Le silence n'est plus d'or à Wall Street

En août dernier, quelques jours avant l'introduction en Bourse de Google au Nasdaq, une interview des co-fondateurs du moteur de recherche, Sergei Brin et Larry Page, à Playboy avait fait scandale outre-Atlantique. Point de photo indécente ou de propos grivois des deux génies d'Internet dans le magazine pour adultes, mais une violation patente d'une règle d'or à Wall Street: la "quiet period" qui impose aux sociétés le silence 45 jours avant leur entrée en Bourse. Brin et Page avaient dû se confondre en excuses auprès de la Securities and Exchange Commission, le gendarme de la Bourse américaine, qui menaçait de reporter l'opération, et expliquer que l'interview avait été réalisée avant l'ouverture de la "période de silence" obligatoire. Ils s'en étaient sortis avec quelques réprimandes et l'introduction se révéla le succès que l'on connaît - et qui ne se dément pas: la valeur, introduite à 85 dollars, a plus que triplé en dix mois et en vaut 280 aujourd'hui... Un succès tel que certains observateurs brandissent depuis quelques mois le spectre du retour de la bulle Internet et de ses excès multiples résumés par le patron de la Fed, Alan Greenspan, sous la formule devenue classique d'"exubérance irrationnelle": projections irréalistes, plans de développement extravagants, taux de croissance exponentiels et déception garantie au bout de quelques mois... Des excès apparemment déjà oubliés à la Sec. Dès octobre dernier, l'autorité des marchés a approuvé à l'unanimité l'idée d'un assouplissement de cette règle, la fameuse Section 5 de la loi sur les actions (Securities Act) de 1933.Il se dit à Wall Street que la "quiet period" pourrait être enterrée dès le 29 juin prochain, lors de la prochaine réunion de la Sec, la dernière présidée par William Donaldson, qui devrait être remplacé par le très républicain Chris Cox, si le choix de sa nomination par George Bush est confirmé par le Sénat. "Nous sommes de plus en plus une nation d'actionnaires", a même déclaré le président Bush en annonçant cette nomination, qui inquiète pourtant les investisseurs. Cox est connu pour avoir vigoureusement soutenu une loi rendant plus difficiles les poursuites judiciaires des actionnaires contre les patrons indélicats. La quasi-suppression de la "quiet period" pourrait n'être qu'un premier volet d'une libéralisation généralisée des contraintes imposées en matière de communication financière. Les dirigeants de sociétés devraient donc bientôt pouvoir vanter à loisir les qualités de leur firme bien au-delà des seuls documents officiels visés par la SEC, regorgeant de mises en garde et de précautions oratoires. Est-ce une bonne chose pour les actionnaires? Le doute est permis! Si la "quiet period" servait à protéger les investisseurs des outrances des patrons, elle n'empêchait certes pas les banques d'affaires chargées des introductions de laisser filtrer des études déraisonnablement dithyrambiques. Mais un garde-fou imparfait reste toujours préférable à l'absence de règles.
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