Le rêve brisé d'AOL Time Warner

100 milliards de dollars de pertes. Le chiffre, véritable coup de massue, sonne définitivement le glas, s'il en était encore besoin, des grandes ambitions de la fusion la plus emblématique de l'ère Internet. Première mégafusion de l'an 2000, l'association d'AOL et de Time Warner a fait tourner bien des têtes et a suscité la jalousie des autres grands groupes de communication.Retour deux ans en arrière. A écouter les deux artisans de la fusion, Steve Case, à l'époque PDG du fournisseur d'accès Internet America Online (AOL), et Gerald Levin, à la tête de Time Warner, le mariage fut simple comme un coup de fil. En octobre 1999, Steve Case, ex-cadre de Pizza Hut reconverti dans Internet, décroche son téléphone. "Je lui ai dit que j'aimerais bien que nos groupes fusionnent. Et que ce serait une bonne idée que j'en sois président et lui directeur-général", explique-t-il à l'époque. Estomaqué, le sexagénaire Gerald Levin finira par capituler. La bulle Internet est au plus haut: la seule évocation du mot Internet suffit à doper les cours. Résultat, ce n'est pas Time Warner qui prend le pas sur AOL, mais bien le contraire. Les actionnaires du fournisseur d'accès Internet reçoivent 55% du capital de la nouvelle société alors qu'AOL fournit à peine 20% du cash-flow de l'ensemble. Peu importe, le nouveau groupe affiche l'une des premières valorisations de la planète avec environ 350 milliards de dollars. Investisseurs, industriels et autres observateurs n'ont qu'un mot à la bouche: la convergence, concept phare de l'époque qui signe le passage des médias tradionnels à une nouvelle ère.Nouveaux canaux de distributionLes contenus de Time Warner, comme ceux du Times, de CNN ou des studios HBO, ont trouvé un nouveau canal de distribution, Internet. De son côté, AOL possède enfin un réseau câblé, Warner Cable, numéro deux du marché américain, qui va lui ouvrir un accès au haut débit. Les synergies, d'au moins un milliard de dollars, sont au bout du chemin. Gerald Levin, qui a déjà réussi la fusion de Time et de Warner, est chargé de rapprocher les deux groupes. Les prévisions sont ambitieuses: le nouveau géant table sur un chiffre d'affaires de 40 milliards de dollars pour un résultat avant impôt de 10 milliards de dollars, dès la première année de son mariage. Et pourtant... La mise en place du projet, inattaquable sur le papier, déraille vite. Les synergies tant espérées ne sont pas si simples entre deux groupes aux cultures si opposées. La fameuse convergence, dont les contours précis n'ont jamais été dessinés, ne prendra jamais forme. A cela s'ajoutent le dégonflement de la bulle financière et le ralentissement de la situation économique. Internet continue de croître mais beaucoup plus lentement que prévu, tandis que les internautes ne se résolvent pas à acheter en ligne. La publicité sur le Web se dégrade à toute allure.Le boulet de l'accès InternetRésultat, de trimestre en trimestre, l'activité de fourniture d'accès Internet devient peu à peu un véritable boulet. Deux ans après le rapprochement, c'est AOL qui réalise la plus mauvaise performance du groupe. En 2002, alors que toutes les autres divisions voyaient leur Ebitda (équivalent de l'excédent brut d'exploitation) augmenter, le sien a même reculé de 22%. Pour AOL Time Warner dans son ensemble, l'Ebitda a augmenté de 5%. L'"ancienne" économie a repris le pas sur la "nouvelle".Les objectifs du début sont aujourd'hui passés aux oubliettes. Certes, le chiffre d'affaires est bien de 41 milliards de dollars en 2002, mais si l'on exclut les dépréciations d'actifs le résultat est à peine de 800 millions. Divorce?Un constat auquel se résolvent les investisseurs, qui, après avoir célébré le mariage en grande pompe, parlent maintenant de divorce entre les deux entités. "Le vrai problème est que la croissance enregistrée par AOL-Time Warner en 2003 sera inférieure à ses concurrents (Viacom, Disney, Fox), à cause de cette faiblesse persistante de la division AOL", déplorait dans les colonnes de La Tribune William Drewry, de CSFB, avant même la publication des résultats. D'ailleurs, les médias traditionnels du groupe sont actuellement valorisés par certains analystes entre 50 et 60 milliards de dollars, soit pratiquement la totalité de la capitalisation boursière de l'ensemble (62 milliards de dollars). AOL lui-même, eldorado déchu des médias, ne vaudrait donc actuellement plus rien...De cette fusion qui a tant fait rêver, il ne reste pas grand chose aujourd'hui. Ses artisans, portés un temps aux nues, sont partis ou font leurs bagages. C'est le cas de Gerald Levin, ex-numéro deux, qui a quitté le groupe en mai dernier, de Bob Pittman, ancien patron de la division Internet, démissioné en juillet 2002. Quant à Steve Case, il cèdera définitivement sa place en mai prochain. Signe que l'ère AOL est bel et bien terminée, c'est Richard Parsons, grande figure de la partie traditionnelle du groupe, qui le remplace. Même Ted Turner, qui disait que la signature de la fusion lui rappelait "la première fois où j'ai fait l'amour avec une femme", quitte le navire.
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