L'Estonie, pays pilote de l'Internet

Perdue, là haut, aux abords de mer Baltique, accoudée à la Lettonie et à la Russie, l'Estonie semble toute petite. Une impression confirmée par deux chiffres : c'est le moins étendu et le moins peuplé des trois pays baltes, avec 1,4 million d'habitants pour 45.000 km2. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, l'Estonie s'affirme comme l'une des bases avancées d'Internet dans le monde. Quelques exemples : 47% des Estoniens sont des Internautes réguliers selon l'institut TNS EMOR, plus de 800.000 d'entre eux utilisent le Net pour gérer leur compte en banque et 90% des opérations bancaires sont réalisées en ligne.Comment un pays, sorti depuis 1991 seulement de l'empire soviétique, avec une si faible population, a-t-il ainsi pu s'inscrire en pointe dans la technologie mondiale ? Grâce, avant tout, à la volonté de l'Etat. "La principale différence entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est est qu'à l'ouest ce sont des entreprises privées qui ont développé Internet afin de profiter de la bulle et gagner de l'argent dans ce qu'elles pensaient être un nouveau modèle économique, explique Jaap Favier, analyste chez Forrester. Ici, ce sont les services publics qui ont investi pour le bien des populations".Un réseau téléphonique à reconstruireL'Estonie a aussi bénéficié de circonstances favorables: "d'abord, le gouvernement a soutenu la libéralisation du marché des télécommunications dès le début des années 90", explique Linnar Viik, professeur de technologies de l'information à Tallinn et ancien conseiller pour les nouvelles technologies du Premier ministre. Face à un réseau téléphonique à refaire de fond en comble, les différents opérateurs présents dans le pays ont parfois décidé de câbler d'office. Les infrastructures de base ont donc été posées dans les régions les plus peuplées.Mais c'est en 1996 qu'intervient le démarrage réel d'Internet. L'ambassadeur estonien aux Etats-Unis discute depuis quelques temps avec le ministre de l'Education de l'époque à propos de l'intérêt d'Internet et des nouvelles technologies. Les discussions dévient sur leurs exploitations possibles dans le secteur de l'éducation, notamment en Estonie. Elles vont alors petit à petit se concrétiser et un projet, le "Saut du tigre", est initié. Très rapidement, le 21 février de cette même année, le président estonien Lennart Meri déclare son lancement officiel. Doté en 1997 d'un budget de 35,5 millions de couronnes (2,3 millions d'euros), il vise à connecter toutes les écoles du pays à Internet. En trois ans, avec des budgets de 50 millions en 1998 et de 44 millions en 1999, la mission initiale est remplie.Encouragées par l'activité gouvernementale, deux collectivités locales étudient en 1997 le moyen de développer un réseau de communication administratif national basé sur les nouvelles technologies. Très rapidement, l'Etat accepte de prendre part à ce projet. Alors que l'utilisation de l'e-mail tend à se démocratiser, il se révèle comme la prolongation naturelle du "Saut du tigre". Il faudra une année pour que le projet "Route du village" soit défini : entre 1999 et fin 2001, tous les gouvernements locaux devront posséder des connections Internet et leur propre site Web, 85% des fonctionnaires devront être directement connectés depuis leur poste au Net et tous devront posséder une adresse e-mail.700 accès gratuits à travers le paysPour ce faire, le gouvernement peut compter sur un personnel très compétent: comme l'explique Linnar Viik, "l'informatique a été enseignée dans les universités estoniennes dès les années 60, ce qui a permis la formation d'une génération d'ingénieurs et de spécialistes". La géographie du territoire et la répartition de la population facilitent la mise en place des infrastructures: le pays étant peu montagneux, l'accès à toutes les régions s'avère assez aisé et la population est concentrée autour des grands centres urbains. L'installation des infrastructures du réseau, financée par la fondation Soros, le Conseil des ministres nordiques et l'Union européenne, se révèle pourtant plus compliquée que prévu: les différents gouvernements locaux ne se situent pas au même stade de développement et ne possèdent pas les mêmes ambitions. Aujourd'hui néanmoins, toutes les bibliothèques du pays, dont le personnel a été formé, disposent d'un poste Internet à l'accès gratuit. Impossible pour le passant de manquer l'un des 700 accès gratuits répartis dans le pays et repérables à leur panneau marqué d'un @ rouge géant.Pour faire bonne figure et aider à la promotion du Net, le gouvernement a décidé de s'impliquer pleinement dans son utilisation. Il s'auto proclame "e-gouvernement". Le conseil des ministres, ainsi, est totalement informatisé : chaque ministre dispose devant lui d'un ordinateur sur lequel il suit les débats et réagit à l'ordre du jour. Toute décision prise lors du conseil (en dehors des document confidentiels concernant la sécurité nationale et la diplomatie) est diffusée sur Internet dans les minutes qui suivent son adoption. Une méthode révolutionnaire qui permet de gagner du temps, évite l'éternelle paperasserie et, malgré son coût - quelques deux millions de couronnes - donne une image résolument novatrice des hommes politiques. Quelle meilleure publicité pour Internet auprès de la population estonienne ?Des entreprises privées très actives Les pouvoirs publics ne sont pas les seuls à s'intéresser au développement d'Internet dans le pays. L'engagement de l'Etat a petit à petit encouragé les entreprises privées à entrer dans la ronde. En 2001, une poignée d'entreprises du secteur des nouvelles technologies décident donc de s'associer et forment Look@World. Hansabank, Eesti Ühispank, Elion, Oracle, Microlink, Starman, IT Grupp, BCS et EMT s'engagent à former 100.000 Estoniens à l'utilisation d'Internet avant la fin 2003 et à leur permettre d'acheter des ordinateurs à prix réduit ou grâce à un crédit à taux zéro. A la fin du programme, qui aura coûté 39,9 millions de couronnes (2,55 millions d'euros) principalement pris en charge par les quatre membres originels, Hansabank, Eesti Ühispank, Elion et EMT, 102.697 personnes ont ainsi reçus deux fois quatre heures de cours gratuits dispensés par 314 professeurs dans dix-sept classes réparties aux quatre coins du pays.
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