Qui a peur des class actions ?

Timidement, la France cherche sa voie vers les "class actions". Cette formule un peu barbare, qui peut se traduire par "action de justice collective", correspond pourtant à une pratique des plus fréquentes outre-Atlantique. Aux Etats-Unis, les class actions les plus médiatiques ont porté par exemple sur l'amiante, le tabac, mais aussi plus récemment sur les médicaments tels que l'antidouleur Vioxx du laboratoire pharmaceutique Merck, qui aurait causé la mort de nombreuses personnes. Reste que s'il fait recette aux Etats-Unis, ce procédé faire peur en France. Et pour cause. Les sommes demandées outre-Atlantique aux entreprises prises dans les filets d'une class action peuvent atteindre des montants faramineux: des milliards de dollars parfois, des millions souvent (voir ci-contre). Levée de bouclier du Medef, timidité de l'EtatDu coup, en France, cette technique juridique, dont l'introduction a pourtant été souhaitée officiellement par Jacques Chirac en janvier 2005 à l'occasion de ses voeux de nouvelle année, fait peur. Et une transposition directe des méthodes américaines paraît impossible. Ainsi, le gouverment a mis en place un groupe de travail, qui planche sur un projet axé sur les droits des consommateurs, mais qui peine à trancher entre différentes formules de mise en place des "class actions". Ce groupe, qui devrait rendre ses conclusions dans un rapport en décembre, doit faire en sorte de déterminer une procédure d'action en justice collective, sans pour autant froisser les patrons frileux. L'exercice est tellement périlleux qu'il pourrait même renoncer à faire un choix entre les trois options dont il dispose et les proposer toutes au gouvernement!Exemple de ces tergiversations: l'administration du Trésor a préconisé dans une note confidentielle que s'est procurée La Tribune (voir ci-contre) que le secteur financier soit exonéré de ce type d'action. Concrètement, les consommateurs qui ont souscrit une assurance-vie ou des produits financiers en Bourse ne devraient pas pouvoir attaquer une entreprise dans le cadre d'une action collective. De même, les haut-fonctionnaires de Bercy semblent vouloir réserver l'action collective aux litiges de moins de 1.000 euros, afin d'éviter les abus que l'on peut observer aux Etats-Unis.Ces craintes sont partagées - voire nourries - par le Medef, qui s'oppose totalement à la mise en place des class actions à la française, avec ou sans limites. "Dans une procédure de class action, les entreprises peuvent facilement être victimes de chantage à la transaction, ou se trouver au centre de rumeurs dévastatrices pour elles", a argué Laurence Parisot, la présidente du Medef, lors d'une conférence qui s'est tenue en octobre dernier. Le Medef défend toutefois un projet qui consiste à améliorer le système existant d'action en représentation conjointe. Ce sytème est très peu utilisée en France car très il est contraignant pour les plaignants. Avocats et associations contre les "réformettes"Confrontée à tant d'obstacles, la procédure de class action aura du mal à passer. Et pourtant, elle a dans son camp des alliés de poids, qui prônent un champ d'action plus large pour ces démarches collectives. Tout d'abord, les avocats. Le Conseil national des barreaux (CNB) a approuvé le principe des class actions en France, lors d'une assemblée générale en janvier 2005. Le CNB ne limite pas la possibilité d'une class action à la consommation, mais souhaite appliquer ce principe aux catastrophes collectives, produits défectueux, droits des contrats, droit social, droit de la concurrence et droit bancaire... Le juge serait là pour éviter les dérapages, en fixant par exemple le montant des honoraires des avocats.Ce point de vue trouve un écho au sein de l'association des consommateurs UFC-Que Choisir. Celle-ci, qui s'insurge contre d'éventuelles restrictions sectorielles et contre le principe d'un plafond (1.000 euros de litige au maximum), s'apprête à présenter son projet pour l'organisation et la mise en place d'une loi encadrant les class actions.Pour UFC-Que Choisir, le principe est clair: il faut autoriser la mise en place des class actions, qui doivent pouvoir s'adapter à tous les types de litiges civils "quels que soient les secteurs