Quand l'Est se méfie de Moscou

Une des conséquences de l'élargissement devrait être une modification substantielle des rapports entre Europe et Russie. Déjà, le mois dernier, deux événements sont venus montrer que ces rapports risquent d'être particulièrement difficiles à gérer. Le 18 février, devant la réticence du gouvernement biélorusse à accepter les augmentations de prix du gaz russe, Moscou a décidé de cesser les livraisons à ce pays. Mais la Biélorussie est un passage obligé pour le gaz russe à destination de la Lituanie, de la Pologne, et aussi de l'Allemagne. Pour les deux futurs pays membres de l'Union, la situation est devenue critique, surtout en Lituanie qui dépend entièrement des livraisons de gaz russe. Certes, la coupure n'a duré qu'une journée, mais elle n'a pas été neutre économiquement. Les fournitures de gaz à certaines entreprises lituaniennes et polonaises, notamment dans le secteur chimique, ont été stoppées, provoquant des arrêts de travail ou l'utilisation, plus onéreuse, de pétrole. Cette mésaventure a entraîné une levée de boucliers dans les deux pays contre Moscou. Le Premier ministre polonais, Leszek Miller, a jugé que la Russie était un partenaire "peu crédible" et a indiqué qu'il réfléchissait à une diversification de son approvisionnement en faisant notamment appel à la Norvège. Varsovie a également estimé être en droit de réclamer des "dommages" à Moscou pour cette coupure. En Lituanie, certains se sont interrogés sur l'acquisition prévue par Gazprom de 34% du distributeur local de gaz, Lietuvos Dujos. Voilà qui tombait bien mal, deux jours avant la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'UE qui devaient examiner les futures relations russo-européennes. L'enjeu était l'élargissement sans condition aux dix nouveaux pays membres de l'accord de coopération entre l'Union et la Russie. Un élargissement dénoncé par Moscou, qui ne souhaite pas appliquer aux dix nouveaux membres les conditions favorables accordées aux Quinze. Selon certains, la perte pour l'économie russe pourrait être de 300 millions d'euros par an. Or, devant la mauvaise volonté russe, la Pologne a fait monter les enchères et s'est acquis la bienveillance de plusieurs Etats actuellement membres de l'UE. Résultat: dans son communiqué, l'UE a repris la rhétorique de Varsovie et a mis en garde Moscou. Si la Russie n'accepte pas l'élargissement de l'accord, son comportement aurait "un impact sérieux sur les relations en général entre l'UE et la Russie", ont ainsi menacé les Quinze. Le ton est donc monté d'un cran. Une situation qui s'explique naturellement. Les relations historiques difficiles entre la Russie et huit des nouveaux pays membres sont évidemment encore fraîches. Il est normal que ces pays soient naturellement défiants face à la puissance russe voisine. Le processus d'adhésion s'est d'ailleurs souvent inscrit dans une volonté de se détacher de la dépendance économique vis-à-vis de la Russie dans laquelle la période soviétique avait laissé ces pays. Le mouvement vers l'Ouest a souvent été un mouvement anti-russe. Les relations avec Moscou risquent bien de créer une ligne de fracture nouvelle au sein de l'UE à 25. Les anciens pays membres, notamment la France et l'Allemagne, souhaitent rester en bons termes avec le voisin russe, malgré l'autoritarisme de Vladimir Poutine et la guerre de Tchétchénie. A Budapest, Jacques Chirac a d'ailleurs clairement appelé l'UE à "ne pas manquer de respect à la Russie". Mais les nouveaux pays membres seront sans doute moins tolérants. D'autant que de nombreux sujets restent sans réponse et posent des problèmes de sécurité nationale pour les nouveaux adhérents. C'est le cas du passage entre l'enclave de Kaliningrad et le territoire russe pour la Lituanie, ou encore du droit des minorités russes dans les trois pays baltes. Il faudra donc suivre avec attention la poursuite des négociations entre Bruxelles et Moscou. Le gouvernement russe affirme qu'un accord est possible avant le 1er mai, qui comporterait des clauses transitoires pour les dix nouveaux membres. Rien ne dit que ces derniers l'accepteront: la Pologne, notamment, ne voudra sûrement pas être considérée, du point de vue des relations avec la Russie, comme un pays de "deuxième zone".
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