"Les Italiens et leur gouvernement devraient allumer tous les matins un cierge pour l'euro"

La Tribune: La production industrielle italienne a reculé en septembre de 1,7% par rapport à la même période l'an dernier et le Produit Intérieur Brut (PIB) italien a à peine progressé de 0,3% au troisième trimestre de cette année par rapport au trimestre précédent. L'espoir de reprise de l'économie italienne s'est-il évanoui ?Riccardo Faini: Il ne faut jamais donner trop de poids au dernier indicateur publié. L'optimisme qui a été signalé sur la reprise en Italie était pour le moins prématuré. La faiblesse du secteur industriel et celle des services demeurent et l'écart entre l'Italie et l'Europe va se creuser encore cette année car en 2005 si tout va bien l'économie italienne croîtra de 0,1 ou 0,2% contre un rythme de 1,3 à 1,4% pour l'économie européenne.Le déficit commercial italien avec les pays de l'Union européenne (UE) s'est réduit en septembre à 63 millions d'euros (contre 318 millions il y a un an) mais le déficit commercial global frôle les 7 milliards sur les neuf premiers mois. La tendance est-elle donc plus encourageante?C'est mieux car les économies mondiale et européenne vont bien. Et aussi car les entreprises italiennes font des efforts pour reprendre des positions perdues dans les parts de marché du commerce mondial. Mais l'économie italienne a besoin de restructurer son système d'entreprises en augmentant la productivité. Dans le secteur du textile et de l'habillement, un des secteurs traditionnels les plus touchés par la concurrence des pays émergents, il y a des signes de reprise de la productivité. Mais il manque encore un transfert des ressources vers les secteurs les plus dynamiques, plus en mesure de saisir et exploiter les opportunités de croissance du commerce mondial.Le rebond de croissance enregistré cet été en Allemagne et en France (respectivement +0,6% et +0,7% par rapport au 2ème trimestre), les deux principaux marchés des firmes transalpines, va-t-il se répercuter en Italie? L'Italie a au moins six mois de retard par rapport à la croissance du reste de l'Europe. Mais il n'est pas certain que cette expérience antérieure se vérifiera dans le cas présent: de par le processus massif de délocalisation d'entreprises, surtout allemandes, il est possible et plausible que la reprise aura surtout des effets sur les pays de l'Est, où de nombreux fournisseurs se sont délocalisés et n'aura des effets que limités sur l'Italie, notamment dans la région du Nord-est. Il est trop tôt pour le dire mais nous ne pouvons malheureusement pas l'exclure.Malgré les faibles taux de croissance de l'Italie ces dernières années, l'emploi y a augmenté et le chômage n'atteint que 7,7% contre 8,7% en Allemagne et 9,4% en France (en septembre, données Eurostat). Comment expliquez-vous ce phénomène singulier? Est-ce lié à la perte de productivité de l'économie italienne, préférant de nombreux emplois peu qualifiés?La productivité est en effet en baisse. Il y a deux phénomènes: la forte libéralisation du marché du travail suite à la réforme de Tiziano Treu [ministre du Travail de 1995 à 1998 dans deux cabinets de centre-gauche] amenant les entreprises à créer beaucoup d'emplois dits "atypiques", c'est-à-dire des contrats à durée déterminée, ce que les entreprises appellent"le travail flexible" et les syndicats "le travail précaire". Et cela a amené à une forte augmentation de l'emploi, car les entreprises ont satisfait un besoin de travail très prononcé. Le gouvernement de centre-gauche avait introduit une mesure qui permettait de transformer les salariés à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Mais l'actuel gouvernement de Silvio Berlusconi a soudainement supprimé cette mesure, une erreur selon moi.Ces deux dernières années les chiffres de l'emploi ont aussi bénéficié d'un fait statistique: la régularisation des travailleurs immigrés gonflant les chiffres de l'emploi sans que la production du pays s'en ressente. Beaucoup des travailleurs qui sont arrivés sur le marché du travail sont des salariés jeunes et instruits et donc il y a quelque espoir lorsqu'ils auront acquis de l'expérience, ils pourront apporter une contribution substantielle à la productivité.Dans un de vos