d'activité". L'association de consommateurs s'oppose ainsi à l'octroi de "traitements de faveur", au secteur bancaire en particulier.En outre, contrairement à ce qu'avance le Medef, l'UFC estime qu'il n'y a pas de risque d'abus, puisque le système juridique français ne comprend pas la notion de dommages punitifs comme aux Etats-Unis, mais s'appuie sur le principe de réparations équitables et proportionnées. "En aucun cas l'action de groupe ne sera l'occasion d'exercer une manière de chantage contre une puissance commerciale, de créer des effets d'aubaine qui profiteraient à telles ligues d'avocats ou telles associations de consommateurs", affirme UFC-Que Choisir."Notre procédure répond aux quatre objectifs fondamentaux: l'accès effectif de tous à la justice, l'absence de conflits d'intérêts, la garantie des droits des parties et l'effectivité de la réparation", précise l'association, qui propose une procédure en six étapes afin de respecter ces principes (voir ci-contre).Pour conclure, l'association "appelle le gouvernement à dépasser les craintes alimentées par le Medef et à adopter un dispositif qui permette une vraie démocratisation par l'efficacité de l'accès à la justice".Un autre projet, défendu par d'autre associations de consommateurs, tend à trouver un juste milieu entre le point de vue du Medef et d'UFC-Que Choisir, consisterait à mener une action collective en deux temps. Une association agréée pourrait d'abord lancer une procédure, sans avoir besoin de mandats individuels. Ensuite chaque consommateur saisira individuellement le juge pour appliquer à son cas la décision.A n'en pas douter, le projet d'une "class action" à la française, qui a au moins le mérite d'exister, ne semble en être qu'à l'heure des premiers débats. Les actionnaires sur la toucheMais ces propositions et bases de réflexions, aussi diverses soient-elles, concernent essentiellement les consommateurs... Les actionnaires qui, aux Etats-Unis, sont souvent concernés par les class actions, sont pour leur part laissés de côté. Or ils méritent un traitement particulier. "Pour les actionnaires, qui sont les propriétaires de l'entreprise, il n'est pas intéressant d'attaquer la société en tant qu'entité, mais plutôt ses responsables", explique Colette Neuville, la présidente de l'Association de défense des actionnaire minoritaires (l'Adam). En effet, contrairement aux consommateurs qui pourraient attaquer une entreprise dans le cadre d'un litige, les actionnaires lésés n'ont pas intérêt à sanctionner l'entreprise qui fait partie de leur patrimoine, mais plutôt à trouver les individus responsables de litiges. "Dans nombre de cas, la société n'est pas coupable mais plutôt victime", lance Colette Neuville.Or, rien n'est prévu pour le moment pour permettre aux actionnaires d'attaquer les responsables (dirigeants, commissaires aux comptes, etc...), de manière indépendante de l'entreprise en procédure collective. "Pourtant, une loi permet d'attaquer au nom de la société et de réclamer des dommages et intérêts", ajoute la présidente de l'Adam. Reste que cette procédure doit être entièrement assumée en termes de frais par le ou les actionnaires initiateurs... pour le compte de tous les autres. "Il faut être particulièrement altruiste pour le faire", ironise Colette Neuville, qui constate ainsi le manque d'efficacité de cette loi. Un dysfonctionnement d'autant plus surprenant que la France n'a de cesse de favoriser l'actionnariat individuel, comme en témoignent les toutes récentes ouvertures de capital de GDF et EDF...Pire encore, la proposition de loi Caresche-Montebourg renforçant la responsabilité des dirigeants et mandataires sociaux qui devait permettre de mettre en place une class action pour les actionnaires a été mise à l'écart sans autre forme de procès. Il faut dire que ce type de projet a de quoi effrayer les patrons... et susciter des levées de bouclier de leur part. La bataille pour la class action ne fait donc que commencer. Quoi qu'il en soit, pour Colette Neuville, l'issue du débat est déjà claire: "tôt ou tard, on viendra aux class actions. C'est un phénomène qui est en train de se généraliser dans des pays voisins comme l'Allemagne et la Suède, mais aussi au Brésil et au Canada".
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