Vote par Internet, la France à petits pas

L'isoloir a-t-il encore de l'avenir ? Au vue de la désaffection manifestée par les électeurs envers les bureaux de vote, on peut parfois en douter. Pour éviter un nouveau "21 avril", les tenants du vote électronique proposent une solution clé en main. Si le sujet est régulièrement évoqué, le vote par Internet - qui consiste à voter en toute sécurité à partir de son propre ordinateur - est loin d'être une réalité. Certes, le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy s'est fendu de nouvelles annonces à l'occasion du dernier forum de l'e-democratie organisé en septembre par l'amoureux de nouvelles technologies, le député-maire d'Issy-les-Moulineaux André Santini. Mais en définissant plusieurs étapes pour "aller vers le vote électronique", le ministre a surtout fait référence aux machines à voter, c'est-à-dire des kiosques directement placés dans les bureaux de vote, beaucoup plus qu'au véritable vote sur Internet. Ainsi, le ministre de l'Intérieur a-t-il déclaré que le "le règlement technique des machines à voter serait prochainement rendu public", suivant les recommandations du Forum des droits de l'Internet rendues fin septembre, favorables aux kiosques à voter. "Le ministère de l'Intérieur a lancé un appel d'offre sur ces machines qu'il veut mettre en place l'année prochaine", explique Régis Jamin, qui dirige Election.com en Europe, une société qui propose des solutions de vote par Internet. Un projet qui a un coût considérable: "Chaque machine coûte de 3.000 à 4.000 euros, il en faut cinq en moyenne par bureau de vote, soit un budget total d'un milliard d'euros", précise-t-il. Elections consulairesMais sauf erreur, les machines à voter n'ont rien de révolutionnaire et il en existe depuis longtemps aux Etats-Unis ou au Brésil. Elles n'ont d'ailleurs pas le pouvoir de réconcilier l'électeur avec son devoir de citoyen. Et l'idée monte qu'un événement comme le 21 avril ne peut être uniquement attribué à la désaffection du citoyen pour la chose politique. "Les études prouvent qu'un tiers des abstentionnistes n'ont pas voté car ils ne pouvaient pas se rendre à leur bureau de vote", assure Régis Jamin. C'est l'argument majeur des partisans du vote par Internet. Electeurs présents ou pas le jour J, les taux d'abstention catastrophiques des élections municipales 2001 avaient déjà poussé le président Chirac à se dire favorable au vote par Internet. Qu'en est-il deux ans plus tard ? Malgré sa verve, Nicolas Sarkozy se montre plus que prudent : le vote par Internet restera cantonné à certains scrutins "où l'on peut déjà voter par correspondance", déclarait-il fin septembre. Les expérimentations porteront par exemple sur les élections aux Chambres de commerce et de métier où les taux d'abstention donnent le vertige. "Internet sera utilisé lors des prochaines élections consulaires en novembre 2004", indique Régis Jamin. Une loi permettant l'utilisation du vote par Internet pour des référendums locaux pourrait également être rédigée.Succès mitigéPas question, en revanche, d'étendre pour le moment cette possibilité aux élections politiques. Au delà des discours, les freins sont encore forts, et pas seulement au sein du gouvernement. Car le vote dans le préau d'une école et le choix du bulletin dans le secret de l'isoloir sont des rites auxquels beaucoup restent attachés. Le Forum des droits de l'Internet, supposé être à l'avant-garde, reste réticent. Outre les problèmes d'identification et de sécurité, le rapport de septembre évoque le lien direct établi grâce à l'urne entre le citoyen et son vote. "Le passage dans l'isoloir garantit que le vote est secret" et limite la pression familiale. Et de citer ce "moment privilégié de la vie collective [...] profondément inscrit dans la tradition républicaine". En clair, les présidentielles ou les législatives par Internet, ce n'est pas pour demain...Un discours qui contraste avec l'expérience tentée en mai dernier à l'occasion de l'élection du Conseil Supérieur des Français de l'Etranger (le CSFE) dans deux circonscriptions américaines. Particularité de ce suffrage universel : c'est le seul pour lequel le vote par correspondance est autorisé. Bilan des courses : sur les 60.000 votants, le taux de participation a augmenté de 2,5 points pour ces élections qui intéressent peu le citoyen. Un "succès mitigé" selon le Forum des droits sur Internet. Pourtant, il y a bien eu hausse du taux de participation et 60,6% des votants ont opté pour la solution Internet. Même "mitigée", l'expérience n'a pas laissé indifférent. "La commission parlementaire s'est réunie en septembre pour généraliser le système aux étrangers", se réjouit Régis Jamin.Au symbole de l'isoloir, d'autres ont opposé un pragmatisme de circonstances. