétudes de ce côté-ci de l'Atlantique. En effet, nombreux sont les experts qui partagent le point de vue de Paul Bednarczyck, économiste de l'agence de recherche 4Cast, pour qui "c'est l'économie de la zone euro qui a le plus à perdre" d'une glissade prolongée du billet vert.Et les politiques ont beau se montrer rassurants, à l'instar du ministre français de l'Economie Francis Mer pour qui la hausse de l'euro "n'est pas grave" si elle reste ponctuelle, certains spécialistes sortent leurs calculatrices afin d'évaluer les conséquences pour la croissance en Europe de l'appréciation de la devise européenne. Ainsi Marc Touati, chef économiste de Natexis Banques Populaires, explique qu'avec "un euro à 1,10 dollar, la croissance eurolandaise pourra avoisiner les 2 % en 2004, avec un euro à 1,20, elle ne dépassera pas 1,3 %".La question est donc de déterminer comment va évoluer la parité entre la monnaie américaine et la devise européenne. En jetant un coup d'oeil dans le rétroviseur, on notera que depuis son plus bas historique enregistré en octobre 2000 l'euro s'est apprécié de plus de 44% par rapport au dollar. L'accélération de la hausse de l'euro est particulièrement sensible depuis le début de l'année, puisque depuis le 1er janvier la monnaie européenne a gagné 13,5%. Défiance générale des investisseursPar ailleurs, il est assez surprenant de constater que le brutal décrochage du dollar intervient alors même que la croissance américaine est revenue : en rythme annuel moyen, elle tourne autour de 3 à 3,5%, ce qui devrait permettre de résorber au moins en partie le déficit budgétaire américain. Ces pressions sur le billet vert font dire à Julian Jessop, analyste de la banque Standard Chartered, que "la direction d'évolution du dollar est très claire. Il est enclin à se déprécier en raison des déséquilibres de l'économie américaine et notamment du déficit de la balance des comptes courants".Or le dernier bulletin du Trésor américain (lire ci-contre), diffusé mardi, a ravivé les inquiétudes relatives au financement de l'économie américaine. Les achats nets d'actifs financiers par les non résidents sont passés de 62,4 milliards de dollars en août à 15,8 milliards de dollars en septembre. Si cette tendance baissière devait se confirmer, l'explosion du déficit courant américain apparaîtra de plus en plus comme insupportable. Au deuxième trimestre, le déficit courant des Etats-Unis s'est déjà élevé au niveau record de 138,7 milliards de dollars. "Aujourd'hui on assiste à une défiance générale des investisseurs finaux vis à vis des Etats-Unis", estime Valérie Plagnol, chef stratégiste au CIC. "C'est un véritable cercle vicieux : les investisseurs se demandent si les Etats-Unis vont trouver l'argent pour financer leurs déficits et comme ils s'inquiètent, ils n'investissent pas". En outre, les scandales et les arrestations à répétition (lire ci-contre) qui émaillent désormais la chronique économique et financière de Wall Street ne sont pas faits pour restaurer la confiance.Fin du dollar fortCette frilosité des investisseurs a pour conséquence d'accélérer la baisse du billet vert, le tout avec la bénédiction tacite de Washington qui tourne ainsi clairement le dos à la doctrine du dollar fort. Pour limiter le dérapage de la balance courante, les Etats-Unis ne peuvent plus compter que sur une amélioration de leur déficit commercial. En pleine période pré-électorale, il serait illusoire de croire que l'administration Bush va instaurer une politique de rigueur visant à limiter la demande interne afin de peser sur les importations. "L'ajustement majeur passe donc par une dépréciation de la monnaie", note Philippe Waechter, chef économiste de Natexis Asset Management, "afin de rendre plus compétitives les exportations américaines". Mais pour l'Europe à la croissance encore apathique, comme pour l'économie japonaise tout juste convalescente, la glissade du dollar est une épée de Damoclès supplémentaire. Au point que certains tournent leurs regards vers les banques centrales pour tenter de stopper le mouvement. Marc Touati juge ainsi qu'il n'y a plus "qu'une seule issue pour sauver la croissance eurolandaise : que les Banques Centrales interviennent. Il faudra donc soit que la Fed (ndlr, Réserve fédérale américaine) change son discours ultra-accommodant puis resserre son étreinte d'ici l'été prochain, soit que la BCE baisse, même symboliquement de 25 centimes, son taux refi. Sinon, les nuages vont rapidement s'amonceler dans la zone euro et la croissance s'affaissera de nouveau". Valérie Plagnol se veut pour sa part moins catégorique, estimant que le contexte n'est pas celui d'une "guerre des changes". Même si elle n'exclut pas des interventions de la Banque centrale nipponne, l'économiste du CIC privilégie l'hypothèse de déclarations de certains membres du G7 afin de ramener le calme sur les marchés. De façon à rattraper la fausse manoeuvre de la dernière réunion à Dubaï des représentants des pays les plus riches de la planète: leur déclaration appelant à une plus grande flexibilité des monnaies s'était révélée contre-productive, entraînant le premier important accès de faiblesse du dollar.
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