Qu'elle est verte, ma Lettonie...

Alors que les Verts européens fêtaient en grande pompe, la création d'un "parti européen" et le lancement d'une campagne commune dans les 25 pays de la future Union en vue des élections au Parlement de Strasbourg, un événement aurait dû raffermir leur action. Vendredi 23 février en effet, la présidente lettonne, Vaira Vike-Freiberga, a nommé Premier ministre le leader des Verts lettons, Indulis Emsis. C'est la première fois en Europe qu'un écologiste occupera la tête d'un gouvernement. On sera donc d'autant plus surpris par la relative indifférence des dirigeants Verts européens envers cet événement. Nul en effet, à part la porte-parole du parti letton lui-même (mais c'est bien le moins), ne s'est attardé sur cette victoire sans précédent du mouvement écologiste européen. Pourtant, a priori, la figure d'Indulis Emsis n'a rien à envier à celles des grandes figures vertes de l'Ouest. Longtemps militant associatif pour la défense des côtes de la Baltique, il est un adepte absolu du vélo qu'il pratique avec assiduité dans les rues de la capitale, Riga. Et pour couronner le tout, il a pour principe politique le "développement viable", version baltique du très tendance "développement durable". Cette figure presque "idéale" n'a pourtant pas été portée en triomphe à Rome lors du Congrès des Verts européens. Pour comprendre pourquoi, il faut peut-être se plonger au coeur de la vie politique lettonne. De l'avis de tous les spécialistes locaux, Indulis Emsis a en effet été choisi pour sa capacité à être un homme du consensus. Et pour cause : sa plus belle réussite politique est d'avoir réussi à unifier son parti, les Verts, avec l'Union paysanne, formation agrarienne conservatrice et rurale. Une unité qui n'était pas gagnée d'avance, tant les électeurs et les programmes de ces deux formations étaient éloignés... Mais l'habileté politique du nouveau Premier ministre a fait taire les dissensions et a permis de récolter lors des élections de 2002 près de 9,5% des voix et un portefeuille - celui de l'environnement - pour le nouveau parti.Aujourd'hui, Indulis Emsis récolte les fruits de sa discrétion sur les questions qui fâchent. Et la présidente lettonne attend de lui qu'il réussisse au gouvernement à faire ce qu'il a fait au sein de son propre parti. Là encore, un petit rappel s'impose. Le précédent gouvernement, celui d'Einar Repse, est tombé en raison de soupçons de corruption autour du Premier ministre. Un des partis de la coalition s'est en effet retiré, rappelant que la lutte contre la corruption était au coeur de la campagne électorale. Mais pendant ce temps, les verts-agrariens sont restés silencieux, refusant d'entrer dans cette querelle qui a déchiré le pays. Du coup, leur leader est devenu le candidat idéal pour recoller les morceaux de la coalition et conduire le pays durant les étapes décisives de l'adhésion à l'UE et à l'OTAN cette année. Evidemment, on comprend le malaise des Verts occidentaux, souvent enclins à être "les épines dans le pied" des gouvernements dans lesquels ils sont présents (qu'on se souvienne des Verts belges, qui ont amené la chute du ministère Verhofstad I ou du rôle des Verts durant le gouvernement Jospin) face à cette figure de compromis. D'autant qu'Indulis Emsis est chargé d'être le médiateur d'une coalition nettement libérale et de droite. Il faut dire que la gauche sociale-démocrate est quasiment absente en Lettonie, seul pays parmi les dix entrants avec l'Estonie à n'avoir jamais connu de gouvernement de gauche. Indulis Emsis sera donc chargé de faire des compromis entre les ultra-libéraux du parti populaire, les démocrates-chrétiens du Premier Parti , les centristes de Nouvelle Ere et les nationaux-conservateurs du Parti de la Patrie et de la Liberté. Il lui sera donc bien difficile de faire passer des thèmes comme l'Europe sociale, mis en avant à Rome par les Verts européens. Et pour ne rien arranger, Indulis Emsis sera chargé de mener un gouvernement dirigé contre le seul parti d'opposition, le parti des Droits de l'Homme et de la Lettonie Unifiée. Un parti qui défend les droits de la très importante minorité russe de Lettonie (43,3% de la population). Une minorité qui a beaucoup protesté le mois dernier lors du passage d'une nouvelle loi sur l'Education qui réduit le nombre de cours pouvant être donné en russe dans les écoles de cette minorité. Le rôle du nouveau gouvernement sera donc l'application de cette loi. Et là encore, on est loin des thèmes présents chez les Verts européens concernant le respect des minorités. Il faut donc bien l'admettre, Indulis Emsis ne peut pas être le leader européen écologiste. Car s'il peut y prétendre par sa situation politique, sa position - clairement à droite - ne saurait satisfaire des partis occidentaux souvent alliés des sociaux-démocrates, voire des communistes.
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