récents essais sur le déclin économique en Italie, vous mettez en relief l'impact de la faible natalité sur l'activité...Oui. Il est clair que si la population ne croît pas, le PIB total ne peut augmenter, si ce n'est justement rapporté pour chaque habitant. Alors que la richesse individuelle n'augmente pas, le système d'imposition ne favorise pas les familles nombreuses. La fiscalité n'incite pas les gens à avoir des enfants. Cela dit le taux de fertilité s'améliore un peu: nous étions à 1,18 [NDLR : nombre d'enfants par femme en âge d'avoir un bébé], nous sommes maintenant à 1,34. Mais il est vraiment essentiel d'avoir un système fiscal qui aide plus qu'aujourd'hui. Fondamentalement une personne gagnant par an 50.000 euros avec trois enfants paie autant d'impôts qu'une personne vivant seule percevant le même salaire, c'est une distorsion forte.Contrairement à la majorité de vos confrères, vous n'attribuez pas les difficultés économiques de votre pays à la disparition, avec l'avènement de l'euro, de l'ancienne possibilité de retrouver un avantage compétitif par la dévaluation de la lire.Les Italiens et leur gouvernement devraient allumer tous les matins un cierge pour l'euro: s'il n'y avait pas l'euro les impôts devraient augmenter de 30 milliards d'euros seulement pour couvrir le coût supérieur de la dette. L'euro nous protège des turbulences financières en nous servant de parapluie. Il est dommage que ces cinq dernières années nous ayons gaspillé les économies réalisées grâce à l'euro en augmentant les dépenses. Heureusement nous sommes encore dans la zone euro et nous devons utiliser au mieux le moment avant que les taux d'intérêts n'augmentent de nouveau. Mon inquiétude est double: en période de vaches grasses, la dette est restée élevée et si le gouvernement actuel ou celui issu des élections d'avril prochain ne prend pas des mesures radicales pour redresser les comptes publics, il est possible que les marchés réagissent avec une augmentation ultérieure des différentiels (spread) et que les agences de notation modifie leur évaluation du risque Italie ce qui finirait par peser un peu plus sur les finances publiques.Dans quelle mesure pèse le retard économique du sud de l'Italie, le Mezzogiorno, sur la performance générale du pays?Si le Mezzogiorno avait une croissance similaire à celle du Portugal, la croissance italienne serait supérieure d'un demi-point. Et nous ne parlerions plus de déclin économique. Dans votre essai rédigé avec André Sapir dans l'ouvrage "Au-delà du déclin", vous évoquez longuement le handicap que représente le niveau de l'enseignement et de la recherche en Italie...En Italie, le système scolaire et universitaire est dans une situation difficile, si ce n'est désastreuse. Cela se reflète sur la structure productive italienne qui utilise trop peu la main d'oeuvre qualifiée, les personnes instruites, et donc il y a peu de demande pour ce personnel qualifié. Et donc les personnes qualifiées italiennes ont tout intérêt à aller à l'étranger. Les universités britanniques et américaines sont pleines de cerveaux italiens, les meilleurs du secteur financier travaillent à l'étranger à Londres ou à Francfort. Nous sommes dans un cercle vicieux: il y a peu de demande et donc peu d'offre de personnes qualifiées, instruites, les deux choses s'alimentent.Vous plaidez également pour une libéralisation des secteurs de l'économie. Celle du secteur de l'énergie n'a pourtant pas abouti à une baisse des prix prohibitifs payés dans la Péninsule pour le gaz et l'électricité...Le gouvernement de centre gauche avait fait, sous l'impulsion de la Commission européenne, des libéralisations du marché de l'énergie, notamment avec les décrets Letta et Bersani pour le gaz et l'électricité. Malheureusement, j'ai été surpris que ces cinq dernières années le gouvernement, malgré une forte majorité parlementaire, n'ait rien fait dans ce secteur. Si la gauche menée par Romano Prodi gagne les élections législatives d'avril prochain, sera-t-elle capable de libéraliser plus que ne l'ont fait la droite et Berlusconi ?Je le souhaite. La question est de savoir si leurs paroles favorables à la poursuite des libéralisations seront suivies d'effets.
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