Protectionnisme ou "patriotisme économique" ?

Le décret préparé par le ministre de l'Industrie François Loos, dont le contenu a été rendu public en milieu de semaine dernière, protège d'une prise de contrôle étrangère les entreprises opérant des casinos (vecteurs de blanchiment), présentes dans les activités de sécurité, les biotechnologies, la production d'antidotes, le matériel d'interception des communications, la sécurité des systèmes informatiques, les technologies duales (civiles et militaires), la cryptologie, les marchés secret-défense et l'armement.La quasi-totalité de ces activités concerne sans l'ombre d'un doute la sécurité ou la santé publique, les deux domaines dans lesquels les traités européens autorisent de telles protections. Intervenant quelques semaines après l' "affaire Danone" et l'appel du Premier ministre Dominique de Villepin au "patriotisme économique", l'annonce venue de Bercy a néanmoins été immédiatement accueillie par une salve de critiques: plus que jamais, la France céderait à un travers naturel pour le protectionnisme.Les propos les plus virulents sont signés Nelly Kroes, commissaire à la Concurrence, venue en Italie participer à un forum économique international. "Ce n'est pas par le truchement du protectionnisme, mais par celui de la concurrence que les entreprises innovent, tirent le meilleur de leurs salariés et de leurs ressources, améliorent leur qualité et diminuent leur prix," y a-t-elle déclaré. Tout le contraire des "signaux émis par la France", désireuse de "protéger ses joyaux industriels et financiers".De tels propos sont d'abord factuellement erronés: nulle mention, dans les dix secteurs énumérés par le décret français, de banques, ou même d'une entreprise comme Danone (et rien ne dit que son PDG Franck Riboud puisse à nouveau compter sur une rhétorique gouvernementale aussi musclée ou que celle-ci suffise à repousser longtemps des assaillants réels ou supposés). Les déclarations de Nelly Kroes sont ensuite et surtout empruntes d'un angélisme touchant: tous les pays au monde cherchent d'une manière ou d'une autre à protéger les entreprises opérant dans les secteurs qu'ils jugent "stratégiques". A-t-on déjà oublié, pour s'en tenir à ce seul exemple, comment l'Amérique a préféré voir fusionner le groupe pétrolier Unocal avec son compatriote Chevron plutôt que le voir tomber dans l'escarcelle du chinois Cnooc?Le seul argument véritablement pertinent dans ce débat est celui de la réciprocité. Si la France, et au-delà l'Europe, sont perçues comme protectionnistes, les acquisitions internationales de leurs entreprises risquent de s'en trouver compliquées d'autant. Les grands groupes français ont, de ce point de vue, beaucoup à perdre. Nelly Kroes ne s'est pas privée de le rappeler, citant les chiffres publiés par le magazine The Economist selon lesquels ce sont les entreprises de l'Hexagone qui se sont montrées les plus gourmandes depuis le début de l'année, avec 146 acquisitions représentant 58,5 milliards d'euros de janvier à août.Le moment est donc venu pour la France de développer un discours à la fois plus subtil et plus habile. Sans nécessairement lâcher quoi que ce soit sur le fond.
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