Robert Altman, cinéaste boulimique et iconoclaste

Avec la mort de Robert Altman, survenue lundi soir à Los Angeles, c'est un géant du cinéma américain qui disparaît. Auteur de quelque 85 films et téléfilms, Altman restera comme un réalisateur iconoclaste, ayant traité pour les subvertir à peu près tous les genres cinématographiques.

Le déluge d'hommages qui s'abat depuis deux jours sur le cinéaste, en provenance de tous les grands noms du cinéma, ne manque pas d'une certaine ironie: Robert Altman, qui est décédé à l'âge de 81 ans des suites d'un cancer, est en fait resté toute sa vie en marge d'Hollywood, que son obstination à réaliser des films au succès commercial parfaitement aléatoire avait rendu quelque peu méfiant à son encontre.

Sa position un peu à part dans l'industrie du cinéma n'aura à dire vrai pas empêché Altman de produire abondamment: environ 35 longs métrages et une cinquantaine de téléfilms et autres séries. Bien qu'âgé et malade, il travaillait d'ailleurs encore ces derniers temps à un nouveau film.

Le plus grand coup d'éclat d'Altman a eu lieu en 1970 avec la sortie de "M.A.S.H.". Ce festival d'humour noir, mettant en scène les médecins de l'armée américaine en Corée, remporta en effet un colossal succès. Palme d'Or à Cannes, le film donna pendant un temps à Altman un statut de cinéaste à succès - même si a posteriori, il est clair que ce n'est pas l'un de ses meilleurs.

Après avoir ensuite accumulé les films à gros budgets et non moins gros échecs commerciaux, Altman fut en fait tenu fermement à l'écart par Hollywood. Au point de "s'exiler" quelques années en Europe, dans les années 80, et de se rabattre sur le tournage de séries et d'adaptations de pièces de théâtre.

C'est en 1992 qu'une deuxième carrière s'ouvre à lui avec "The player", polar situé dans les milieux du cinéma d'Hollywood, dont il constitue une satire incendiaire. Viendront ensuite de nombreux films dont le célèbre "Gosford Park", autre polar satirique situé cette fois dans les milieux aristocratiques britanniques.

Multiforme, l'oeuvre d'Altman se caractérise notamment par son détournement jubilatoire des codes du cinéma. Réputé cinéaste "intellectuel", le réalisateur a en fait pratiqué tous les genres cinématographiques, y compris les plus populaires - mais à sa manière. "John McCabe", par exemple, est un chef d'oeuvre d'anti-western, rendu inoubliable par ses paysages de Rocheuses sous la neige, bercés par les chansons de Léonard Cohen. De même, "Quintet" est un film de science-fiction aussi éloigné que possible de "La guerre des étoiles", tandis que "Popeye" renouvelle, en un feu d'artifice visuel, la comédie musicale basée sur une bande dessinée.

Les vrais chefs d'oeuvre d'Altman, cependant, sont sans doute ceux où il utilise sa technique très particulière faisant s'entrecroiser de multiples personnages dont les interactions complexes permettent de préciser petit à petit le profil psychologique et les destins individuels, ballottés entre de multiples influences. Dans ce registre, on peut mentionner: "Nashville", étonnant portrait de la capitale de la musique country, à mi-chemin entre le reportage et la fiction; "Un mariage", hilarante comédie de moeurs qui voit d'affronter une famille de la vieille société américaine et une famille de parvenus, rapprochées par le mariage de leurs enfants; et surtout "Short Cuts", probablement le chef d'oeuvre d'Altman, réalisé en 1993. Une variation éblouissante sur la société californienne, entremêlant le destin de dizaines de personnages.

Mais la voracité cinématographique d'Altman l'a amené à aborder encore bien d'autres registres, en particulier celui de la musique. On retiendra à cet égard "Kansas City", portrait de sa ville natale à la grande époque des gangsters et du swing, baigné dans cette musique. Et aussi "Jazz 34", film 100% musical, sans une seule parole, reconstituant les "jam sessions" de l'époque.

Dans cette prodigieuse activité, inutile de le dire, il y eut bien des scories, bien des films à moitié convaincants seulement. Mais la virtuosité cinématographique d'Altman et sa créativité échevelée font que le cinéaste fait partie, un peu comme Alain Resnais et Woody Allen, des créateurs dont les films de "deuxième ordre" valent mieux que bien des oeuvres abouties de leurs confrères...

Une seule consolation, aujourd'hui, pour tous les fans d'Altman: ils pourront découvrir le mois prochain sur les écrans français son tout dernier film "The last show", une oeuvre nostalgique sur la fin d'une époque dans le monde du spectacle. Un testament, en quelque sorte...

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