Les Slovaques ont bien du mal à croire à leur "miracle"

Il existe bien un "miracle économique" slovaque. Ce petit pays montagneux de 5 millions d'habitants est, on le sait, devenu en cinq ans l'économie la plus attractive d'Europe centrale. Avec une politique très audacieuse de privatisations, d'ouverture aux capitaux privés et de rigueur budgétaire, Bratislava est parvenu à afficher des taux de croissance record en Europe. Après sans doute 4,2% en 2003, la croissance pourrait ainsi se situer en 2004 et en 2005 aux alentours de 5%. Certes, tout n'est pas parfait: ce décollage s'accompagne d'une certaine tension inflationniste (8,7% en 2003), mais les économistes estiment que cette poussée de fièvre, due également à la baisse de la couronne notamment face à l'euro (-4% en un an), n'est que provisoire. Reste que, comme souvent, il existe un "envers du décor" assez inquiétant. Et la dernière semaine de février l'a - violemment - rappelé. Soudainement, l'Est du pays s'est embrasé: manifestations, pillages, canons à eaux et déploiement de la troupe ont donné une autre image du pays. Car la libéralisation débridée de la Slovaquie a laissé sur le bord de la route de nombreux habitants, à commencer par la minorité rom. Ces derniers ne représentent pas moins de 10% de la population du pays. Ils sont particulièrement nombreux dans l'Est où ils se concentrent dans les banlieues-ghettos des villes les plus importantes. Rejetée par la population, cette minorité a été la première victime de l'essor économique du pays. Souvent employés de la bureaucratie communiste, les Roms ont perdu leurs emplois lors des lourds dégraissages de l'administration au tournant du siècle. Aujourd'hui, neuf Roms en âge de travailler sur dix seraient au chômage en Slovaquie. Du coup, cette population vit principalement des prestations sociales. Evidemment, l'annonce par le gouvernement d'une réduction drastique des allocations chômage et des prestations familiales a menacé leurs seules sources de revenus. Il faut dire que la situation pouvait devenir critique. Selon un leader du mouvement rom, une famille avec cinq enfants touche actuellement 10.000 couronnes (247 euros) d'allocations familiales. Après la réforme, ces prestations ne devraient pas dépasser 3.000 couronnes, soit 74 euros. Du coup, la colère s'est muée en violence et le gouvernement a dû alléger son projet.Le cas de la minorité rom slovaque est certes extrême, mais il est intéressant de constater que l'ensemble de la population slovaque fait montre d'un grand pessimisme. Ainsi, selon l'enquête récente d'Eurobaromètre, 65% des Slovaques s'attendent à une détérioration de la situation économique en 2004. Parallèlement, 53% des Slovaques (contre par exemple 38% seulement des Hongrois) considèrent que leur situation au cours des cinq dernières années "a empiré". On le comprend : le taux de chômage atteint encore 15,5% en Slovaquie, soit presque dix points de plus qu'en Hongrie, son voisin du sud. Une situation qui tranche avec l'image de "paradis des délocalisations" du pays à l'étranger.Le cas slovaque montre combien la course à l'adhésion et à la croissance peut être dangereuse. Les privatisations et la réduction massive des dépenses publiques renforcent certes l'attractivité du pays, mais fragilisent le tissu social. Et la situation est d'autant plus critique lorsque ce tissu social est déjà marqué par des problèmes de minorités nationales, comme c'est le cas en Slovaquie, mais aussi en Lettonie ou en Estonie. Or, l'adhésion à l'Union, si elle doit renforcer les droits politiques des minorités, sera loin de régler ces problèmes sociaux. Car avec la nouvelle course qui s'engage, celle de l'entrée dans la zone euro, les gouvernements d'Europe centrale vont à nouveau devoir réduire leurs dépenses. Les violences de l'Est slovaque pourraient donc n'avoir été qu'un avant-goût de ce qui attend l'UE dans les années à venir.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.