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis notamment, la grande différence avec la France étant que le vote par correspondance y est autorisé depuis plusieurs années. Le pays de Tony Blair a entamé voici deux ans des expérimentations dans différente villes anglaises à l'occasion des élections locales. Premier objectif : tester l'efficacité et la résistance des systèmes électroniques utilisés (Internet, liaisons téléphoniques...). Si la commission électorale ne tire pas de conclusions définitives, elle souligne qu'a priori, le vote électronique a stimulé le taux de participation de 0 à 5 points. Bémol dans ce rapport : il n'exclut pas que le vote électronique puisse créer une méfiance chez le citoyen.Genève, une expérience concluanteComplexité du système électoral et grandeur du territoire obligent, les Etats-Unis s'y sont mis dès 2000, notamment lors des primaires du parti démocrate en Arizona. Une expérience semble-t-il probante, puisqu'au final, le taux de participation du scrutin a doublé par rapport aux élections de 1996 et de 1992.A ce jour, l'expérience la plus citée reste celle menée dans le canton de Genève. Les Suisses de deux communes se sont essayés cette année au vote par Internet. La démarche helvétique s'explique d'abord par son régime particulier de démocratie semi-directe qui oblige le particulier à se rendre au bureau de vote entre quatre et six fois par an. Un système qui a abouti à des taux de participation compris entre 30 et 35%, mettant en danger la démocratie elle-même. Il y a 15 ans, le vote par correspondance a alors été introduit, et a permis une croissance de 10 points de la participation. La Suisse est passé à la vitesse supérieure cette année en s'essayant au vote par le Net. La raison ? "22% des abstentionnistes pourraient changer d'avis grâce à la présence de ce média, selon les études", assure le chancelier du Canton de Genève, Robert Hensler. Le système a été expérimenté dans la commune d'Asnières, dans l'agglomération genevoise, en janvier dernier pour un référendum local. Bilan du scrutin : 43,6% des votants se sont tournés vers Internet, alors qu'entre 90 et 95% des électeurs votent d'habitude par correspondance. "Les personnes d'âge mûr ont été plus nombreuses que les 18-25 ans à voter par le Net", précise Robert Hensler. L'expérience sera bientôt renouvelée. Pour l'instant, elle ne concerne que les scrutins pour lesquels un choix limité de réponses est possible (Oui, Non ou Blanc), parce que "c'est facile à gérer, et l'on teste le système". A contrario, lors d'élections politiques, on peut "biffer" des candidats sur des listes, en rajouter, créer sa propre liste... Autant de possibilités qui compliquent le dispositif.Le canton de Genève semble avoir réussi, à grands coups d'études, à répondre à toutes les craintes en vigueur dans l'Hexagone. Quid du risque mis sur le secret du vote? Sur cette question, "toutes les enquête montrent qu'il n'y a pas de coercition de vote", assure Régis Jamin. La preuve, "les Suisses font confiance à leurs citoyens", comme le montre la pratique du vote par correspondance.La France est encore loin de suivre cet exemple, même si des initiatives existent. Au cabinet du Premier ministre, on n'hésite pas à mentionner un exemple d'envergure : les dernières élections du bureau de l'UMP, en avril denier, ont été réalisées sur Internet... Des techniques pas vraiment révolutionnaires...Les adversaires du vote électronique ont souvent soulevé différents problèmes techniques. Comment être sûr de l'identité du votant ? De quelle façon lui assurer que son bulletin ne sera pas mis en liaison avec son identité ? Aucun problème, assure-t-on chez les professionnels. "Le citoyen reçoit par la poste une carte à voter dotée d'un code à gratter utilisable une seule fois, en même temps que ses bulletins et son enveloppe habituelle. Il se rend sur le site officiel, entre dans une première zone sécurisée grâce à un premier code. Il trouve ensuite dans la zone des bulletins à choisir, qu'il peut remplir ou modifier. Enfin, il confirme son vote en introduisant un deuxième code secret", explique Robert Hensler. Le système repose sur la gestion de deux fichiers distincts et sans rapport l'un avec l'autre, l'un concernant les votes, l'autre les votants. "En permanence, on mandate des sociétés de hacking pour améliorer le niveau de sécurité", explique-t-il encore. Le dépouillement est quasi automatique, effectué sous le contrôle d'un représentant de chaque parti. Tous détiennent les clés de l'urne électronique.
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